Jacques Dupin
Poète né le 4 mars 1927 à Privas (Ardèche). Vit à Paris depuis 1945. Collaborateur d’Aimé Maeght et familier des grands peintres contemporains, il a géré notamment la revue l’Ephémère jusqu’en 1972. Son dernier recueil, Dehors, est, en 1977, porté à la scène par Jacques Guimet au Théâtre du Palace dans le cadre du Centre national de création contemporaine qu'anime Pierre Laville. Gravissant des brisants de plus en plus escarpés, la parole poétique de Jacques Dupin, exigeante et tendue, s’est peu à peu déracinée des terreaux que lui avaient fournis René Char et Saint-John Perse. Dupin a fait subir à sa poésie un « retournement fondamental », celui d’une déchirure essentielle, d’une entreprise de violence sur les mots, en même temps que lui-même subissait la loi de cette destruction. Mouvement paradoxal qui l’a conduit à extraire du non de la violence et de la mort, un oui absolu, assentiment d’autant plus total qu’il est aussitôt remis en cause. Plusieurs critiques ont fait remarquer que la poésie de Dupin évoluait dans un espace heideggerien, un lieu ouvert sur le profond, brèche où s’engouffre, dans la souffrance et la lutte, l’être échappé au néant, « la foudre (qui) fait germer la pierre ». Le poème est une « maison ouverte, inaccessible / Que le feu construit et maintient », une « embrasure », béance et brasier tout ensemble. Mais cette régénérescence du langage toujours pris en défaut, ne peut se faire qu’à travers l’écorchure, la rupture, un engagement cruel du corps et de l’esprit. Dans Ballast, dernier recueil paru, Dupin écrit à nouveau :
« - et c’est l’enfer qui se rallume, et toujours commence, de part et d’autre de la ligne (...) et le même mot brille, et nous chasse, et rallie la semence, l’excès de forces, le désir... »
Comme ses pairs et amis, Yves Bonnefoy, Philippe Jaccottet ou André du Bouchet, Jacques Dupin se défie de l’opération poétique, balançant sans cesse entre une attitude de refus et de soumission face à un art fragile dont on exalte finalement le pouvoir. On trouve bien ici la problématique où s’enracine (ou bien s’enlise, selon les cas) la poésie contemporaine. Jacques Dupin, lui, n’a pas cessé d’espérer, quoi qu’il en dise, car tous ses efforts tendent à gagner au haut, à trouver l’air libre, le « soleil substitué ». Il a beau se méfier des « métaphysiciens », la poésie demeure pour lui une façon d’alchimie. Bien sûr, il refuse de croire, extatiquement, à une poésie visant un ailleurs, parlant un futur absolu. « Le flux de limaille nous traverse » et tout passe par le « dehors ». L’écriture hante l’abîme, car elle est prise et parle tout à la fois dans l’écart qui mesure, indéfiniment, la faille entre la pensée et le monde. Ce qui n’exclut pas — et c’est là que la poésie gagne son statut solaire, redevient sacralisée en son manque même —, que le dévoilement exprime « la dynamite du songe » comme dans le poème Sang (1971), où la brèche ouverte par Mai 68 autorise, ne serait-ce qu’un instant, la jonction de l’historique à l’ontologique. Les signes insensés, les forces inconnues se heurtent et se composent ; le non-lieu se délivre dans un « travail » obstétrique toujours renouvelé: Dans l’Embrasure, Jacques Dupin définit sa conception rigoureuse d’une poésie dissidente par rapport à la parole institutionnelle : « Expérience sans mesure, excédante, inexpiable, la poésie ne comble pas mais au contraire approfondit toujours davantage le manque et le tourment qui la suscitent. Et ce n'est pas pour qu'elle triomphe mais pour qu’elle s’abîme avec lui, avant de consommer un divorce fécond, que le poète marche à sa perte entière, d’un pied sûr. »
► Bibliographie
Poésie : Cendrier du voyage, G.L.M., 1950 ; les Brisants, G.L.M., 1958 ; l'Êpervier, G.L.M., 1960 ; Saccades, Maeght, 1962 ; Gravir, Gai I imard, 1963 ; /'Embrasure, Gallimard, 1969 ; Dehors, Gallimard, 1976 ; Ballast, le Collet de Buffle, 1976. Essais : Miro, Flammarion, 1961 ; Alberto Giacometti, Maeght, 1964 ; Miro, collection d'art UNESCO, 10/18,1967. Étude : Jacques Dupin par Georges Raillard, Poètes d'aujourd'hui, Seghers.
Poète né à Privas, Ardèche. Très jeune, il donne son premier recueil, Cendrier de voyage (1950), suivi de quatre autres livres de poèmes jusqu’en 1962, qu’il considère bientôt comme hésitants; il « fait partir» sa production poétique de Gravir (1963) ; et, de fait, il se révèle soudain plus audacieux, plus direct. Il va plus vite au plus profond. Tout au fond. Il va se dépeindre de façon lapidaire et, du même coup, définir son art dans L’Embrasure (1969) : Maison ouverte, inaccessible / Que le Jeu construit et maintient. Le titre du recueil, d’ailleurs, ne dit pas autre chose (et encore plus brièvement) par le double sens du mot « embrasure » : s’embraser, c’est s’entrouvrir, vulnérable, à toute la hideur du monde. Et c’est aussi prendre feu ; protégé, donc, par ce Jeu construit que constitue l'inaccessible poème. Longtemps collaborateur d’Aimé Maeght à la galerie du même nom, Jacques Dupin est l’auteur d’un Giacometti (1964); et, plus détendu, d’un Juan Miro (1967). Ses recueils poétiques se détendent, eux aussi, avec Dehors (1975, porté à la scène en 1977 dans le cadre du Centre de création contemporaine), puis avec Ballast (1976), Une apparence de soupirail (1983) et Chansons troglodytes (1989).