JOYCE James Augustine Aloysius
JOYCE James Augustine Aloysius. Écrivain irlandais. Né à Dublin le 2 février 1882, mort à Zurich (Suisse) le 13 janvier 1941. Issu d'une vieille famille catholique, fort estimée dans le pays, mais que la malchance avait laissée sans autre fortune que son blason, il eut une enfance agitée. C'est qu'il était le fils d'un gaillard assez fantasque, pas trop mauvais homme, au fond, mais paresseux, coureur et franc buveur et, de ce fait, souvent contraint de déménager parfois même à la cloche de bois. Mis en pension au Clongowes Wood College (1888), il dut en sortir pour cause de maladie en 1891, et condamné à garder la chambre durant de longs mois. En 1893, il entra comme interne au Belvedere College pour y faire ses humanités sous la férule des pères jésuites. Doué par la nature des plus rares facultés, il prit de bonne heure la tête de la classe, avantage qu'il maintint sans peine jusqu'à la fin de ses études. Ayant appris en même temps à se discipliner, il acquit une très solide culture classique. Son esprit, d'ailleurs, devait longtemps porter la marque de l'éducation qu'il reçut chez ces jésuites. Marque d'autant plus indélébile que le jeune homme connut encore par la suite d'autres religieux du même ordre. Au sortir, en effet, de ses humanités (1898), il obtint de s'inscrire à l'University College. Il trouva que l'atmosphère en était orageuse. Et pour cause : l'agitation nationaliste, dont Parnell avait longtemps été l'âme, sévissait alors à Dublin avec une rare violence. Pressé par ses condisciples de se rallier au parti de la République irlandaise, Joyce, d'emblée, fit la sourde
oreille. Il voulait rester à l'écart. Ce trait-là le caractérise : car plus il avancera en âge, plus il restera indifférent à la politique. S'il refusait de s'intéresser à l'affaire du « Home Rule », ce n'était pas qu'il eût un faible pour la puissante Angleterre. Simplement, il avait trop l'instinct de la liberté pour admettre qu'elle pût dépendre d'un État politique quelconque la seule liberté véritable étant, pour lui, celle de l'âme. Aussi dans le domaine littéraire jugeait-il assez peu sérieuse la tentative faite par W.-B. Yeats pour réveiller la langue gaélique réveil qui était le mot d'ordre de tous ses compagnons d'étude. Il préfère se tourner vers l'Europe. Ayant, d'ailleurs, le don des langues, il apprend le français, l'italien, l'allemand et même le norvégien. Il étudie la grammaire comparée. Bref, se forge déjà l'instrument dont il usera plus tard avec une maîtrise inouïe. S'essayant sans plus attendre à la critique littéraire, il publie quelques articles dans des feuilles de Dublin, et dans la revue de l'Université.
Dès sa dix-huitième année, il avait découvert Ibsen. Il en reçut un tel choc qu'il prit soudain conscience de sa personnalité. Il refuse de s'étouffer plus longtemps sous la scolastique, prend en haine l'enseignement des jésuites et se met alors à traverser certaine crise religieuse qui le conduira finalement à perdre la foi. Passant d'un excès à l'autre, il s'enfonce dans son hérésie en lisant Julien l'Apostat et Giordano Bruno. Sa révolte allait déborder le simple domaine de l'esprit. Pendant quelques années, faisant le fanfaron de vice, il s'ingénie, dirait-on, à marcher en tout sur les traces de son père qu'il avait de tout temps obscurément admiré. Il le remercie chaque jour de lui avoir transmis son nom : Joyce, en effet, voilà qui contient de la « Joye ». Dans la crainte, pourtant, d'altérer sa santé, il finira par se calmer. Il avait tout juste vingt ans quand il obtint son grade de bachelier ès arts à l'University College (1902). Bien que, déjà, il fût très sûr de sa vocation d'écrivain, il jugea bon de faire d'abord sa médecine. Mal accueilli à la faculté de Dublin, il résolut alors de poursuivre ses études à Paris (1902). Installé au quartier Latin, il devait vite délaisser l'École de Médecine. Fou d'esthétique, il aime mieux la bibliothèque Sainte-Geneviève. Il y travaille avec tant de zèle que parfois la tête lui tourne car il a de fort mauvais yeux. L'année suivante, il quitte Paris pour accourir au chevet de sa mère mourante (1903). Faute de mieux, il dut ensuite enseigner la grammaire, pendant plusieurs mois, dans un collège de Dublin. Peu après, en 1904, il eut la joie de rencontrer Nora Barnacle, belle jeune fille dont il allait faire la compagne de sa vie. Désireux de quitter l'Irlande, et bien qu'il eût fort peu d'argent, il se rendit à Zurich, avec sa femme, à la fin de la même année, car il comptait y trouver quelque emploi à l'école Berlitz. Déçu dans son espérance, il passa ensuite à Trieste, ville alors autrichienne mais où toute chose portait l'empreinte de l'Italie. Après divers déplacements, il finit par s'y fixer.
