KAZANTZAKIS Nikos. Poète, dramaturge et romancier grec
KAZANTZAKIS Nikos. Poète, dramaturge et romancier grec. Né le 18 février 1883 à Héraklion (Crète), mort le 26 octobre 1957 à Freiburg-im-Briesgau (Allemagne). Si c'est assurément la figure la plus célèbre, à l'étranger, de la littérature grecque, elle fut aussi dans son pays, malgré une officialisation tardive, très controversée, mal connue. Ecrivain doué d'appétits intellectuels insatiables et d'une étonnante force de travail, Kazantzakis réquisitionna pour son oeuvre tous les genres, depuis l'essai philosophique de sa jeunesse jusqu'aux grands romans de sa maturité, en passant par les 33 333 vers de son Odyssée, où il voulait voir « la prodigieuse épopée de la race blanche » et le couronnement de toute sa vie. Fils aîné d'une vieille et patriarcale famille Crétoise, il eut une enfance marquée par les guerres d'Insurrection contre la domination turque. C'est à celles-ci qu'il dut de suivre pendant deux ans les cours du Lycée français de Naxos, où sa famille s'était réfugiée. Le 20 septembre 1902, il quitte son « berceau » crétois pour venir faire son Droit à Athènes. Et quatre ans plus tard, en même temps qu'il obtient son diplôme de Docteur, il fait sa première apparition dans les Lettres grecques : par un essai d'abord, « La maladie du siècle », publié sous le pseudonyme de Karma Nirvani, et surtout par une longue nouvelle baroque dont « l'immoralité » fit scandale, Le Serpent et le lys [1906]. Les mois suivants, il compose plusieurs pièces de théâtre, dont l'une fut même couronnée dans un concours dramatique. Mais déjà la vie d'homme de lettres à Athènes ne lui suffit plus et il décide d'aller faire l'apprentissage de Paris. Il y passera un an, travaillant sans cesse à une thèse sur Nietzsche, assidu aux cours de Bergson, trouvant encore le temps d'envoyer quelques reportages à des quotidiens d'Athènes. On voit, par ces premières années, se dessiner les grands traits de l'homme, qui seront à l'origine de son oeuvre : une instabilité foncière que les voyages ne parviennent pas à épuiser, une volonté obstinée, inflexible, une attirance pour les grands figures spirituelles. Comme il devait le déclarer dans sa Lettre au Gréco en 1965, il reconnaissait quatre étapes à son « ascension » : Le Christ, Bouddha, Lénine, Ulysse. Et si elles ne se succédèrent pas chronologiquement, chacune d'elles éclaire un aspect de l'oeuvre : sa conception du christianisme fera l'objet de nombreuses pièces de théâtre et de deux romans, Le Pauvre d'Assise (1956) et La Dernière Tentation (1955), mis à l'index par le Vatican peu après sa parution. La pensée philosophique, celle de Nietzsche en particulier, continua de le tourmenter bien au-delà de ses études parisiennes et les nombreuses traductions qu'il fit à son retour en Grèce en 1911 sont révélatrices : Ainsi parlait Zarathoustra, et des oeuvres de Bergson, Darwin, Büchner, Maeterlinck, etc. Pour Lénine, « le Christ rouge », il abandonna ses premières convictions aristocratiques et entreprit plusieurs longs voyages en Russie. Et s'il s'éloigna plus tard des conceptions marxistes (dont il n'avait jamais entièrement accepté la philosophie) pour prôner une révolution individuelle, mystique au besoin, sa réputation, en Grèce, a néanmoins été longtemps « entachée » de communisme et cela facilita les malentendus avec son pays. A Ulysse enfin, la dernière et la plus idéale de ses figures héroïques, il s Identifie à plusieurs reprises dans les chants de son Odyssée, parfois même dans sa vie personnelle : c'est ainsi qu'au cours de l'été 1919, il se charge de ramener à bon port plus de cent mille citoyens grecs du Caucase, chassés par la Révolution. A côté de ces figures légendaires auxquelles se conforma plus ou moins l'écrivain, l'homme