La justice (cours de philosophie)
Nous voici devant une notion aussi lourde de sens que difficile à définir. Étymologiquement (de jus, juris, le Droit) la Justice est l'application du Droit, et en ce sens, le mot se confond avec la constatation de l’accord entre la règle (ou la loi) et l’action individuelle. En tant qu’institution, la Justice (c’est-à-dire l’ensemble des tribunaux et de leurs annexes fonctionnelles) est l’appareil d’évaluation de la conformité ou de la non-conformité des conduites avec les règles du Droit positif, ainsi que l’appareil ordonnant les peines et sanctions en fonction de l’évaluation des infractions (ou non-conformité des actes par rapport au Code). Cependant le sens commun distingue avec raison « le juste » (l’homme juste) du juriste ou même du juge. Quand Saint-Louis « rendait la justice » au pied de son arbre, il ne comparait pas des conduites individuelles avec un code, il réglait et résolvait des situations conflictuelles, écoutait des doléances et y portait remède, rectifiait les injustices résultant de l'application du droit coutumier ou de la Loi, et cela en se guidant sur un « sentiment » qui répondait chez ses interlocuteurs à une espérance. Il y a alors appel à quelque chose de plus haut que l’application d’une règle prescrite, appel à une Idée, à une Valeur, à un Idéal. Platon a considéré la Justice comme un des visages du Bien (les autres visages étant le Vrai et le Beau), et après lui, toute la lignée des philosophies religieuses a pratiquement identifié la Justice à Dieu, confirmant par là que la Justice est une valeur absolue en même temps qu’une aspiration humaine universelle. Il est cependant de l’essence de l'idéal de n’être jamais complètement réalisé ici-bas.
— I — Les différentes formes de la justice.
La Justice est le respect et la défense des Droits de l’Homme et des contrats passés librement entre les hommes, y compris le contrat social tacite par lequel une institution politique est reconnue et obéie dans la mesure où elle garantit, en échange, la satisfaction des intérêts et aspirations de ses membres.
1 — La justice peut être d'abord individuelle, légale ou sociale.
A — Individuelle, elle fait « le juste » qui est l’homme ou la femme à la vie personnelle unifiée et mettant en pratique un idéal moral sans équivoque ni faiblesse. Dès la plus haute Antiquité, le Juste se confond avec le Sage, c’est-à-dire avec l’homme qui a sacrifié toute recherche d’intérêt égocentrique, qui se détourne des vanités de ce monde, qui peut donc aimer ses semblables d’un amour désintéressé, et leur donner des conseils valables, fruits de son Savoir et de son authenticité. Proche du « Juste » est le « Saint ». « Le Saint », écrit Max Scheler (dans Le Saint, le Génie, le Héros , 1916) « a une attitude fondamentale : celle d’être continuellement orienté, par l’amour et la contemplation, vers Dieu... et non pas, comme les autres, vers le monde... Il agit seulement par sa Présence. » Dans le langage courant, l’homme dit « juste » est sans passion, raisonnable et de bonne volonté (par surcroît disons qu’il doit être aussi intelligent et informé) et surtout décidé et constant. B — Légale, elle est obéissance à la loi. L’application stricte de la loi, dans toute la rigueur de sa lettre, peut quelquefois être injuste en ce qu'elle ne tient pas compte de la situation humaine. En ce sens on peut dire « Summum jus, summa injuria » (L’application la plus grande du droit est la plus grande injustice) ; par exemple, un commissaire d’aéroport laisse à terre, à une escale, deux jeunes bambins parce que la convoyeuse n'a pas les papiers strictement en règle et les petits sont perdus pendant trois jours dans une ville inconnue pendant que la mère les attend en vain à l’aérodrome d’arrivée situé à l’étranger (exemple authentique : le commissaire appliquait le droit le plus strict).
C — Sociale, elle est organisation du bien commun. La justice sociale se traduit par la création d’institutions qui réalisent une amélioration d’un des éléments du bien-être collectif. Elle est en particulier l’organisation de l'assistance de l’État aux faibles ou aux malades. Exemple : l’institution de la Sécurité Sociale, de la retraite aux vieux travailleurs, des allocations familiales, etc. sont des faits de justice sociale. Celle-ci crée à la fois de nouvelles obligations pour l’État et de nouveaux droits (tour les ressortissants.
2 — La justice peut être commutative, distributive ou rectificative.
Cette distinction était déjà faite au temps d'Aristote et fut reprise par la scolastique au Moyen Age, pour ce qui est des deux premières formes.
A — Commutative, elle préside aux contrats et échanges ; elle requiert l’égalité de principe entre les contractants et l’équivalence des choses échangées. Quand l’État emprunte aux particuliers à un moment où l’argent emprunté a un pouvoir d’achat donné, et qu’il rembourse dix ans après alors que le pouvoir d’achat a baissé de 50 %, il manque...