Jacques Almira
Né en 1950, licencié en philosophie et es lettres classiques, Jacques Almira n ’a pas 25 ans lorsqu ’il publie le Voyage à Naucratis pour lequel il obtient le prix Médicis 1974.
Un livre suffit pour révéler, imposer un écrivain, surtout quand ce livre a les apparences d’une somme, l’ampleur des grandes œuvres de fiction. Le Voyage à Naucratis n’a rien à voir avec les petits romans de débutants, généralement courts, brillants, autobiographiques, comme il en pleut à chaque rentrée littéraire. C’est au contraire un fort volume de 550 pages, qui met trop profondément en œuvre le savoir et l’imaginaire pour être simplement brillant et qui, s’il est par certains côtés autobiographique, nous renseigne autant et plus sur sa propre histoire que sur la vie de son auteur. Sans doute et c’est là, dira-t-on, qu’on reconnaît le jeune romancier, n’est-ce point une œuvre parfaite. Mais outre que la perfection (opposée au caprice, à la déchirure, au pathétique, etc.) n’est pas le signe nécessaire d’une grande œuvre, le Voyage à Naucratis, malgré quelques baisses de tension, est un roman cohérent et se déploie comme un grand fleuve indifférent aux scories, déchets et alluvions qu’il véhicule. Le Voyage à Naucratis est le roman de Jacques Almira écrivant : baignant dans le livre en cours, se souvenant des étapes précédentes, des mauvais chemins et des impasses, des pièges évités; fuyant son travail, — dans la rue, le monde, chez Pons le pâtissier du Luxembourg ou dans l’aventure érotique — mais pour mieux le retrouver; se projetant dans le texte à venir, dans le livre futur. S’il ne s’agissait que du roman du roman, bouteille à l’encre d’une certaine avant-garde, le thème ne serait guère nouveau. Seulement Almira va plus loin. Son récit (ou plutôt l’ensemble des récits qui s’engendrent les uns les autres, s’entrecroisent, se heurtent, se contestent et finalement s’enchaînent, se fondent dans un mouvement continu) noue ensemble, tresse dans une même trame deux grandes aventures : celle du corps et celle des livres. Le corps est ce qui dérange, détourne de l’écriture, vers la douleur, le plaisir, les besoins quotidiens : manger, dormir, uriner. Mais, c’est aussi la bouche qui parle, la main qui écrit. Sans le corps, il n’y aurait pas de parole, pas de texte, mais aussi par d’arrêt, pas de fatigue, de répugnance. Surtout pas d’aventure à dire, pas d’ancrage dans la réalité. Evitant toute illusion réaliste, c’est pas le corps qu’Almira retrouve le réel, à partir de lui, de ses faiblesses ou de son épanouissement (du borborygme à la jouissance) qu’il peut exprimer sa relation — et celle de l’écriture — au réel. Cette descente dans le concret, dans l’expérience quotidienne, a pour contrepoint une autre traversée, celle des livres et de l’imaginaire. Almira apparaît alors comme un homme bibliothèque, qui a lu tous les romans, mais aussi toute la philosophie. Pourtant il ne propose pas un essai, une lecture des livres qu’il a lus. De ces livres et de leurs auteurs il nourrit ses fantasmes, il fait le point de départ de nouvelles fictions. Sans doute voudrait-il être Flaubert ou Joyce ou Proust ; mais il ne les imite pas; il leur vole leurs personnages pour les jeter dans de nouvelles aventures ou bien les place eux-mêmes dans des situations imprévues. Non roman du roman mais roman des romans, de la rencontre du savoir et du corps, de l’imaginaire et du désir, le Voyage à Naucratis avec son écriture parsemée de vocables chatoyants comme autant de clins d’œil à Huysmans, ses digressions sur l’écriture, ses scènes dramatiques, parodiques ou triviales, ses surprises et ses chutes, joue finalement de la littérature pour la mieux réinventer. ► Bibliographie: Le Voyage à Naucratis, Gallimard, 1975. Les Cahiers du Chemin.
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