Databac

Kant et l'éducation morale des enfants

« Il n’est pas interdit de proposer aux enfants pour leur éducation morale, des exemples d’actions nobles, magnanimes, méritoires : c’est même d’une excellente pédagogie. Mais le tout est dans le commentaire qu’on en fait. Rien ne serait plus pernicieux, pour deux raisons, que de donner à l’admiration des enfants le mérite des héros. La première est que la valeur morale ne réside pas dans l’individu, mais dans la loi morale dont il est porteur et qu’il s’efforce d’accomplir. Il ne faut pas vanter le mérite des héros, parce qu’il n’y a pas de héros, parce que nul ne fait plus que son devoir. Il ne faut pas inviter à l’imitation des saints, parce qu’il n’y a pas de saints, parce que ceux qu’on appelle des saints tirent leur sainteté de la loi morale, à laquelle ils sont comme tout homme soumis. La seconde raison est que le sentiment du mérite amollit et flétrit le cœur ; il en est du mérite comme de l’innocence : il se perd dès qu’on s’en repaît. Dès que l’attention se tourne vers le mérite elle se détourne de la loi morale qui l’engendre par l’effort qu’elle requiert, dès que le mérite inspire l’enthousiasme, il pervertit, par retour sur le moi, le zèle qui n’était pur que parce qu’il visait seulement le devoir. Voulez-vous faire des histrions (1) et des songe-creux ? Présentez-leur le héros en quête de bravos, au lieu du courage de faire simplement son devoir. Le vrai mérite est celui qui s’ignore, parce qu’il n’est de vrai mérite que celui du pur désintéressement, qui ne peut être pur, si c’est possible, que si je ne me vante pas qu’il l’est ; autrement, la grandeur de l’action disparaît dans la petitesse de la vanité. »

KANT

(1) Histrion : mauvais acteur.

QUESTIONNEMENT INDICATIF

Kant pense-t-il qu’il ne faut pas proposer aux enfants des exemples d’actions nobles, magnanimes, méritoires ? • Que signifie ici « magnanime » ? • Pourquoi, selon Kant, « le tout est dans le commentaire qu’on en fait »? • Quels sont les arguments développés par Kant pour établir que si l’on propose aux enfants un exemple d’action « méritoire » il ne faut pas donner à l'admiration des enfants le mérite des héros (ou des saints) ? • En quoi peut-il apparaître que « le sentiment du mérite amollit et flétrit le cœur » ? Que signifie « cœur » ici ? • En quoi consiste la moralité selon Kant ? • Peut-on faire plus que son devoir selon Kant ? • Pourquoi, selon Kant, ne peut-il y avoir comme vrai mérite que celui du pur désintéressement ? • Vers quoi « une excellente pédagogie » doit-elle faire porter l’attention lorsqu’elle propose aux enfants des exemples d’actions « nobles, magnanimes, méritoires » ? Que doivent-elles être pour être « nobles, magnanimes, méritoires » ? Quelle peut être l’utilité de ces exemples (selon la position de Kant) ? • En quoi ce texte présente-t-il un intérêt philosophique ?

 

Liens utiles