JOUVE Pierre Jean
JOUVE Pierre Jean 1887-1976
Ayant grandi à Arras, où il est né, dans un milieu bourgeois dont seule la musique lui offre l'occasion de s'évader, il s'engage, la guerre venue, comme infirmier et contacte une grave maladie infectieuse qu'il soigne en Suisse. Là, il se lie avec Romain Rolland. Aussi ses premiers recueils se situent-ils dans la ligne unanimiste: poèmes «pacifistes», généreux et éloquents. Mais en 1924, il publie Les Mystérieuses Noces et, quand paraît Noces (1928), il renie son oeuvre antérieure. Vont suivre: Le Paradis perdu (1929), Sueur de Sang (1934), ainsi que de nombreux romans (dont Paulina 1880). Il y révèle sa personnalité complexe, celle d'un chrétien torturé, fortement influencé par les grands mystiques, telle Sainte Thérèse d'Avila, et qui cherche Dieu dans la profondeur du péché. Hanté de surcroît par un érotisme obsédant et une conscience sacrificielle de l'événement, il y joint une interprétation chrétienne et étonnante de la psychanalyse. La Vierge de Paris sera le bilan de ses poésies de guerre, pendant laquelle il a aussi écrit une analyse pénétrante du personnage de Don Juan. De nombreux recueils de poèmes suivront: Génie (1947), Diadème (1949), Ode (1951), Langue (1952), Lyrique (1956), Mélodrames (1957), Inventions (1959), Moires (1963), Ténèbres (1965). Tantôt usant de vers presque réguliers et de versets, tantôt d'une prosodie très personnelle qui évoque tour à tour Delacroix aussi bien que Baudelaire, Mozart, ou Alban Berg, Jouve demeure le poète qui clame dans ses rebonds, ses torsions et ses repentirs, l'élan mystique toujours recommencé.
JOUVE Pierre Jean
1887-1976
Poète, romancier et essayiste, né à Arras. Après une jeunesse maladive, le poète Jouve, un temps rattaché à l’école « unanimiste » sous l’influence de Jules Romains, renie vers 1924 ses ouvrages-antérieurs. Il se convertit au catholicisme, connaît la révélation de la psychologie dite « des profondeurs » (sa femme est médecin psychanalyste), et, enfin, découvre que le verbe poétique ne peut jaillir en lui qu’à la faveur d’une angoisse ; ou, tout au moins, d’une conscience aiguë du sentiment tragique de la vie (comme l’a dit l’Espagnol Miguel de Unamuno). Ces trois thèmes majeurs (ou plutôt ces trois registres : cryptique, pathétique, mystique) se retrouveront rassemblés au seuil de son recueil de poèmes, Sueur de sang (1933), dans une étonnante préface en forme de manifeste, intitulée Inconscient, spiritualité et catastrophe (La catastrophe la pire de la civilisation est à cette heure possible parce qu’elle se tient dans l’homme, écrit-il en particulier). Aux trois éléments réunis dans le titre de la célèbre préface va se mêler d’ailleurs un quatrième (plus sourd et souterrain, plus timide, et comme honteux de lui-même) : la sexualité, toujours conçue chez lui comme une faute. À ses romans Paulina 1880 (1925), Hécate (1928) que suivra Vagadu (1931) - réédités plus tard en 1947 sous le titre commun d’Aventure de Catherine Crachat — et La Scène capitale (1935), succéderont les poèmes des Noces (1932), de Sueur de sang (1933), de Kyrie (1938), de La Vierge de Paris (1944), d’Hymne (1947), de Génie (1947), de Diadème (1949), de Moires (1962), de Ténèbre (1965) ; à quoi s’ajoute un curieux mémorial intitulé En miroir (1954). Qu’elle ait recours au vers classique ou au verset, la langue de Jouve mêle les vocabulaires (et par suite les « niveaux ») les plus divers, celui de l’extase mystique ou celui de l’érotisme, sans se départir d’un ton égal, un peu harcelant ; mais la voix qui nous parle reste toujours attachante, poignante même. Il faut signaler, sur un autre plan, la beauté de ses traductions de Shakespeare (les Sonnets) et, plus encore, de Hölderlin, ce poète (considéré, jusqu’ici, comme « intraduisible ») que Goethe tenait pour « l’esprit dionysiaque par excellence » et que bien des Français lettrés, avec bonne conscience, ignoraient hier encore.
