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Jankélévitch (vie et oeuvre)



Philosophe français d'origine russe (1903-1985). Héritier de Bergson et des existentialistes, il a tenté de définir une morale fondée sur l'altruisme et l'amour. La philosophie, pour Jankélévitch, a pour vocation de penser le .presque-rien, c'est-à-dire l'impensable, ce qui se situe aux limites de ce que la conscience peut saisir. Au-delà de ces limites, il n'y a plus de discours possible. Il est également l'auteur d'ouvrages sur la musique. Esprit brillant et original, remarquable pianiste, homme d'une grande culture, Vladimir Jankélévitch a profondément marqué la philosophie contemporaine. Penseur de la vie quotidienne, il a renouvelé la réflexion portant sur la mort, le mal et l'acte moral.

VIE
Profondément choqué par les horreurs du nazisme, Vladimir Jankélévitch a consacré sa vie à montrer que les forces du mal reprennent le dessus dès que notre vigilance se relâche et qu'il faut restaurer une réflexion morale authentique et exigeante.
Une jeunesse brillante Vladimir Jankélévitch naît en 1903 à Bourges où ses parents se sont installés, fuyant les pogroms meurtriers de leur Russie natale. Bilingue franco-russe, exceptionnel en latin, en grec et en allemand, il est reçu à 19 ans à l'École Normale Supérieure, dont il sortira agrégé de philosophie en 1926, trois ans avant Sartre. De 1927 à 1932, il enseigne dans divers lycées. En 1933, il passe son doctorat, enseigne à l'Institut français de Prague puis à l'Université de Toulouse dès 1936.
La grande rupture En 1940, les lois antijuives lui interdisent d'enseigner. C'est le grand choc de sa vie. Sa haine de l'Allemagne nazie sera telle qu'a partir de l'Occupation, il ne lira plus une ligne de Leibniz, de Kant et ne jouera plus une note de Mozart ou de Beethoven. Après la Libération, il devient professeur de philosophie morale à la Sorbonne. Il meurt à Paris le 6 juin 1985.

OEUVRES
Au sein d'une production considérable, Vladimir Jankélévitch a su unir réflexion éthique et réflexion esthétique. Ce grand philosophe fut aussi un remarquable musicien et un musicologue inspiré.
Traité des vertus (1949) C'est le maître-livre de Vladimir Jankélévitch. Il le rééditera en 1968. Fidèle en ceci à Henri Bergson, il prend pour thème de réflexion l'existence de la conscience dans le temps. Nous n'existons authentiquement que lorsque nous prenons une décision. L'homme ne vit réellement que dans l'instant, c'est-à-dire dans l'acte moral qui élève l'homme au rang de créateur. En effet, dans l'acte moral, irréfléchi et instantané, je m'engage tout entier en créant, par mon attitude, un monde de valeurs qui transcende mon simple être-là.
Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien (1957) Dans ce livre célèbre, qui est l'un de ceux qui ont fait le plus de bruit, Jankélévitch s'affronte au problème de l'Être en posant la question de savoir si l'Être est pensable. Paradoxe: l'Être est à la fois impensable et inexprimable. Pourtant, dans l'apparaître, se manifeste un «Je-ne-sais-quoi». C'est «presque-rien» mais c'est quelque chose d'essentiel.
Le Pur et l'impur (1960) Fidèle à sa recherche de l'impalpable, du fugitif, de l'instant privilégié, Jankélévitch s'attache, dans cette oeuvre, à la notion de pureté. Le pur n'existe pas, personne n'est pur, et pourtant, l'évidence de la pureté reparaît quand je cesse de l'analyser.
La Mort (1966) L'oeuvre aborde la question essentielle de toute réflexion sur l'homme: cet événement à la fois banal et scandaleux par lequel toute existence s'abîme dans le mystère. La vie, «parenthèse de rêverie dans la rhapsodie universelle», n'est peut-être qu'une «mélodie éphémère» découpée dans l'infini de la mort. Ce qui ne veut pas dire qu'elle soit insignifiante ou vaine, car le fait d'avoir vécu cette vie éphémère reste un fait éternel, que ni la mort ni le désespoir ne peuvent réduire à néant.

EPOQUE
L'ère du soupçon Karl Marx a révélé que la lutte des classes sous-tend tout discours politique et la dénoncé l'humanisme comme idéologie. Friedrich Nietzsche a montré l'origine purement humaine (trop humaine) des vertus et a mis au jour l'illusion du sujet. Sigmund Freud a dévoilé les motivations secrètes qui nous forcent à reconnaître que «le moi m'est pas le maître dans sa propre maison». Les autorités qui servaient de guides (Dieu et la raison des Lumières) ont été destituées.
Le renouveau de l'exigence éthique Les philosophies du soupçon croyaient avoir sonné le glas de la morale, mais le crime à grande échelle de la folie nazie a mené certains philosophes à repenser l'éthique. Hans Jonas réfléchit sur la menace que constitue l'ensemble de la technologie. Emmanuel Lévinas se propose de restaurer l'humanisme . Paul Ricœur et Vladimir Jankélévitch repensent l'acte moral.

APPORTS
La réhabilitation des valeurs et de la vertu. En analysant de façon originale des expériences humaines (comme l'ennui ou le remords) généralement peu étudiées par les philosophes, Jankélévitch a mis en lumière la permanence du monde des valeurs que Nietzsche avait cru détruire. Ainsi, le remords m'enseigne que je suis davantage que la faute que j'ai commise; l'ironie et l'humour m'apprennent que je suis au-delà de toutes mes pensées; l'ennui me révèle qu'«une âme vide de plaisir et de bonheur est cependant une âme où il se passe quelque chose».
«Aime et fais ce que tu veux». Jankélévitch reprend à son compte la formule de Augustin. La valeur de la vie morale est dans l'intention qui la porte. Mais l'amour est sans cesse menacé et vaincu par le mal. En effet, le bien est austère, il n'a pas belle apparence, tandis que le mal peut être séduisant.
Postérité-actualité. Si la philosophie de Jankélévitch est une philosophie tragique, elle n'est pas une philosophie désespérée. Bien que les grands philosophes de l'après-guerre, comme Jean-Paul Sartre et Maurice Merleau-Ponty, l'aient fait passer au second plan, il serait injuste d'oublier sa contribution à la pensée d'aujourd'hui: elle nous a appris que l'énergie morale peut et doit répondre à tous les pièges du mal.