La langue comme système de signes
— La langue et la parole sont interdépendantes
La parole est la production verbale d'un individu mais elle renvoie à la langue, c'est-à-dire à un système de règles qui permet à une communauté de s'entendre. De son côté, comme le montre le linguiste Ferdinand de Saussure, la langue présuppose la parole. Historiquement, la parole est nécessaire pour que la langue s'établisse. C'est aussi en entendant les autres parler que nous apprenons notre langue maternelle. Enfin, c'est la parole qui fait évoluer la langue. Il y a donc, dit Saussure, « interdépendance entre la langue et la parole ; celle-là est à la fois l'instrument et le produit de celle-ci » (Cours de linguistique générale).
— Le signe unit un concept et une image acoustique
La langue est un système de signes. Le signe est « le total résultant de l'association d'un signifiant et d'un signifié », c'est-à-dire d'une « image acoustique » et d'un « concept ». Par exemple : le mot soeur est un signifiant de la langue dite le « français ». Lorsque ce signe est prononcé devant un sujet parlant le français, ce dernier perçoit la succession de sons s-ô-r, c'est-à-dire un ensemble sonore, et à cette per-ception associe immédiatement un concept, l'idée de soeur. L'ensemble sonore ou « image acoustique » constitue le signifiant, le concept lié nécessairement à un signifiant constitue le signifié. Le signe unit donc non pas une chose et un nom mais un concept et une image acoustique. Il va de soi que le lien unissant le signifiant au signifié est « arbitraire ». À preuve, nous dit Saussure, « les différences entre les langues et l'existence même de langues différentes : le signifié « boeuf » a pour signifiant b-d-f d'un côté de la frontière et o-k-s (ochs) de l'autre ».
La double articulation est ce qui distingue la langue de n'importe quel autre système de signes ou signaux
Mais si la langue est un système de signes exprimant des idées, elle est, par là, comparable à l'écriture, à l'alphabet des sourds-muets, aux signaux militaires, etc. Il revient au linguiste Martinet d'avoir introduit un critère supplémentaire permettant de distinguer la langue des autres systèmes de signes ou signaux. Ce critère est celui de la double articulation. La langue est un système de signes doublement articulés en unités significatives (les « monèmes ») et en unités distinctives (les « phonèmes »). Ainsi, la phrase : « Pierre boit de la bière » comprend cinq monèmes que la graphie isole parfaitement par des espaces. « Pierre » et « bière » se différencient par les phonèmes p (son sourd) et b (son sonore). Cette double articulation permet une économie et une faculté d'adaptation à chaque situation.
L'essor de la pensée n'est pas lié à la langue
Chaque langue dispose d'un système propre de monèmes. Par exemple, si certaines langues n'ont qu'un présent ou un passé, d'autres ont également un futur, voire plusieurs formes de futurs. Ces différences dans le découpage des domaines de signification entraînent des articulations différentes de la pensée. Ainsi Benjamin Lee Whorf affirme que les concepts de « temps » et de « matière » ne sont pas, dans leur essence, « exprimés de la même manière par tous les hommes, mais qu'ils dépendent de la nature de la ou des langues qui ont présidé à leur élaboration ». Cependant, il faut reconnaître que s'il y a une certaine incommunicabilité des langues et des divers systèmes de pensée qu'elles traduisent, la pensée peut se rendre indépendante des structures linguistiques d'une langue particulière, ne serait-ce qu'en utilisant plusieurs langues. D'autre part, aucun type de langue ne peut par lui-même et à lui seul ni favoriser ni empêcher l'activité de l'esprit. Tant il est vrai que « l'essor de pensée », dit Benvéniste, est lié bien plus aux « capacités des hommes, aux conditions générales de la culture, à l'organisation de la société qu'à la nature particulière de la langue »