Kant: en morale, les exemples ne servent-ils à rien?
« On ne pourrait... rendre un plus mauvais service à la moralité que de vouloir la faire dériver d’exemples. Car tout exemple qui m’en est proposé doit lui-même être jugé auparavant selon des principes de la moralité pour qu’on sache s’il est bien digne de servir d’exemple originel, c’est-à-dire de modèle; mais il ne peut nullement fournir en tout premier lieu le concept de moralité. Même le Saint de l’Évangile doit d’abord être comparé avec notre idéal de perfection morale avant qu’on le reconnaisse comme tel; aussi dit-il de lui-même : Pourquoi m’appelez-vous bon, moi (que vous voyez)? Nul n’est bon (le type du bien) que Dieu seul (que vous ne voyez pas). Mais d’où possédons-nous le concept de Dieu comme souverain bien? Uniquement de Vidée que la raison trace a priori de la perfection morale et qu’elle lie indissolublement au concept d’une libre volonté. En matière morale l’imitation n’a aucune place; des exemples ne servent qu'à encourager, c’est-à-dire qu’ils mettent hors de doute la possibilité d’exécuter ce que la loi ordonne; ils font tomber sous l’intuition ce que la règle pratique exprime d’une manière plus générale; mais ils ne peuvent jamais donner le droit de mettre de côté leur véritable original, qui réside dans la raison, et de se régler sur eux. »
KANT
QUESTIONS INDICATIVES
• Kant dit-il — qu’en morale — les exemples ne servent à rien? • S’ils servent à quelque chose, à quoi servent-ils? • Qu’est-ce que «l’intuition » ici? • Que signifie « la règle pratique » ici ? • En raison de quoi est-il dit, dans le texte, qu’ « on ne pourrait (...) rendre un plus mauvais service à la moralité que de vouloir la faire dériver d’exemples »? Que signifie très précisément « dériver » ici ? • Sur quoi, selon Kant, doit être fondée la moralité? • Pourquoi Kant rappelle-t-il les paroles du « Saint de l’Evangile »? En quoi peut-il lui apparaître que ces paroles confirment son analyse? • Dieu est-il un « exemple » dont on peut faire dériver la moralité ? — Pourquoi, à ce sujet, Kant rappelle-t-il la parole du Saint de l’Evangile « Nul n’est bon (le type du bien) que Dieu seul (que vous ne voyez pas) »? — Pourquoi pose-t-il la question « d’où possédons-nous le concept de Dieu comme souverain bien » ? • Pourquoi insiste-t-il sur l’idée que nous possédons ce concept « uniquement de l'idée que la raison trace a priori de la perfection morale (et qu’elle lie indissolublement au concept d’une libre volonté) » ? — Finalement d’où vient « le concept de Dieu comme souverain bien » : de l’exemple, d’une réalité empirique ou de « la raison » ? — Quelle est l’importance ici du terme a priori (souligné par Kant lui-même)? — Que signifie « a priori » ? • Peut-on dire, sans se contredire, qu’ « en matière morale l'imitation n’a aucune place » et que les exemples peuvent servir à quelque chose? • Pourquoi, en quoi, selon Kant, l’imitation ne saurait avoir aucune place en moralité? Ne serait-ce pas parce que, pour Kant, imiter un individu exemplaire ce ne serait pas agir par pur attachement à la loi, mais aussi (pour le moins) par amour et admiration de l’individu exemplaire? • A partir de ce questionnement, ne peut-on dégager clairement l’intérêt philosophique du texte? • Que pensez-vous de la « position » et de l’argumentation de Kant?
INDICATIONS DE LECTURE
• La Métaphysique des Mœurs de Kant (Delagrave). • La Critique de la Raison pratique de Kant (P.U.F.). • Morale théorique et science des mœurs de Gurvitch (P.U.F.). • Généalogie de la morale de Nietzsche. • Par-delà le Bien et le mal de Nietzsche.
Liens utiles
- La morale chez Kant (cours de philosophie - université)
- Kant (1724-1804): « QUE DOIS-JE FAIRE ? », LE DEVOIR, LA MORALE ET LA RAISON
- PODCAST: «La vraie politique ne peut donc pas faire un pas sans avoir auparavant rendu hommage à la morale; et si la politique est par elle-même un art difficile, l'union de la politique avec la morale n'est pas du tout un art: la morale tranche le noeud que la politique ne peut délier, aussitôt qu'elles ne sont pas d'accord. » Kant, Essai philosophique sur la paix perpétuelle (1795).
- Henry Miller écrit : « A quoi servent les livres, s'ils ne nous ramènent pas vers la vie ?... Notre espoir à tous, en prenant un livre, est de rencontrer un homme selon notre coeur, de vivre des tragédies et des joies que nous n'avons pas le courage de provoquer nous-mêmes, de rêver des rêves qui rendent la vie plus passionnante, peut-être aussi de découvrir une philosophie de l'existence qui nous rende plus capables d'affronter les problèmes et les épreuves qui nous assaillent. » En v
- Renan: "Une distinction est à faire entre ce qu'on propose à imiter et ce qu'on propose à admirer. Les exemples à imiter doivent toujours avoir quelque chose de médiocre et de bourgeois, car la pratique est roturière. Mais pour obtenir des hommes le simple devoir, il faut leur montrer l'exemple de ceux qui le dépasseront; la morale ne se maintient que par le héros" ?