La Mare au diableGeorge SAND, 1846, Classiques Hachette
La Mare au diable est le premier des romans champêtres de George Sand. Celle-ci déclare avoir voulu y peindre le beau dans le simple, dans un dessein moral délibéré : Nous croyons que la mission de l'art est une mission de sentiment et d'amour [...]. L'art n'est pas l'étude de la réalité positive; c'est une recherche de la vérité idéale (Notice, 1851). Se tournant vers l'homme des champs, elle entreprend d'opposer à l'allégorie du graveur Holbein (1497-1543), où la Mort accompagne un malheureux laboureur le long de son sillon, le rêve d'une existence douce, libre, poétique, laborieuse et simple, rêve inspiré de la pastorale de Virgile (Les Géorgiques 39-29 av. J.-C.), que justifie sous ses yeux une scène de labour dans la campagne berrichonne. Suit la touchante histoire du laboureur Germain. Veuf avec trois enfants, Germain accepte, pour obéir à son beau-père, d'épouser une jeune veuve, fille d'un riche paysan. Partant en visite chez sa promise, il emmène sur sa jument le petit Pierre, son fils aîné, et Marie, la fille d'une voisine pauvre, qui doit se placer comme bergère. Ils s'égarent dans les bois, passent la nuit à la belle étoile près de la Mare au diable, parlent timidement de sentiment et de mariage. On devine que Germain épousera Marie et non la jeune veuve frivole. En dépit de l'idéalisation, mille détails vrais font l'intérêt de ce récit qui semble témoigner maintenant d'un âge révolu de la civilisation.
SAND George (pseudonyme d’Armandine Lucie Aurore Dupin, baronne Dudevant). Écrivain français. Née à Paris le 1er juillet 1804, morte le 8 juin 1876 à Nohant (Indre). Fille d’un officier de l’armée impériale mort accidentellement en 1808, la petite Aurore, âgée de quatre ans, fut recueillie par sa grand-mère, Mme Dupin, fille naturelle du maréchal de Saxe et veuve d’un riche financier. La future romancière passa toute son enfance à la campagne, dans le domaine familial de Nohant : années riches de solitude et de rêverie, mais également de distractions passionnantes, au premier rang desquelles ces histoires racontées à la veillée dans les maisons paysannes, et dont l’écrivain devait tirer plus tard la matière d’une grande partie de son œuvre. A treize ans cependant, Aurore fut mise en pension dans un couvent parisien : ce furent d’abord plusieurs mois de désespoir et de révolte, suivis d’une crise juvénile de mysticisme et même de vagues aspirations à la vie religieuse cloîtrée. Revenue à Nohant en 1820, la jeune fille fut mariée deux ans plus tard (à dix-huit ans) à un baron Dudevant dont elle ne tarda pas à se séparer. En 1831, elle quitta Nohant, emmenant sa fille et son fils, et commença à mener à Paris une existence de bohème, scandalisant les bourgeois par la crânerie avec laquelle elle acceptait sa condition de « déclassée » par ses accoutrements masculins, par ses façons de fumer la pipe ou le cigare, et surtout par ses aventures sentimentales avec Jules Sandeau d’abord (qui lui donna son pseudonyme de Sand et l’aida à écrire son premier roman, Rose et Blanche), puis avec Alfred de Musset, qu’elle entraîna en 1834 en Italie et dont elle se sépara à Venise à cause du médecin Pagello — célèbre amour romantique que George Sand raconta à sa manière dans Elle et lui (1859), ce qui lui valut une réplique du frère du poète, Paul de Musset, lequel publia la même année Lui et elle. Dès 1832, la baronne Dudevant, devenue George Sand, s’était fait connaître par son roman Indiana qu’allaient suivre Valentine (1832), Lélia (1833), Jacques (1834), Mauprat (1836); ces œuvres reflètent la vie passionnée qui était alors celle de l’auteur; elles ressemblent à des confessions, tout en lyrisme, souvent proches du poème en prose, et elles célèbrent intarissablement la passion sensuelle et idéaliste à la fois, mais