JOUVE Pierre Jean. Poète français. Né le 11 octobre 1887 à Arras, mort le 8 janvier 1976 à Paris. Dans En Miroir (1954), il a évoqué avec pudeur sa vie, qui se confond pratiquement avec son travail poétique. A 16 ans, sévèrement malade, il découvre la poésie, subit l'influence de l'unanimisme, et publie une série de recueils qu'il rejettera en 1925 et excluera même de ses oeuvres complètes. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, il se réfugie à Genève, où il écrit des poèmes qui comptent parmi les plus beaux de la poésie de la Résistance et appuie de Gaulle. Discret, hostile aux chapelles et aux mouvements littéraires, il édifie patiemment une oeuvre poétique qui est peut-être la plus importante du siècle (dans le domaine français) : Mystérieuses Noces (1925), Nouvelles Noces (1926), Le Paradis perdu (1929), Les Noces (1931), Sueur de sang (1935), Matière céleste (1937), Kyrie (1938), La Vierge de Paris (1944), Hymne (1947), Génie (1948), Diadème (1949), Ode (1950), Langue (1954), Lyrique (1956), Mélodrame (1957), Inventions (1958), Moires (1962), Ténèbre (1965), recueils rassemblés de 1964 à 1967 dans des oeuvres complètes (Poésie I-IV, V-VI, VII-1X, X-XI). Il faut ajouter à ces recueils des essais : Défense et illustration (1943), Le Don Juan de Mozart (1944), Wozzeck ou le nouvel opéra (1953), Tombeau de Baudelaire (1958). Entre les deux guerres, Pierre Jean Jouve a également publié une série de « romans poétiques » : Paulina 1880 (1925), Le Monde désert (1927), Hécate (1928), Vagadu (1931), Histoires sanglantes (1932), La Scène capitale (1935), Hélène (1936), certains de ces textes ayant été rassemblés ultérieurement dans Aventure de Catherine Crachat (1947). L'oeuvre romanesque de Jouve est étroitement reliée, tant dans sa thématique que dans ses personnages, à l'oeuvre poétique proprement dite. Pierre Jean Jouve est sans doute le seul poète de ce siècle a avoir essayé d'exprimer dans son oeuvre la sexualité. A cet égard, son oeuvre n'est pas séparable de la psychanalyse, que le poète a connue de très près. Non que Jouve soit un poète « psychanalytique » : l'expression serait absurde. Mais c'est un poète qui élabore poétiquement les grands thèmes que l'expérience analytique a mis au jour : l'inconscient, l'éros, la faute, la mort, le symbolisme psychique. Dans cette optique, Jouve a rejeté l'écriture automatique des surréalistes, en alléguant que l'« association verbale » — avec toute la mythologie de la liberté de l'esprit qu'elle implique — n'était pas l'« association libre », telle que la définit la psychanalyse et telle qu'il s'efforce de la pratiquer dans son oeuvre, liée à un effort difficile et douloureux de « mise en forme ». Ainsi est née, surtout avec Sueur de sang, la première poésie de l'inconscient. Jouve se rend parfaitement compte de l'originalité de sa démarche : « La poésie est un véhicule intérieur de l'amour. Nous devons donc, poètes, produire cette « sueur de sang » qu'est l'élévation à des substances si profondes, ou si élevées, qui dérivent de la pauvre, de la belle puissance érotique humaine » (préface de Sueur de sang). Jouve restera fidèle jusqu'au bout à cette définition de la poésie. Mais ce n'est pas le seul axe de, sa création. Profondément religieux, le poète a été marqué par la lecture des mystiques : François d'Assise, Catherine de Sienne, Thérèse d'Avila. L'acte poétique est pour lui un acte quasi « rédempteur » : « Je n'aurais jamais écrit une ligne si je n'avais pas cru au rôle sanctificateur de l'Art » (En Miroir). Mysticisme catholique, sens du péché, fascination de la chair, mais aussi de la mort, de la « Nada » (l'absence) sont ainsi repris dans une poésie qui, au fil des années, s'approche toujours davantage du chant. Jouve, qui a consacré un essai au Don Juan de Mozart et au Wozzeck d'Alban Berg, a d'ailleurs été toute sa vie attiré par la musique. Sa poésie pourrait être définie par le titre de l'un de ses recueils : Mélodrame, où s'unissent drame et mélodie. Le drame est celui de la psyché humaine et de ses aspirations contradictoires, et la mélodie le chant que le poète crée à partir de « l'humus » tragique de l'âme. Dans Sueur de sang, la