KANT : L'INSOCIABLE SOCIABILITÉ DES HOMMES
KANT : L'INSOCIABLE SOCIABILITÉ DES HOMMES
Sans nier la présence en nous de tendances sociables, Kant perçoit qu'elles sont inséparables de tendances inverses, de penchants à l'insociabilité. Loin d'approuver les premières en condamnant les secondes, comme inviterait à le faire une analyse morale, le philosophe pense que les progrès de l'humanité résultent précisément du conflit de ces tendances dans notre nature.
« L'homme a un penchant à s’associer, car dans un tel état, il se sent plus qu’homme par le développement de ses dispositions naturelles. Mais il manifeste aussi une grande propension à se détacher (s’isoler), car il trouve en même temps en lui le caractère d’insociabilité qui le pousse à vouloir tout diriger dans son sens ; et de ce fait, il s’attend à rencontrer des résistances de tout côté, de même qu’il se sait par lui-même enclin à résister aux autres. C'est cette résistance qui éveille toutes les forces de l'homme, le porte à surmonter son inclination à la paresse, et, sous l'impulsion de l’ambition, de l’instinct de domination ou de cupidité, à se frayer une place parmi ses compagnons qu’il supporte de mauvais gré, mais dont il ne peut se passer. L’homme a alors parcouru les premiers pas, qui de la grossièreté le mènent à la culture dont le fondement véritable est la valeur sociale de l'homme. [...] Sans ces qualités d'insociabilité, peu sympathiques certes par elles-mêmes, source de la résistance que chacun doit nécessairement rencontrer à ses prétentions égoïstes, tous les talents resteraient à jamais enfouis en germe, au milieu d'une existence de bergers d'Arcadie, dans une concorde, une satisfaction et un amour mutuel parfaits ; les hommes, doux comme les agneaux qu'ils font paître, ne donneraient à l'existence guère plus de valeur que n’en a leur troupeau domestique. [...] Remercions donc la nature pour cette humeur non conciliante, pour la vanité rivalisant dans l'envie, pour l'appétit insatiable de possession ou même de domination. Sans cela toutes les dispositions naturelles excellentes de l'humanité seraient étouffées dans un éternel sommeil. »
Kant, La Philosophie de l'Histoire, Médiations, p. 31-32
ordre des idées
1) Premier constat : l'homme est sociable, il ne peut s'isoler des autres, il développe grâce à eux ses potentialités. 2) Second constat : l'homme est insociable, il a tendance à s'opposer aux autres, ses relations avec eux sont souvent conflictuelles. 3) Cause de notre insociabilité : la nature humaine, l'instinct plus que la conscience ou la volonté. 4) Conséquences de l'insociable sociabilité. Elle est : — moralement condamnable ; —paradoxalement à l'origine du développement de toutes les capacités des hommes.
Liens utiles
- « J'entends (...) par antagonisme l'insociable sociabilité des hommes, c'est-à-dire leur inclination à entrer en société, inclination qui est cependant doublée d'une répulsion générale à le faire, menaçant constamment de désagréger cette société. » Kant, Idée d'une histoire universelle, 1784. Commentez cette citation.
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