Bien que, pour vivre, il dût donner des leçons d'anglais, il eut loisir de s'occuper de l'oeuvre qu'il portait en lui-même. Après un bref séjour à Rome (1906) où il dut taire le métier de comptable, il revint s'établir à Trieste, dont il goûtait beaucoup l'atmosphère. L'année suivante, il fit paraître son premier ouvrage : un recueil de vers intitulé Musique de chambre (Londres, 1907). Ayant déjà deux enfants, il décida un de ses frères cadets (Stanislaus) à venir partager son exil. Etant encore féru d'Ibsen, il se mit, dès 1908, à composer une comédie psychologique : Les Exilés. Il ne devait la publier que dix ans plus tard (1918), sauf à noter que, l'ayant pu faire jouer en 1910, il avait obtenu alors un vague succès de scandale. Ce fut la seule concession que James fît jamais au théâtre. Il est certain que son génie était ailleurs. Etudiant à l'University College, il avait commencé à écrire des nouvelles. Sitôt installé à Trieste, il en comptait plus d'une douzaine. Ayant voulu les recueillir sous le titre de Gens de Dublin [Dubliners], il se vit là-bas refuser son manuscrit, car les éditeurs irlandais le trouvaient trop subversif. Aussi se rendit-il à Dublin en 1909. Faute d'avoir rien obtenu, et voulant venir à bout de l'obstacle, il y retourna deux ans plus tard avec sa famille (1911). Après mille tracasseries, il fit imprimer le livre à ses frais. Mais on raconte que quand il vint prendre livraison de l'édition, il apprit à sa grande surprise qu'étant tombée sous les yeux de quelqu'un elle avait trouvé en ce dernier un acquéreur, mais pour être brûlée en bloc dans l'imprimerie même.
Dégoûté à jamais de son pays natal, l'écrivain voulut le quitter sans esprit de retour. On était en 1912 : Joyce avait tout juste trente ans. Il résume ainsi ce qu'il pense de ce pays : « Irr-land, Error-land ». Mais ce n'était là qu'une boutade. Tout repris qu'il fût par Trieste, il savait bien, en effet, que rien ne le couperait plus jamais de sa ville natale, puisqu'elle forme
rait désormais le cadre exclusif de toute son oeuvre future. Depuis déjà pas mal de temps, il travaillait à un roman autobiographique : Dédalus, portrait de l'artiste par lui-même . Il y évoquait sa famille, ses fréquentations de toute sorte et surtout les mouvements de sa vie intérieure. Dès son retour à Trieste, il s'y consacra de plus belle. Il avait d'autant plus de mérite qu'il était loin de pouvoir disposer de tout son temps : contraint qu'il était d'enseigner l'anglais pour faire vivre sa famille. Ce travail-là étant peu rémunérateur, il dut souvent s'infliger bien des privations. Sa pauvreté, il l'acceptait avec courage. Au fond, il tenait de son père : tant par l'allure assez distante que par la confiance en soi et le refus de toute concession. Ce dont il souffrait davantage, c'était de l'état de ses yeux. Sa vue baissait de plus en plus, au point qu'il pensait quelquefois devenir aveugle. Dans ses moments de dépression, il fut toujours soutenu par l'affection qu'il trouvait dans son entourage : sa femme, son frère et des amis, dont le meilleur était sans doute le romancier triestin Italo Svevo. Ayant, en outre, du goût pour la musique, il en écoutait souvent pour retrouver son équilibre. Vers la fin de 1913, ayant achevé Dédalus, il parvint, l'année suivante, à le publier dans la revue anglaise The Egoist.
Il n'en fut pas moins éconduit par les éditeurs, lesquels craignaient de s'attirer des ennuis avec la censure. Il n'empêche que, dès ce moment, l'écrivain s'acquit l'attention d'un certain nombre de lettrés dont plusieurs devinrent ses amis : Ezra Pound, Aldington, T. S. Elliot, etc. D'autre part, la même année (1914), il avait vu enfin paraître Gens de Dublin. Aussi, loin de se laisser abattre, il résolut de commencer sans plus attendre la continuation de ce même Dédalus : à savoir Ulysse. Quand éclata la guerre de 1914, Joyce connut des heures difficiles du fait que, citoyen anglais, il résidait en territoire autrichien. Enfin, grâce à l'intervention de ses élèves, il obtint de quitter Trieste avec sa famille, à la condition de gagner un pays neutre. C'est ainsi qu'il Eut se rendre à Zurich au mois de juin 1915.
