La déclaration du maréchal Pétain devant la Haute Cour de Justice (23 juillet 1945)
La déclaration du maréchal Pétain devant la Haute Cour de Justice (23 juillet 1945)
Le maréchal Pétain prétend avoir servi de bouclier face à l’occupant allemand, afin de mieux protéger les Français. Ces arguments ne convainquirent pas la Haute Cour de Justice qui condamna, à une voix de majorité, le maréchal Pétain à mort, tout en demandant sa grâce, qui fut accordée par le général de Gaulle. La défense du maréchal Pétain n’était pas étayée par les faits et admettait l’exclusion de la communauté nationale des juifs et des adversaires du régime de Vichy. Si la guerre avait été gagnée par l’Allemagne, le régime du maréchal Pétain aurait-il pu évoluer hors de toute influence allemande? On peut très sérieusement en douter et considérer ce texte comme une défense habile, mais dont la validité est infirmée par l’histoire.
C’est le peuple français, qui par ses représentants, réunis en Assemblée nationale, le 10 juillet 1940, m’a confié le pouvoir. C’est à lui que je suis venu rendre des comptes. La Haute Cour, telle qu’elle est constituée, ne représente pas le peuple français, et c’est à lui seul que s’adresse le Maréchal de France, chef de l’État. Je ne ferai pas d’autre déclaration. Je ne répondrai à aucune question. Mes défendeurs ont reçu de moi la mission de répondre à des accusations qui veulent me salir et qui n’atteignent que ceux qui les profèrent.
J’ai passé ma vie au service de la France. Aujourd’hui, âgé de quatre-vingt-dix ans, jeté en prison, je veux continuer à la servir en m’adressant à elle une fois encore. Qu’elle se souvienne... J’ai mené ses armées à la victoire, en 1918. Puis, alors que j’avais mérité le repos, je n’ai cessé de me consacrer à elle. J’ai répondu à tous ses appels, quels que fussent mon âge et ma fatigue. Le jour le plus tragique de son histoire, c’est encore vers moi qu’elle s’est tournée. Je ne demandais ni ne désirais rien. On m’a supplié de venir : je suis venu. Je devenais ainsi l’héritier d'une catastrophe dont je n’étais pas l’auteur, les vrais responsables s’abritaient derrière moi pour écarter la colère du peuple. Lorsque j’ai demandé l’armistice, d’accord avec nos chefs militaires, j’ai accompli un acte nécessaire et sauveur. Oui, l’armistice a sauvé la France et contribué à la victoire des Alliés en assurant une Méditerranée libre et l’intégrité de ('Empire. Le pouvoir m’a été alors confié légitimement et reconnu par tous les pays du monde, du Saint-Siège à l’URSS. De ce pouvoir, j’ai usé comme d’un bouclier pour protéger le peuple français. Pour lui, je suis allé jusqu’à sacrifier mon prestige. Je suis demeuré à la tête d’un pays sous l’occupation. Voudra-t-on comprendre la difficulté de gouverner dans de telles conditions ? Chaque jour, un poignard sur la gorge, j’ai lutté contre les exigences de l’ennemi. L’Histoire dira tout ce que je vous ai évité, quand mes adversaires ne pensent qu’à me reprocher l’inévitable. L’occupation m’obligeait à ménager l'ennemi, mais je ne le ménageais que pour vous ménager vous-mêmes en attendant que le territoire soit libéré. L’occupation m’obligeait aussi, contre mon gré et contre mon cœur, à tenir des propos, à accomplir certains actes dont j’ai souffert plus que vous, mais, devant les exigences de l'ennemi, je n’ai rien abandonné d’essentiel à l’existence de la patrie. Au contraire, pendant quatre années, par mon action, j’ai maintenu la France, j’ai assuré aux Français la vie et le pain, j’ai assuré à nos prisonniers le soutien de la nation. Que ceux qui m’accusent et prétendent me juger s’interrogent au fond de leur conscience pour savoir ce que, sans moi, ils seraient peut-être devenus. Pendant que le général de Gaulle, hors de nos frontières, poursuivait la lutte, j’ai préparé les voies à la libération, en conservant une France douloureuse mais vivante. A quoi, en effet, eût-il servi de libérer des ruines et des cimetières ? C’est l’ennemi seul qui, par sa présence sur notre sol envahi, a porté atteinte à nos libertés et s’opposait à notre volonté de relèvement. J’ai réalisé, pourtant, des institutions nouvelles ; la Constitution que j’avais reçu mandat de présenter était prête, mais je ne pouvais la promulguer. Malgré d’immenses difficultés, aucun pouvoir n’a, plus que le mien, honoré la famille, et pour empêcher la lutte des classes, cherché à garantir les conditions du travail à l’usine et à la terre. La France libérée peut changer les mots et les vocables. Elle construit, mais elle ne pourra construire utilement que sur les bases que j’ai jetées. C’est à de tels exemples que se reconnaît, en dépit des haines partisanes, la continuité de la patrie. Nul n’a le droit de l’interrompre. Pour ma part, je n’ai pensé qu’à l’union et à la réconciliation des Français. Je vous l’ai dit encore le jour où les Allemands m’emmenaient prisonnier parce qu’ils me reprochaient de n’avoir cessé de les combattre et de ruiner leurs efforts. Je sais qu’en ce moment, si certains ont oublié, depuis que je n’exerce plus le pouvoir, ce qu’ils ont dit, écrit ou fait, des millions de Français pensent à moi, qui m’ont accordé leur confiance et me gardent leur fidélité. Ce n’est point à ma personne que vont l’une et l’autre, mais, pour eux comme pour bien d’autres à travers le monde, je représente une tradition qui est celle de la civilisation française et chrétienne, face aux excès de toutes les tyrannies. En me condamnant, ce sont ces millions d’hommes que vous condamnerez dans leur espérance et dans leur foi. Ainsi, vous aggraverez ou vous prolongerez la discorde de la France, alors qu’elle a besoin de se retrouver et de s’aimer pour reprendre la place qu’elle tenait autrefois parmi les nations. Mais ma vie importe peu. J’ai fait à la France le don de ma personne. C’est à cette minute suprême que mon sacrifice ne doit plus être en doute. Si vous deviez me condamner, que ma condamnation soit la dernière et qu’aucun Français ne soit plus jamais condamné ni détenu pour avoir obéi aux ordres de son chef légitime. Mais, je vous le dis à la face du monde, vous condamneriez un innocent en croyant parler au nom de la justice et c’est un innocent qui en porterait le poids, car un Maréchal de France ne demande de grâce à personne. A votre jugement répondront celui de Dieu et celui de la postérité. Ils suffiront à ma conscience et à ma mémoire.
Je m’en remets à la France.
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