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Justice pénale internationale. Des progrès et des obstacles

Justice pénale internationale. Des progrès et des obstacles   L'idée que des individus puissent être internationalement poursuivis et condamnés pour des violations graves du droit international a été épisodiquement consacrée par celui-ci au cours du XXe siècle. Dès la fin de la Première Guerre mondiale, le traité de Versailles (1919) envisageait, en son article 227, la poursuite de l'ex-empereur allemand devant une juridiction internationale. Cette disposition resta lettre morte en raison du refus d'extradition de l'ex-empereur par les Pays-Bas. Après la Seconde Guerre mondiale, en revanche, les principaux responsables des pays de l'Axe ont été poursuivis devant le Tribunal militaire international de Nuremberg créé par l'accord de Londres du 8 août 1945, et devant le Tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient institué par une proclamation en date du 19 janvier 1946 du commandant suprême des forces alliées, le général Douglas MacArthur. Les procès de Nuremberg et de Tokyo ont été suivis d'une longue période de somnolence de la justice pénale internationale. Le principe de celle-ci n'était pas inscrit dans la Charte des Nations unies et pouvait apparaître désuet. Au début des années quatre-vingt-dix, la politique de "purification ethnique" menée par les forces serbes dans l'ex-Yougoslavie a justifié la création du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) par deux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Le génocide perpétré par les autorités rwandaises contre la population tutsi au printemps 1994 a provoqué une réaction similaire de l'organisation internationale, le Conseil de sécurité instituant alors le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Ce renouveau de la justice pénale internationale, largement dû à la fin de la Guerre froide qui vit le Conseil de sécurité entrer dans une période d'activité intense, a été prolongé par l'adoption en 1998 d'un traité portant statut d'une Cour pénale internationale (CPI) de nature permanente. La création de juridictions internationales a sans doute également relancé l'activité des juridictions étatiques en matière d'infractions internationales, ainsi qu'en a témoigné l'"affaire Pinochet". Agressions, crimes de guerre, crimes contre l'humanité Les juridictions pénales internationales contemporaines jugent trois types de violations particulièrement graves du droit international. Elles sont toutes compétentes en matière de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité (y compris le génocide), infractions qui figuraient également dans les statuts des tribunaux militaires internationaux (TMI) institués après la Seconde Guerre mondiale. En revanche, la guerre d'agression, qui fut également sanctionnée par les TMI, n'est présente que dans le statut de la CPI. La définition des diverses infractions internationales contenue dans les statuts des juridictions - et parfois précisée par leur jurisprudence - permet d'affirmer, même si cette analyse reste controversée, que les comportements que l'on cherche à réprimer sont des comportements criminels de nature étatique ou quasi étatique. Il s'agit de répondre à une criminalité de grande ampleur qui porte atteinte à l'ordre public international et justifie dès lors une réaction répressive de nature internationale. Les TPI créés par le Conseil de sécurité sont, tout comme les TMI, des juridictions ad hoc, c'est-à-dire qu'elles peuvent juger les infractions précédemment évoquées lorsqu'elles sont commises sur un territoire donné, pendant une période donnée. La compétence des TPI, en d'autres termes, est limitée à des situations de crise spécifiquement identifiées dans les résolutions du Conseil de sécurité les instituant. Cette nature particulière des TPI a d'ailleurs fait l'objet de nombreuses critiques, certains déplorant l'absence d'égalité des individus devant la justice internationale et le caractère discriminatoire de celle-ci. À cet égard, le statut de la CPI représente une avancée certaine puisque sa compétence est beaucoup plus large dans l'espace et dans le temps : elle peut connaître des trois catégories d'infractions internationales dès lors qu'elles sont commises, après l'entrée en vigueur de son statut, sur le territoire d'un État ayant accepté sa juridiction ou