Détaché comme il était de toute politique, il put aisément rester sourd aux propagandes de toute sorte dont cette ville était le théâtre. Bien qu'il manquât presque de tout, il n'avait cessé de travailler à son oeuvre monumentale. En 1916, il allait, par chance, trouver un véritable mécène en la personne de miss Harriet Weaver, éditeur de la revue The Egoist. La même année, il put faire paraître à New York, son Dédalus. Atteint finalement d'un glaucome, il dut, en 1917, se transporter à Locarno pour y recevoir les soins que réclamait son état. De retour à Trieste, vers la fin de 1919, il put enfin reprendre Ulysse, l'oeuvre qu'un de ses familiers appelait « la cathédrale de prose ». Ce n'est pourtant point là qu'il devait l'achever. En effet, l'année suivante, sur le conseil d'Ezra Pound, il fît ses adieux à Trieste pour aller habiter à Paris (1920). Il n'eut pas à le regretter : ayant reçu dans la capitale un accueil des plus fervents, il compris que désormais il lui serait impossible de vivre ailleurs.
Ayant ainsi fait de Paris son ultime patrie d'adoption, il y passera vingt années consécutives. Quand l'heure fut venue de livrer Ulysse au public (en 1921), Joyce, instruit par l'expérience, craignit de manquer d'éditeur. C'est alors qu'il fît la rencontre de trois femmes d'un grand esprit, lesquelles, à tour de rôle, devaient lui témoigner un dévouement sans bornes. D'abord, miss Margaret Anderson, éditeur de la revue américaine The Little Review, qui y fît paraître d'importants fragments d'Ulysse, et, de ce fait, se vit intenter maints procès dans son pays d'origine sous le prétexte que l'oeuvre était pornographique. Ensuite miss Sylvia Beach : Américaine résidant à Paris, où elle tenait la librairie dite « Shakespeare and C° », qui parvint à publier Ulysse (1922), après en avoir mis au net le manuscrit dans des conditions difficiles. Enfin, Adrienne Monnier : grande amie de cette dernière, et directrice de la « Maison des Amis du Livre », elle devait se donner mission de mettre en route une traduction française. Entreprise qui fourmillait de difficultés : mais grâce à Valéry Larbaud, grand admirateur de Joyce, et à ses éminents amis, Stuart Gilbert et Auguste Morel, elle réussira finalement au-dela de toute espérance (1929). En même temps ou presque, Joyce se voyait traduit dans plusieurs autres langues. Rappelons qu'en 1922, il avait eu les pires ennuis avec la censure anglo-saxonne : ayant été qualifiée de « matière obscène » par un tribunal de New York, l'édition originale fut déclarée intransportable, et brûlée séance tenante.
Apres Ulysse, Joyce aurait pu se reposer sur ses lauriers jouir, du moins, de la renommée qu'il s'était acquise. Il n'en fit rien. Au cours de l'été 1922, étant allé en effet se reposer dans le Sussex (Angleterre), il mit la main, par hasard, sur un curieux opuscule : son auteur, un curé de campagne, y évoquait les ossements d'un géant que l'on avait mis à jour en faisant des fouilles
près de son église. Il n'en fallut pas davantage pour donner le branle à l'imagination de Joyce. De retour en France, il dressa aussitôt le plan de l'oeuvre qu'il voulait accomplir. Voulant que le titre en fût tenu secret jusqu'au jour de son édition définitive, il devait en faire paraître pendant plus de quinze ans nombre de fragments dans diverses revues sans autre désignation que celle-ci : oeuvre en cours. Dans cette somme, d'un caractère énigmatique, et qui d'ailleurs était l'antipode d'Ulysse (sa face nocturne en quelque sorte), Joyce n'avançait qu'avec lenteur. Que l'on en attribue la cause moins à ses méthodes de travail qu'à la grave affection de la vue dont il se trouvait atteint. Dès 1924, son état empirant, il dut subir plusieurs opérations de la cataracte, à l'issue desquelles il souffrit le martyre. Réduit, pour se diriger, à frapper le trottoir de sa canne, il ressemblait à un fantôme, ou plutôt il était vraiment, comme dit quelqu'un, « le grand Milton aveugle de notre temps ». Bien qu'il changeât souvent de logis malgré cet état de santé, il