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LA DÉTENTE (1963-1975)

LA DÉTENTE (1963-1975)

D'abord employé aux États-Unis, le mot « détente » désigne le rapprochement américano-soviétique qui, entamé après la « crise des fusées » de Cuba (1962), culmine au début des années 1970. Cette période est marquée par une volonté de dialogue se traduisant par des accords de limitation des armements et une ouverture commerciale. Cette attitude de négociation aboutit en 1975 pour l’Europe aux accords d’Helsinki. En revanche, cette entente n’empêche pas que la compétition et l’affrontement se poursuivent dans les États du tiers monde.

Les raisons de la Détente.

La crise de Cuba a fait prendre conscience des dangers du feu nucléaire et de sa prolifération. Dès septembre 1963, un télétype, le « téléphone rouge », relie Moscou et Washington et permet une communication rapide en cas de crise grave. Un mois plus tôt, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’URSS souscrivent au traité de Moscou interdisant les essais nucléaires à l’air libre, que pratique alors la France détentrice de l’arme nucléaire depuis 1960. Ces trois mêmes États signent en 1968 un traité de non-prolifération des armes atomiques (TNP) également refusé par la France et la Chine, devenue puissance nucléaire en 1964.

Les deux superpuissances doivent aussi tenir compte de l’éclatement des blocs. À l’Est, la rupture entre la Chine et l’URSS, le schisme sino-soviétique, entamée en 1960, tourne à l’affrontement limité en 1969 sur la frontière entre les deux pays. En Europe, l’URSS est confrontée à la volonté d’autonomie des démocraties populaires. La tentative réformatrice en Tchécoslovaquie, le « printemps de Prague », est ainsi brutalement interrompue avec l’intervention en août 1968 des troupes du pacte de Varsovie. À l’Ouest, les États-Unis ne sont plus le leader incontesté du « monde libre ». Le Japon et la CEE (Communauté économique européenne) se posent peu à peu en concurrents économiques. En France, le président de la République, le général de Gaulle, fait retirer en 1966 les troupes françaises du commandement intégré de l’OTAN, tout en maintenant l’adhésion de la France au pacte nord-atlantique. La République fédérale d’Allemagne (RFA), forte de ses succès économiques, s’engage dans une politique indépendante d’ouverture à l’Est, l’Ostpolitik. Le tiers monde, enfin, renforce son audience avec la création en 1961 du mouvement des non-alignés ; il dispose en outre de la majorité des sièges à l’Assemblée générale de l’ONU du fait de la récente accession de nombreux pays à l’indépendance.

De plus, les deux superpuissances connaissent des difficultés internes. L’URSS, à la croissance économique ralentie, doit financer la course aux armements. Aussi la nouvelle équipe au pouvoir à partir de 1964 autour de Leonid Brejnev accepte-t-elle la Détente comme un moyen d’inaugurer des relations privilégiées et égalitaires avec les États-Unis et de s’ouvrir aux technologies occidentales. Alors que les États-Unis sont enlisés dans la guerre du Vietnam, le président Richard Nixon, élu en 1968, et son conseiller Henry Kissinger entrent aussi dans une logique de négociation. Ils se proposent de lier accords politiques et ouverture économique tout en jouant une puissance communiste (la Chine) contre l’autre (l’Union soviétique).

Les manifestations de la Détente.

La Détente passe d’abord par un renforcement des liens américano-soviétiques. Au moment où l’URSS rattrape son retard nucléaire vis-à-vis des États-Unis, les deux « grands » lancent un mécanisme permanent d’« entretiens sur la limitation des armements stratégiques » (négociation SALT). Le premier accord (SALT I) signé en mai 1972 à Moscou, en la présence de R. Nixon, gèle pour cinq ans le nombre de missiles stratégiques et limite le déploiement du système antimissiles chargé de protéger les grandes villes. L’année suivante, les deux superpuissances s’engagent sur un accord de prévention de la guerre nucléaire, ce qui revient à ne pas frapper les territoires américain et soviétique. Parallèlement les États-Unis approvisionnent en céréales l’URSS, tandis que le vol spatial commun Apollo-Soyouz en 1975 symbolise la Détente aux yeux de tous.

