Kant: Beau
Beau
• Le beau n’est pas le vrai car il n’en est pas de concept, bien qu’il plaise universellement. Il n’est pas l’agréable, bien qu’il soit l’objet d’une satisfaction pure ou désintéressée. Il n’est pas l’utile, bien qu’il présente une finalité formelle. Il n’est pas le bien, car il ne saurait produire une obligation. Dire « c’est beau », c’est toujours dire moins que « c’est vrai » ou « c’est bien » et toujours dire plus que « c’est agréable » ou « utile ». La beauté se caractérisant par la forme, elle sera d’autant plus pure qu’elle sera indépendante de tout contenu représentatif et l’on parlera de beauté libre, alors que la beauté adhérente est celle qui est soumise à une norme de la représentation. •• Le jugement de goût n’est pas un jugement de connaissance, mais un jugement réfléchissant consistant en un libre jeu de l’entendement et de l’imagination. L’objectivité du jugement esthétique est subjective, car seul le plaisir est posé comme universel et nécessaire. Réfléchissant la forme d’un objet, l’imagination la rapporte directement à l’entendement sans passer par un concept. Un tel accord subjectif des facultés définit le sens commun esthétique qui fonde la communicabilité du sentiment dans un plaisir pur à juger. Cet accord permet aux formes de la nature de symboliser les Idées, de sorte que le beau en présentant médiatement le supra-sensible soit symbole du bien et témoigne d’un accord de la nature et de la liberté. La faculté de juger esthétique donne lieu à une antinomie spécifique où la thèse pose que le jugement de goût ne se fonde pas sur des concepts, car on pourrait alors en disputer, en décider par preuves, alors que l’antithèse affirme que ce jugement se fonde bien sur des concepts, car sinon on ne pourrait même pas en discuter, prétendre à l’universalité. La solution consiste à dire que, même si les goûts et les couleurs ne se discutent pas au niveau de l’agréable, on peut néanmoins discuter du beau, sans pourtant pouvoir démontrer quoi que ce soit. Si le jugement de goût se fonde bien sur des concepts, il s’agit de concepts indéterminés qui sont le substrat du supra-sensible. Le beau est ainsi un mode de présentation du supra-sensible. ••• On ne doit pas se méprendre sur l’esthétique kantienne en l’accusant trop vite d’intellectualisme. Kant renvoie dos-à-dos l’empirisme qui réduit le beau à l’agréable et le rationalisme qui le conçoit comme perfection. Reposant sur un libre accord des facultés, le jugement de goût ouvre sur une dimension de l’apparaître irréductible à la prise conceptuelle. Il révèle ainsi l’esthétique comme la racine même de la subjectivité, rappelant comment il est un plaisir à considérer la nature avant même son objectivation scientifique. La réflexion, qui est dans la plupart des cas imperceptible, devient éminemment visible dans le jugement réfléchissant esthétique où l’on ne dispose plus de concept. Du fait de l’impuissance de l’entendement à produire un concept, la réflexion est alors ressentie comme un état de l’esprit. Goûter ce n’est plus simplement sentir mais réfléchir la sensation et, si juger c’est toujours d’une certaine façon réaliser une unité de l’entendement et de l’imagination, réfléchir esthétiquement revient à ressentir l’harmonie sur laquelle repose cette unité. Alors que dans le jugement théorique l’entendement légifère et l’imagination schématise pour déterminer un objet, l’art en quoi consiste le schématisme restant caché, dans le jugement esthétique cet art se révèle dans un libre jeu des facultés. On peut donc dire que le jugement réfléchissant libère un fond qui restait caché dans le jugement déterminant.
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