par un individu relevant d'un État ayant accepté sa juridiction. En ce qui concerne les individus passibles de la justice internationale, la compétence des juridictions contemporaines apparaît plus large que ne l'était celle des tribunaux créés après la Seconde Guerre mondiale. Les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo ne pouvaient en effet juger que les grands criminels de guerre. Seules les personnes en position de haute autorité politique ou militaire furent traduites devant ces tribunaux internationaux, tandis que les criminels occupant une position subordonnée étaient renvoyés devant les juridictions des États dans lesquels ils avaient agi. L'absence de limitation de la compétence des juridictions contemporaines quant à la position des individus pouvant être traduits devant elles explique que de nombreux exécutants se sont trouvés poursuivis, particulièrement devant le TPIY. Elle conduit en définitive à un "encombrement" de ce tribunal qui retarde l'identification des principaux responsables des infractions internationales. Résistances des États D'autres obstacles continuent à s'opposer à l'exercice serein d'une justice pénale internationale. Ils tiennent principalement à la structure de la société internationale, dominée par les États. Dans la mesure où les comportements constitutifs des infractions internationales sont le plus souvent imputables à des États, on comprend que certains d'entre eux soient extrêmement réticents face à l'idée que leurs actes puissent être soumis au juge par l'intermédiaire de la poursuite de leurs agents. Le principe classique du consentement étatique à la justice internationale a été heureusement dépassé par l'institution des TPI. Les résolutions du Conseil de sécurité ont en effet été prises sur le fondement du chapitre VII de la Charte des Nations unies : c'est ici de manière autoritaire que les juridictions ont été instaurées et l'accord des États concernés par les poursuites n'a pas été nécessaire. L'établissement d'une Cour internationale par le moyen d'un traité (CPI) faisait en revanche craindre que certains États puissent soustraire leurs agents à toute poursuite en refusant de signer ou d'adhérer au traité. Le statut de la CPI a partiellement évité cet écueil en permettant les poursuites dès lors que l'État sur le territoire duquel les infractions ont été commises aura accepté la juridiction de la Cour. En conséquence, seules les infractions commises par des agents d'un État ayant refusé la compétence de la Cour sur son propre territoire ne pourront être réprimées. En outre, lorsque le procureur de la Cour sera saisi par le Conseil de sécurité de l'ONU, l'acceptation étatique de la juridiction internationale ne sera plus requise. Cependant, l'absence de police internationale permet aux États réticents de faire obstacle à la justice internationale en refusant de déférer leurs agents devant les tribunaux qui ne peuvent juger ces derniers par contumace. Le TPIY a ainsi à plusieurs reprises dénoncé l'absence de coopération de la Yougoslavie de Slobodan Milosevic et a été conduit à développer des stratégies alternatives afin de neutraliser le pouvoir des accusés non déférés. Il en a été ainsi de l'émission de mandats d'arrêt internationaux qui les empêchent de représenter leur État à l'étranger, ou du gel de leurs avoirs (ces mesures ont notamment été adoptées contre Slobodan Milosevic en 1999). À l'issue de la Seconde Guerre mondiale, les crimes internationaux ont été jugés à Nuremberg et à Tokyo après une victoire militaire qui y mettait un terme définitif. Si la situation du TPIR est de ce point de vue apparue comparable à celle des TMI, le Tribunal pour l'ex-Yougoslavie a pour sa part fonctionné alors que les crimes continuaient d'être perpétrés en Bosnie-Herzégovine (jusqu'en 1995) ainsi qu'au Kosovo (notamment en 1999). La CPI pourrait exercer sa compétence dans des conditions similaires. Or, la poursuite et même le jugement des auteurs individuels d'infractions internationales ne suffisent généralement pas pour faire cesser ces infractions. Aussi peut-on penser que pour lutter efficacement contre la criminalité internationale, la justice pénale doit être précédée ou accompagnée de sanctions collectives adaptées qui ne sont cependant ni précisément déterminées ni soumises au pouvoir du juge international.

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