poésie est délibérément explosion d images douloureuses, violentes, insoutenables, où affleurent les symboles qui structurent l'inconscient : sang, oeil, chevelure, toison, arbre, cristal, perle, cerf, serpent, etc. Les poèmes, généralement brefs, nous offrent des grappes de symboles, où s'exprime toujours « la pauvre, la belle puissance érotique humaine ». Bien qu'ici toute syntaxe traditionnelle, toute versification aient été abandonnées — comme si les mots explosaient sous la pression de ce qu'ils ont à dire — nous n'avons pas affaire à une poésie « hermétique » au sens mallarméen : l'obscurité des poèmes est l'obscurité de la psyché où se mêlent pulsion de mort et pulsion de vie, Eros et Thanatos, élans vers la sainteté et élans vers la chair. Dans les oeuvres qui suivent, au contraire, les vers libres s'allongent, deviennent — tout en se maintenant dans la même dimension fondamentale — musique et chant : « Le chant du cygne est chant de la mort, mais où va / ton chant de pure absence ? Et nous ne mourrons pas / Nous, connaissant le vers issu des nébuleuses / et pli rose où l'odeur a la science de l'homme. / Tes cheveux se tordent toujours, toujours ton souffle / rit en bruns mamelons; rivière de ta hanche / La jeunesse descend au sombre carrefour... » Cette musicalité des vers préserve cependant ce qui, pour Jouve, est le coeur de la poésie : le mot. « Le poète est un diseur de mots ». Comme Rilke ou Hôlderlin (Jouve a d'ailleurs traduit les « poèmes de la folie » de ce dernier), l'auteur de Langue et de Diadème privilégie les mots et on pourrait fort bien caractériser son oeuvre comme une série de variations — au sens musical du terme — autour de certains mots ou noms fondamentaux : cygne, cerf, mort, Nada, absence, pli, chevelure, Hélène, etc. Ce n'est pas un hasard si Jouve a traduit également un grand orfèvre des mots : Gongora. Du contact, ou plutôt du choc, entre une matière incandescente (tour à tour chamelle et « céleste ») et un souci de la forme confinant à la préciosité, surgit toute l'originalité de sa poésie. En ceci, Jouve est sans doute l'héritier direct de Baudelaire et de Nerval. L'oeuvre romanesque est liée souterraine-ment à l'oeuvre poétique : on pourrait dire que sa thématique est la même (Hélène, l'une des figures principales de cette oeuvre, resurgit très longtemps dans les recueils poétiques, et Jouve, dans En Miroir, nous explique pourquoi). Mais leur élaboration est différente. Non que Jouve, là encore, se contente d'adopter sans la changer la structure romanesque. Bien au contraire : il crée une nouvelle forme — à la fois élégante, nerveuse, presque stendhalienne, et profondément poétique — propre à exprimer les rapports de ses personnages. Paulina 1880, La Scène capitale, Le Monde désert, etc., comptent parmi les plus beaux romans de ce siècle. Ils tournent tous autour de ce triangle, lui-même symbolique, constitué par la Faute, l'Amour et la Mort. Dans la Scène capitale, l'héroïne, Hélène de Sannis, meurt après avoir fait l'amour avec un jeune homme. Cette « scène » étonnante — où Eros et Thanatos échangent leurs signes — est, nous suggère Jouve « la scène capitale ». On ne peut s'empêcher de penser à la « scène primordiale » de Freud. Et certes, dans l'inconscient, pulsion de vie et pulsion de mort sont étroitement mêlées. Aucun autre poète — Baudelaire excepté — n'a su exprimer cela. Et c'est la grandeur de Jouve que d'avoir mené à bien cette tâche d'expression avec une précision poétique jusqu'à présent inégalée. ♦ «La grandeur de Pierre Jean Jouve est dans cette longue passion de témoigner, par le roman et les poèmes, d'une obscurité qui n'est jamais des mots, mais de l'être, de la vie. » G. Ungaretti. ♦ « Pierre Jean Jouve est un des plus grands poètes de notre langue... Constamment, dans la poésie de Pierre Jean Jouve, il y a le mouvement dialectique par quoi la présence perdue comme être est remémorée comme mystère, trace qui défait le réseau des métaphores heureuses, mais foudre, aussi, parfois, qui dans ce monde créé enveloppe tout, unissant brusquement les deux plans, celui de la faute proche et celui de l'unité, et l'innocence lointaine... » Yves Bonnefoy.