eut dans sa vie des amitiés aussi déterminantes, sinon davantage : c'est d'abord, en 1914, Sikélianos, nature dionysiaque, poète comblé par le sort, avec lequel il parcourra la Grèce à plusieurs reprises, à la recherche « d'une terre et d'une race ». Puis en 1917, la fameuse rencontre avec Georges Zorba. Leur vie commune dura un an et demi, dans le Magne, et l'on sait de quel prix elle fut pour Kazantzakis malgré l'échec final de leur entreprise. Nommons enfin « l'esprit frère », Panait Istrati, à qui l'unissaient un talent égal de conteur et un humanisme désespéré. Ils se rencontrent à Moscou en 1927, invités pour le 10e anniversaire de la Révolution, et, ensemble, voyagent à travers la Russie, s'enthousiasment, pensent même s'y installer, rendent visite à Gorki. Puis les divergences apparaissent, accrues par leur force de caractère : la brouille qui les sépare, l'année suivante, ne s'estompera que devant la mort prochaine de l'écrivain roumain. En 1929, âgé de 46 ans, Kazantzakis n'avait donc fait que chercher une issue à travers d'innombrables voyages en Europe, en Russie ou au Proche-Orient. Comme écrivain, à l'exception de son premier roman, déjà oublié, il n'est que l'auteur du volume En voyageant (1927), de tragédies pas toujours publiées illustrant son penchant pour les figures isolées, angoissées (Ulysse, Héraklès, Bouddha), et qui étaient le plus souvent difficiles à jouer et d'un tout petit livre : Ascèse (1927). Composé durant un séjour à Berlin, « cri de recherche et d'angoisse » devant la décomposition générale de l'après-guerre, c'était pour lui la « graine d'où allait fleurir toute son oeuvre ». Sous forme d'aphorismes métaphysiques, il condensait toutes ses conceptions morales et philosophiques par la théorie des « Cinq Cercles » : Ego-Humanité-Terre-Univers-Dieu. Après le semi-échec d'un roman inspiré par la Russie, Toda-Raba (1929), kazantzakis se remet à la composition de son « grand oeuvre », qui n'était que le prolongement poétique d'Ascèse, l'Odyssée. Jusqu'à sa parution en 1938, elle connut sept versions successives et lui coûta 14 ans d'un travail acharné. Commençant à dessein là ou s'achevait celle d'Homère (le retour à Ithaque), elle suivait l'errance spirituelle d'un nouvel Ulysse jusqu'à sa mort, suprême initiation, au Pôle Sud. Écrite dans une langue parfois très ardue, sa taille démesurée, son mètre inhabituel de dix-sept syllabes, lui réservèrent un accueil partagé et elle reste encore aujourd'hui l'oeuvre la plus ignorée de Kazantzakis. A la même époque, comme autant de petits «gardes du corps» de l'Odyssée, il composait une série de 24 Tercets [ parus en 1960 seulement] à la manière de Dante, consacré à tous ceux qui eurent un rôle dans le façonnement de sa personnalité : Moïse, le Gréco, Vinci, Shakespeare, etc. Durant l'entre-deux-guerres, la vie de Kazantzakis présente le tableau d'une activité infatigable, presque frénétique : il compose une histoire de la littérature russe, rédige un dictionnaire français-grec, traduit la Divine Comédie ou le Faust de Goethe en moins de deux mois. Et cela ne l'empêche pas, revenant régulièrement à la solitude de sa maison à Egine, de passer plusieurs étés à Paris, un an à Gottesgab, de traverser l'Espagne en 1932 puis d'y séjourner lors de la guerre civile, de visiter le Japon, la Chine, l'Angleterre (au début de la guerre). De chacune de ses randonnées, il ramène un volume En voyageant où, derrière les épisodes, les personnages évoqués, transparaissent toujours ses inquiétudes fondamentales. Puis la guerre s'installe en Grèce et il se retire à Egine, occupé à la composition de plusieurs pièces de théâtre et surtout d'Alexis Zorba (1946). A la Libération, ébranlé par le drame que venaient de connaître la Grèce et l'Europe, il se