toujours éperdue et excessive, l’amour en lutte avec les préjugés et la société. Car l’amour, pour George Sand, est synonyme de la vie : ce n’est pas seulement le bonheur, c’est un droit supérieur de la personne humaine, c’est une sorte de devoir et même un culte divin — si bien que tout devient permis, et légitime, et sacré à la passion pourvu qu’elle soit sincère. Doctrine bien romantique et qu’illustre parfaitement l’histoire tumultueuse du grand cœur de George, si rapide à aller de Sandeau à Musset, de Pagello à Michel de Bourges, de Pierre Leroux à Chopin... C’est en compagnie du grand musicien polonais qu’elle partit en 1837 faire un séjour d’hiver aux îles Baléares; mais à partir de cette époque, sa vie privée s’assagit. Son ménage avec Chopin durera presque dix ans. Et c est à la politique que George commence à demander un renouveau d’émotions. Vers 1836, par l’intermédiaire de Michel de Bourges, elle s’était liée avec des démocrates et des utopistes sociaux tels que Barbés et Arago et elle s’était mise à considérer le prêtre défroqué Lamennais comme un prophète et le chef de la nouvelle religion de l’Humanité dont elle allait se faire bientôt une des prêtresses. Fille spirituel de Rousseau, influencée aussi bien par Le Contrat social que par La Nouvelle Héloïse , elle entreprit dans des livres comme Le Compagnon du tour de France (1840), de dresser de pathétiques actes d’accusation de la société, rendue responsable de tous les maux humains, et que l’amour seul, selon George Sand, est capable de transfigurer en nivelant les hiérarchies, en abattant les cloisons entre classes et en rétablissant la fraternité universelle. Exaltation de l’homme du peuple — dans Horace (1841) et Le Meunier d’Angibault (1845) — religiosité panthéiste et ésotérique — dans Consuelo (1842) — tels sont les deux traits complémentaires de son œuvre au cours de cette période. George Sand se trouvait donc parfaitement préparée en 1848 pour saluer avec enthousiasme « sa » révolution : dès la chute de Louis-Philippe elle entreprit des démarches pour lancer un journal, écrivit des Lettres au Peuple, et rédigea même les bulletins officiels de Ledru-Rollin, ministre de l’intérieur. Mais, épouvantée par l’insurrection de juin, elle se hâta de « donner sa démission politique » et se réfugia à Nohant. En 1849, dans la préface de La Petite Fadette , elle annonça qu’elle se désintéresserait désormais des événements et qu’elle voulait « se distraire l’imagination en se reportant vers un idéal de calme, d’innocence et de rêverie ». Mais cet idéal n’emplissait-il point dès 1846 une œuvre comme La Mare au diable , tout autant que la fameuse série des romans champêtres : François le Champi (1848), Les Maîtres sonneurs (1853), etc., dans lesquels les personnages paysans sont malheureusement idéalisés à l’extrême et, en somme, assez artificiels, mais qui renferment cependant de fort belles évocations du pays berrichon. Sous le Second Empire, la scandaleuse romantique allait devenir « la bonne dame de Nohant », châtelaine généreuse et amie hospitalière d’écrivains comme Sainte-Beuve, Michelet, Théophile Gautier. Elle conseillait, dirigeait les meilleurs représentants de la nouvelle génération, Fromentin, About, Dumas fils, Flaubert. Elle cultivait son jardin, amusait ses petits-enfants avec son théâtre de marionnettes, se mêlait à la vie de ses laboureurs, apprenait à lire à leurs enfants, présidait les fêtes villageoises, répandait les aumônes — toutefois sans cesser d’écrire ! En 1854, elle fit paraître une fort longue (et fort complaisante) autobiographie intitulée Histoire de ma vie . De 1850 à sa mort, en 1876, c’est presque chaque année qu’elle livra à ses éditeurs ou à la Revue des Deux Mondes , dont elle était une des plus fidèles collaboratrices, quelque roman ou pièce de théâtre, œuvres