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La perception (cours de philosophie)

Le problème de la perception parait le plus simple, et il est sans doute un des plus complexes de la psychologie. Il a alimenté depuis les origines de la philosophie, les discussions métaphysiques. Il n'est pas inutile de le savoir avant d'aborder la question sous l'angle psychologique.

— I — Distinction entre « sensation » et « perception ».

Pour la psychologie classique, la sensation est un phénomène plus « élémentaire » que la perception. La sensation donne purement et simplement les qualités. On ne peut définir inversement la qualité que comme un « sensible » élémentaire. Salé, sucré, amer, chaud, froid, lisse, rugueux, odorant, nauséabond, aigre, aigu, mat, rouge vif, bleu vert, etc., voilà autant de « qualités » qui sont des sensations en deçà des mots mêmes qui les généralisent et les conceptualisent. Une sensation, c'est telle qualité présente. L'ambiguïté même du mot sensible qui signifie « celui qui sent » et « ce qui est senti », montre bien qu'il est impossible de distinguer dans la « qualité » c'est à dire dans la sensation, ce qui viendrait du « sujet » et ce qui viendrait de l'« objet ». La perception, toujours selon la psychologie classique, complique la sensation, lui fait subir une élaboration. Celle ci consiste essentiellement à donner à la sensation une signification. Pour cela deux « superstructures » sont nécessaires : la notion de sujet et la notion d'objet qui font exploser la confusion originelle de la qualité sentie et rattachent la sensation d'une part à un « moi » qui perçoit et d'autre part à un « objet » qui est perçu. La sensation ainsi interprétée par la conscience prend une signification. « Ce rouge vif » devient le rouge vif du tapis qui est devant moi. La perception, et ceci la distingue donc de la sensation, est reconnue, comprise, jugée extérieure et mienne. Et il restait à analyser comment la conscience opérait pour projeter les souvenirs, saisir les rapports, construire l'espace et l'objet, s'abstraire enfin elle même du donné.

1 — Selon le point de vue intellectualiste, la perception implique un acte spécial de l'intelligence à travers l'acte de la sensibilité, et cet acte vise l'être même de l'objet. Pour Descartes, il y a dans la perception un acte de l'intelligence et un contact, à travers le voile de la sensibilité, avec une «réalité » objective, une « nature ». La comparaison qui fera le mieux comprendre au lecteur la thèse cartésienne est celle ci : imaginez que votre main soit dans un gant de boxeur dont l'épaisseur est pleine de fragments divers, graviers, petits clous, etc., et imaginez que vous tentiez de saisir et de reconnaître, par le seul moyen de cette main, un objet extérieur. Vous allez avoir des sensations, mais vous ne saurez déterminer si elles sont dues à l'objet ou à la matière qui compose le gant ; vous pourrez dire cependant qu'il y a quelque chose. Et si l'on ôte le gant, vous pourrez savoir avec plus de vérité de quel objet il s'agissait. De même, pour Descartes, les sens (et les qualités sensibles) sont autant de causes d'erreur ; à travers eux il y a cependant un acte positif de connaissance qui rencontre une réalité. il y a un contenu représentatif de la sensation. Mais il faut dépouiller toutes les sensations pour saisir par l'intelligence seule la nature réelle ou vraie de l'objet. Donc perception = sensations + contact entre un acte intellectuel et une réalité extérieure. Pour Taine, d'un autre point de vue, les sensations ne comportent en soi aucune certitude sur l'existence effective d'un objet. Le rêve et l'hallucination sont des sensations sans être des perceptions. Il y a dans la perception un acte de la « faculté de juger » qui affirme la « réalité » de la sensation et qui l'attribue à un objet extérieur. C'est ce que signifie la fameuse formule : « La perception est une hallucination vraie ». Donc perception = sensations + jugement d'objectivité.

2 — Selon le point de vue pragmatiste auquel se place Bergson, l'introduction du point de vue spéculatif crée des pseudo problèmes, comme celui de la valeur de connaissance de la perception. Il y a effectivement une différence entre sensation et perception. Bergson appelle la sensation la « perception pure » (in « Matière et Mémoire », 1896). Elle est une certaine « prise » de notre sensibilité sur la réalité mouvante et complexe qui nous entoure. Notre œil, par exemple, est précisément capable d'appréhender à sa manière les trillions de vibrations que « sont » les couleurs et de « voir » telle ou telle couleur. Si notre rythme vital propre changeait brusquement, notre « monde » serait autre, car nos sens découperaient d'une autre manière la réalité extérieure et auraient un autre système de « prise ». Les philosophes ont toujours oublié, dit Bergson, que notre corps n'est pas un simple écran entre le monde et nous, mais qu'il est vivant.

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