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La Boétie: Les esclaves volontaires

Dans le "Discours de la servitude volontaire" 115741, La Boétie s'étonne de la manière dont les peuples acceptent de subir le pouvoir de leurs maîtres. On y a vu tantôt un plaidoyer progressiste en faveur de la-liberté, tantôt la manifestation naïve d'un humanisme idéaliste qui ne prend pas en compte l'autonomie du politique et le jeu des forces qui s'exercent sur les individus.

Problématique

Loin des réflexions modernes sur les rouages multiples du pouvoir et les ruses qu'il est capable de mettre en oeuvre pour mieux asseoir sa puissance, La Boétie se pose une question toute simple : pourquoi les gens obéissent-ils ? S'il y a des tyrannies, des régimes dictatoriaux ou totalitaires, ils ne peuvent fonctionner que s'il y a assez d'individus pour les soutenir.

Enjeux

Les régimes politiques qui paraissent arbitraires ou injustes ne sont en réalité que le reflet des hommes qu'ils gouvernent. Si La Boétie a raison, tous les régimes politiques sont justes, puisqu'ils sont le reflet de la complicité, même passive, de ceux qui vivent sous un tel régime. Comme le montre l'expérience, un régime politique ne peut subsister dès lors que la population ne veut plus vivre sous son autorité. Corrélativement, un tel régime ne peut fonctionner que s'il rencontre suffisamment de complicité. Il faut pourtant se demander pourquoi les hommes acceptent la servitude : est-ce par ignorance ? Par lâcheté ? Les hommes sont-ils maîtres de leur histoire ?

Les esclaves volontaires

Pour le moment je désirerais seulement qu'on me fît comprendre comment il se peut que tant d'hommes, tant de villes, tant de nations, supportent quelquefois tout d'un tyran seul, qui a de puissance que celle qu'on lui donne, qui n'a de pouvoir de leur nuire qu'autant qu'ils veulent bien l'endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal s'ils n'aimaient mieux tout souffrir de lui, que de le contredire. [...] Ainsi que le feu d'une étincelle devient grand et toujours se renforce, et plus il trouve de bois à brûler, plus il en dévore, mais se consume et finit par s'éteindre de lui-même quand on cesse de l'alimenter ; pareillement plus les tyrans pillent, plus ils exigent ; plus ils ruinent et détruisent, plus on leur fournit, plus on les gorge ; ils se fortifient d'autant et sont toujours mieux disposés à anéantir et à détruire tout ; mais si on ne leur donne rien, si on ne leur obéit point, sans les combattre, sans les frapper, ils demeurent nus et défaits. Et pourtant ce tyran, seul, il n'est pas besoin de le combattre, ni même de s'en défendre ; il est défait de lui-même, pourvu que le pays ne consente point à la servitude. Il ne s'agit pas de lui rien arracher, mais seulement de ne lui rien donner. Qu'une nation ne fasse aucun effort, si elle veut, pour son bonheur, mais qu'elle ne travaille pas elle-même à sa ruine ; Ce sont donc les peuples qui se laissent, ou plutôt se font garrotter, puisqu'on refusant seulement de servir, ils briseraient leurs liens. C'est le peuple qui s'assujettit et se coupe la gorge ; qui, pouvant choisir d'être sujet ou d'être libre, repousse la liberté et prend le joug, qui consent à son mal ou plutôt le pourchasse. S'il lui coûtait quelque chose pour recouvrer sa liberté je ne l'en presserais point : bien que rentrer dans ses droits naturels et, pour ainsi dire, de bête redevenir homme, soit vraiment ce qu'il doive avoir le plus à cœur.

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