moins connues que celles des premières périodes, mais où il reste à sauver de belles pages, particulièrement dans Les Beaux Messieurs de Bois-Doré (1858), dans Jean de la Roche (1860), dans Le Marquis de Villemer (1861), dans Mademoiselle de la Quintinie (1862) où, sous le mépris du catholicisme, transparaît une amère inquiétude religieuse. Puis vint la pierre de 1870 qui désespéra George Sand, la Commune qui la rangea définitivement dans « le parti de l’ordre » et lui fit attacher plus de prix encore à son « enracinement » paysan : mais l’écrivain ne faisait plus que se survivre à lui-même. L’auteur de Lelia serait incompréhensible sans Rousseau, dont elle a dit qu’il s’était « emparé de sa jeunesse par la beauté de sa langue et la puissance de sa logique ». Le thème unique de George Sand, son idée-force : l’amour sincère considéré comme principe unique et suffisant de la vie privée, de la morale, de la politique, n’est-ce pas en effet, mais dépouillé de toutes les nuances délicates que lui avait données la sensibilité raffinée de Jean-Jacques, l’évangile de Saint-Preux et de Julie ? Dans son œuvre et plus encore dans sa vie, George Sand a été la personnification extrême des débordements du cœur romantique : elle n’a pas seulement évoqué, elle a été elle-même la passion souveraine, dressée contre toutes les institutions et toutes les disciplines intérieures. Elle n’avait rien pourtant d’une « intellectuelle », ne construisit nulle philosophie originale et ne cessa de subir l’influence des nombreux et divers personnages que successivement elle aima et délaissa. La générosité de son tempérament faisait d’elle un écrivain solide et abondant. Sa facilité régulière, physique en quelque sorte, détermine son style dont le défaut principal est de manquer de mordant, de surprises. Mais George Sand savait charpenter un roman. Elle fut surtout la première femme à nourrir toute sa production littéraire de son expérience féminine, annonçant ainsi une George Eliot et une Colette. Elle est probablement le moins lu aujourd’hui des grands écrivains romantiques et reste un personnage plutôt qu’une œuvre. La puissance de son imagination peut cependant emporter encore les lecteurs de Consuelo et elle demeure une très vivante épistolière et mémorialiste — v. Lettres d’un voyageur (1834) et Correspondance (6 vol., 1882-1894). ♦ « L’insulte à la rectitude de fa vie ne saurait aller plus loin... » Chateaubriand. ♦ « Le plus grand poète de prose que possèdent les Français. » Heinrich Heine, 1854. ♦< Ce style coulant, cher au bourgeois... » Baudelaire. ♦ « Il fallait la connaître comme je l’ai connue pour savoir tout ce qu’il y avait de féminin dans le cœur de ce grand homme, l’immensité de tendresse qui se trouvait dans ce génie... Elle restera une des illustrations de la France et une gloire unique. » Gustave Flaubert. 4 « Je trouve beaucoup plus vraie George Sand que Balzac... La plus grande artiste de ce temps-ci et le talent le plus vrai... Ses livres ont les promesses de l’immortalité. » Ernest Renan. ♦ « Une eau limpide courant sur un lit fangeux. » Louis Veuillot. ♦ «L’une des plus sublimes et des plus belles représentantes de la femme, une femme presque unique par la vigueur de son esprit et de son talent, un nom devenu désormais historique... Vers 1845... nous attendions d’elle quelque chose de beaucoup plus grand encore, une parole non entendue jusque-là et même je ne sais quoi de décisif et de définitif. » Dostoïevsky. « La vache bretonne de la littérature. » Jules Renard. ♦ « Tout compte fait, son cœur valait mieux que sa vie, qui valait mieux que sa philosophie. » Charles Maurras. ♦ «J’attends toujours de voir, aux vitrines des libraires, les cinq volumes de Consuelo enfin dans leur gloire. Alors, j’en suis assuré, même les plus aigres feront justice à une grande âme. » Alain.