KANT : LA PASSION EST UNE MALADIE DE L'ÂME

KANT : LA PASSION EST UNE MALADIE DE L'ÂME

Beaucoup de philosophes (notamment, Platon, les stoïciens, Descartes) s'accordent pour condamner les passions, c'est-à-dire, au sens classique, toutes les affections de l'âme issues soit de sa partie bestiale, soit du corps. L'âme, en effet, les subit puisqu'elles lui sont étrangères, et, dans le cas extrême des passions entendues au sens moderne, se voit réduite par elles en esclavage. C'est le mécanisme de cet esclavage qu'analyse ici Kant. « Ce que l’émotion de la colère ne fait pas dans le moment de l’exaspération, elle ne le fait pas du tout ; de plus, elle s’oublie aisément. Mais la passion de la haine prend son temps pour s’enraciner profondément et pour penser à son ennemi [...]. Celui qui va en colère vous trouver dans votre chambre pour vous dire des gros mots dans son emportement, engagez-le poliment à s'asseoir ; si cela réussit, ses injures seront déjà moins violentes, parce que la commodité d’être assis est une absence de tension musculaire qui va mal avec les gestes menaçants et les cris de l’homme dressé. La passion, au contraire, se donne du temps, si violente qu'elle puisse être, pour atteindre sa fin ; elle est réfléchie. L'émotion agit comme une eau qui rompt sa digue ; la passion comme un torrent qui se creuse un lit de plus en plus profond [...]. Où il y a beaucoup d'émotion, il y a généralement peu de passion [...]. On v oit facilement que les passions, justement parce qu'elles peuvent se concilier avec la réflexion la plus tranquille, portent la plus grande atteinte à la liberté, et que, si l’émotion est une ivresse, la passion est une maladie qui résiste à tous les moyens thérapeutiques [...]. L'émotion ne porte qu’une atteinte momentanée à la liberté et à l’empire sur soi. La passion en est l'abandon et trouve son contentement dans le sentiment de la servitude. »

Kant, Anthropologie, § 74, 80, 81 (Besançon, A, 80)

ordre des idées

1) Une comparaison de l’émotion et de la passion :

a) L’émotion est passagère tandis que la passion est durable. — Un exemple : la colère (= émotion) peut disparaître à la suite d'un simple changement de la position du corps, ce qui ne saurait être le cas de la haine (= passion). b) L'émotion est irréfléchie, tandis que la passion est réfléchie.

2) Une conséquence : parce qu'elle est réfléchie, la passion représente une atteinte beaucoup plus grave à la liberté et à la maîtrise de soi que l'émotion.