restait fort attaché a ses habitudes dans le domaine de l'esprit comme dans celui de l'amitié. Outre Valéry Larbaud, il comptait des amis fidèles en la personne de Paul Léon, Stuart Gilbert, Samuel Beckett, Louis Gillet, Eugène et Maria Jolas. Il faut mentionner en outre quelques-uns de ses défenseurs Jaloux, Gide, Fargue, Suarès, etc. Bien qu'il eût fait paraître en 1927 certaine plaquette intitulée Dix Sous de poèmes, Joyce fut toujours assez rétif à l'art des vers qu'il tenait pour une amusette. Pour lui, seule la prose était mâle. A la veille de la guerre de 1939, il put mettre le point final a cette mystérieuse oeuvre en cours commencée dix-sept ans plus tôt. Alors seulement il en fit connaître le titre : La Veillée de Fin-negan. Somme toute « la folle oeuvre d'un fou » comme il dit lui-même, puisqu'il y fait entrer quelque soixante langues à seule fin de les fondre en un seul idiome. On sait qu'à de rares exceptions près, la critique du monde entier ne voulut voir dans ce livre qu'un produit de laboratoire. Pis encore : une grandiose mystification. Si bien que Joyce s'aliéna du jour au lendemain le public qu'il avait conquis un peu à son corps défendant. Loin de s'affliger de cet échec, il demeura indifférent, conscient qu'il était de la valeur de son oeuvre. Il avait, d'ailleurs, un grave sujet de préoccupation : sa fille étant atteinte d'une maladie mentale, il était hanté par son image et tentait de s'apaiser en passant de longues heures auprès d'elle. Au début de la guerre de 1939, il se rendit à La Baule dans la maison de santé où on l'avait transférée. Quand il comprit qu'elle était inguérissable il se replia dans un village de l'Allier :Saint-Gérand-le-Puy. En décembre 1940, il obtint un passeport pour la Suisse. Il devait y mourir bientôt, à la suite de l'ablation d'un ulcère intestinal. On sait que Joyce est enterré dans le cimetière de Zurich.
Irlandais dont l'oeuvre est consacrée à son pays, Joyce incarne d'une manière singulièrement pathétique l'espèce de malédiction que l'Irlande fit toujours peser sur ses fils les plus géniaux en les forçant à s'exiler sans esprit de retour. Il semble bien qu'un trait domine dans son caractère : c'est le refus, disons plutôt la résistance aux forces qui régissent le monde : la politique, la presse, l'argent, etc. Voulant rester pur de toute concession, il aimait mieux vivre dans la gêne que d'en sortir en vendant son âme de quelque manière que ce fût. Même lorsqu'il eût acquis la notoriété, il ne relâcha rien de son intransigeance à cet égard. Il donne par là un exemple exceptionnel de noblesse. Toute son oeuvre de romancier témoigne d'ailleurs de la même unité de vue. Chacun des livres dont elle se compose, en effet, se lie intimement au précédent : Gens de Dublin contient en germe Dédalus, comme Dédalus - Ulysse, et Ulysse - La Veillée de Finne-gan. C'est dire qu'en réalité, Joyce n'a écrit qu'un seul ouvrage sous des formes différentes. Dublin en est le cadre immuable. Mais dans ce cadre, l'auteur a fait entrer un tel nombre d'intentions, d'allusions et de ruminations qu'il est arrivé, en fin de compte, à en dégager l'image même de la vie universelle : « Le monde dans une coquille de noix », dit-il lui-même (« All space in a nutshell »). Joyce aspire à recréer le monde en le délivrant de ce poids qu'est la vieille notion du Temps. Cherchant a échapper au cauchemar de l'histoire, il se révèle disciple de Vico, le prophète de « l'Éternel Retour », et, à ce titre, il oppose aux événements une négation radicale : rien n'arrive, tout se répète. (« Elle tourne, elle tourne, la rue de Vico, pour finir là où elle commence. »). Sur cette conception mystique repose son oeuvre tout entière.
James Joyce est sans contredit l'écrivain le plus original du XXe siècle. Parti de ce naturalisme dont Flaubert fut le champion, il s'en était défait de bonne heure pour s'orienter dans le domaine plus subtil du symbolisme et, son propre génie aidant, il put se forger un style qui devait renouveler de fond en comble tout l'art du roman.