lance dans des activités politiques qui, toutes, seront vouées à l'échec : il fonde une « Union Ouvrière Socialiste » sans avenir, participe même au gouvernement, pour démissionner presque aussitôt. En Angleterre, invité du British Council, il tente vainement de mettre sur pied une « Internationale de l'esprit ». propose-t-il sa candidature à l'Académie grecque ? Il lui manque deux voix. Essaie-t-il de se faire attribuer le Prix Nobel ? Il échouera en 1946 comme les années suivantes. En revanche, pour l'écrivain, la grande période romanesque qui s'est ouverte avec la parution d'Alexis Zorba va bientôt connaître une consécration internationale. Car si son apport à la littérature a été jusqu'à présent plutôt austère, Kazantzakis sent également en lui une veine réaliste, « où il n'y aurait pas de lui », qu'il brûle d'exploiter. Désormais délivré de toute obligation, il se fixe à Antibes en 1948 et il ne lui faudra pas plus de quatre ans pour composer quatre grandes fresques romanesques et autant de pièces de théâtre. Et ce n'est pas la moindre des contradictions de sa vie que la reconnaissance à laquelle il aspirait lui parvînt d'un « délassement » romanesque, venant bien après ce qu'il avait pris pour l'achèvement de son « oeuvre ». En deux mois, il compose Le Christ recrucifié (1954) qui met en scène, parallèlement à la représentation symbolique de la Passion, le drame des réfugiés dans un petit village d'Anatolie, et leur lutte pour survivre dans un monde inique. Le livre a un succès immense, fait l'objet de nombreuses traductions étrangères, connaît même une adaptation cinématographique. L'année suivante, en même temps qu'un roman sur la guerre civile, Les Frères ennemis (1949), il achève La Liberté ou la mort (1953). La Grèce et son combat pour l'indépendance en sont le véritable sujet, à travers le personnage héroïque du kapétan Michalis, où l'on retrouve souvent, en filigrane, des traits du propre père de l'écrivain. Cette somme romanesque, foisonnante peinture de moeurs soutenue par une langue très riche, permet à Kazantzakis d'appréhender les grands thèmes qui l'ont hanté toute sa vie : la mort, Dieu, l'éternel affrontement entre la chair et l'esprit. En 1955, il s'attelle à la composition de la Lettre au Gréco (1956), testament spirituel sous forme de roman autobiographique. Et il travaille de façon ininterrompue jusqu'à son départ pour la Chine, qui lui sera fatal. La mort l'a enlevé au délai de dix ans qu'il s'était fixé pour achever son oeuvre, laissant cette dernière comme seul témoignage et justification d'une vie acharnée à se dépasser elle-même. Tel l'un de ses personnages qui, encerclé par les Turcs, leur avait lancé : « La Liberté et la Mort ! », il a fait graver sur sa tombe, à Héraklion : « Je n'espère rien, je ne crains rien, je suis libre. » ? « Le bon et le mauvais, le fort et le faible cohabitent en lui; il met tous ces éléments à son service, les dompte et se laisse guider par eux. Ses personnages sont ses égaux, sont lui. Peu d'écrivains ont eu le courage de regarder en face, avec autant de lucidité, l'image que lui renvoyaient ses créatures. » Aziz Izzet. ? « Kazantzakis appartient à un type d'hommes que notre époque appelle Outsider, ou Etranger, ou Rebelle. Une dénomination plus appropriée serait peut-être « Le Solitaire » ainsi Kazantzakis surnomme-t-il son Ulysse puisque son signe le plus distinctif est son recul par rapport au monde. » Pandélis Prévélakis. ? « Kazantzaki !... Ces quatre syllabes évoquent aujourd'hui en Grèce un personnage énigmatique, légendaire, admiré de quelques isolés, aimé de ceux qui l'ont vraiment connu, dénigré par ceux qui refusent de le reconnaître, redouté du plus grand nombre. » Colette Janiaud-Lust.
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