Dans le même temps, R. Nixon choisit de reconnaître la Chine communiste, soutenant son entrée à l’ONU en octobre 1971 et rencontrant à Pékin, en février 1972, le dirigeant chinois Mao Zedong (après une visite secrète de H. Kissinger en juillet 1971).

En Europe, la Détente se traduit par l’acceptation des frontières héritées de 1945. En RFA, le chancelier Willy Brandt, initiateur de l’Ostpolitik, normalise à partir de 1969 les rapports de son pays avec le bloc soviétique, renonçant ainsi aux territoires perdus. En 1972, les deux États allemands se reconnaissent mutuellement, la RFA abandonnant tout droit sur Berlin-Ouest. La Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), réunissant à Helsinki, à partir de 1973, les États-Unis, le Canada et tous les États européens (sauf l’Albanie), entérine en 1975 le tracé des frontières européennes. Parallèlement les principes d’une coopération économique et du respect des droits de l’homme sont posés.

Les limites de la Détente.

Les deux « grands » misent sur le dialogue Est-Ouest pour maintenir leur zone d’influence réciproque. Ainsi ni l’engagement des États-Unis au Vietnam, ni la répression du « printemps de Prague » ne donnent lieu à une crise majeure. Pourtant, la Détente ne met pas un terme à la course aux armements. L’accord SALT I n’empêche pas les Soviétiques d’équiper, à l’image des Américains, leurs missiles d’ogives nucléaires multiples. La Détente n’empêche pas non plus la compétition Est-Ouest dans le tiers monde. L’URSS y bénéficie souvent d’un a priori favorable, à l’inverse des États-Unis dont l’image est ternie par leur intervention dans la guerre du Vietnam. Ainsi, l’URSS se rapproche de l’Inde en 1971 et peut compter sur le soutien, à partir de 1975, du Vietnam réunifié et du Laos. Elle renforce ses positions au Proche-Orient en s’appuyant sur l’Irak et la Syrie. En Afrique, la Somalie en 1974, puis en 1975 le Mozambique et l’Angola (qui viennent d’accéder à l’indépendance) sont souvent perçus, à tort ou à raison, comme des « pions » soviétiques sur l’échiquier géopolitique.

Au milieu de la décennie, la Détente se délite, l’équilibre Est-Ouest semblant rompu au profit de l’URSS, alors que la crise économique abolit les solidarités à l’Ouest et que le front des pays du tiers monde va progressivement se fissurer devant la mise en échec de ses revendications politiques en faveur d’un Nouvel ordre économique international (NOEI). Les tensions reviennent alors entre les deux superpuissances, conduisant à une seconde guerre froide.

François SIREL

Serge Bernstein, Pierre Milza,  Histoire du XXe siècle (t. 2 :  1945-1973, le monde entre guerre et paix), Hatier, coll. « Initial », Paris, 1996. Bernard Droz, Antony Rowley,  Histoire générale du XXe siècle (t. 3 :  Expansion et indépendances 1950-1973), Seuil, coll. « Points Histoire », Paris, 1982. Georges Corm,  Le Proche-Orient éclaté : 1956-2003, Gallimard, coll. « Folio Histoire », Paris, 2003 (3e éd.). Jean-Baptiste Duroselle,  Histoire diplomatique de 1919 à nos jours, Dalloz, Paris, 1993 (11e édition). André Fontaine,  Histoire de la détente, 1962-1981 : un seul lit pour deux rêves Seuil, Paris, 1984. Alain Joxe,  Le Cycle de la dissuasion (1945-1990). Essai de stratégie critique, La Découverte/FEDN, Paris, 1990. Maurice Vaïsse,  Les Relations internationales depuis 1945, Armand Colin, Paris, 2004 (9e éd.). Charles Zorgbibe,  Histoire des relations internationales (vol. 4 :  Du schisme Moscou-Pékin à l’après-guerre froide, 1962 à nos jours), Hachette, coll. « Pluriel », Paris, 1995.
 

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