Faisant fond sur ce qu'on appelle le « monologue intérieur », procédé dont l'inventeur était Édouard Dujardin, il sut si bien en épuiser toutes les ressources qu'il en fit, en quelque sorte, sa propriété. Dans cet univers romanesque, le subjectivisme conditionne tout : le héros n'étant que le miroir du monde extérieur, le fil de ses sentiments forme toute la texture du récit. Joyce est plus apte que tout autre à conduire un tel monologue, parce qu'il possède la froideur intrépide des grands casuistes. Dans le domaine du langage, il s'est vu bien souvent comparer à Rabelais. Possédant, en effet, une douzaine de langues, l'oreille d'un musicien, un souverain humour et un trésor de connaissances théologiques, il put donner carrière à son démon verbal avec une maîtrise incomparable.
De tous les écrivains de sa génération, Joyce est celui qu'on voit le plus souvent flétri par l'opinion. Devenu pierre de scandale aux yeux des bien-pensants, pour avoir pris ouvertement figure d'hérétique, il eut à subir toutes les conséquences de sa dangereuse position. Car s'il ne fut pas brûlé vif au pied de la lettre, ses livres le furent à sa place. Il est vrai qu'il allait recueillir tout le fruit que ce genre d'autodafé apporte souvent à ses victimes : par les controverses passionnées dont son oeuvre fut l'objet dans le monde littéraire, il s'acquit une gloire de tout point semblable à celle que Freud s'était acquise dans celui de la médecine et Einstein dans celui des sciences mathématiques. D'où la très puissante influence qu'il se trouve avoir exercée sur un certain nombre d'écrivains de tous les pays : Faulkner en donne un témoignage assez probant pour qu'il soit inutile d'en citer d'autres. On peut dire que James Joyce a marqué de son sceau la littérature universelle.
? « Il n 'est pas malaisé d'être hardi quand on est jeune, L'audace la plus belle est celle de la fin de la vie. Je l'admire dans Joyce comme je l'admirais dans Mallarmé et dans quelques très rares artistes dont l'oeuvre s'achève en falaise et qui présentent au futur la plus abrupte face de leur génie, sans plus laisser connaître l'insensible pente par où ils ont atteint patiemment cette déconcertante altitude. » André Gide. ? « Je pense que si quelqu'un a pu influencer M. Joyce, excellent humaniste, c 'est moins les réalistes français ou russes que les historiens romains. Il y a chez lui comme un écho très lointain de l'accent de Suétone; cette impassibilité métallique avec laquelle le terrible annaliste des Césars raconte la démence de Caligula ou la luxure systématisée de Néron, on peut en retrouver quelque chose dans la froide netteté de M. James Joyce. » Edmond Jaloux. ? « Il n'y a pas d'à-peu-près, pas de profils perdus dans les livres de Joyce : on peut faire le tour de ses personnages; rien n'est en trompe l'oeil. Les livres de Joyce sont grouillants, animés, sans truquage, sans morceaux de bravoure. » Valéry-Larbaud. ? « Ce qui frappe dans ce phénomène qui est, au sens scientifique du mot, un des plus purs que l'histoire littéraire nous présente, c'est l'unité. La première oeuvre de Joyce annonce et prépare l'épanouissement... Il semble que, chaque fois que l'on éclaire un des aspects de l'oeuvre de Joyce, soit suggéré un enseignement. C 'est à la fois un privilège et la volonté de l'auteur. » Ph. Soupault
JOYCE, James (Dublin, 1882-Zurich, 1941). Romancier et poète irlandais. Son écriture originale et complexe, qui expérimenta tous les procédés littéraires, bouleversa la littérature du XXe siècle. Issu d'une vieille famille catholique, pensionnaire dès l'âge de 6 ans chez les jésuites, Joyce, déçu par la politique nationaliste, quitta l'Irlande en 1904 et mena dès lors une vie errante et cosmopolite. Installé à Paris où il découvrit Gustave Flaubert, puis à Zurich et à Trieste où il composa les poèmes de Musique de chambre (1907), Joyce écrivit une série de nouvelles réalistes rassemblées dans Gens de Dublin (1903-1906) qui, jugées licencieuses par plusieurs éditeurs anglais, ne parurent qu'en 1914, puis Dedalus, Portrait de l'artiste en jeune homme (1916), roman autobiographique inspiré par son enfance et son adolescence en Irlande. Après un court séjour à Zurich durant la guerre (1915-1919), Joyce revint à Trieste puis s'installa définitivement à Paris, son ultime patrie d'adoption. Il y publia son grand roman Ulysse (1913-1922), version moderne et parodie de l'Odyssée, longtemps interdit en Angleterre et aux États-Unis pour « pornographie » mais qui bouleversa, par la mise en oeuvre de moyens linguistiques originaux et par l'abondance des symboles et des allusions, les procédés littéraires. Joyce écrivit enfin un dernier grand roman Finnegans Wake (1939) qui devait clore son cycle romanesque.