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J.-J. Rousseau: Pufendorf

Pufendorf dit que, tout de même qu’on transfère son bien à autrui par des conventions et des contrats, on peut aussi se dépouiller de sa liberté en faveur de quelqu’un. C’est là, ce me semble, un fort mauvais raisonnement ; car premièrement, le bien que j’aliène me devient une chose tout à fait étrangère, et dont l’abus m’est indifférent, mais il m’importe qu’on n’abuse point de ma liberté, et je ne puis sans me rendre coupable du mal qu’on me forcera de faire, m’exposer à devenir l’instrument du crime. De plus, le droit de propriété n’étant que de convention et d’institution humaine, tout homme peut à son gré disposer de ce qu’il possède : mais il n’en est pas de même des dons essentiels de la nature, tels que la vie et la liberté, dont il est permis à chacun de jouir et dont il est moins douteux qu’on ait droit de se dépouiller. En s’ôtant l’une on dégrade son être ; en s’ôtant l’autre on l’anéantit autant qu’il est en soi ; et comme nul bien temporel ne peut dédommager de l’une ou de l’autre, ce serait offenser à la fois la nature et la raison que d’y renoncer à quelque prix que ce fût.

J.-J. Rousseau.

1. Juriste auquel s’oppose Rousseau.

Questions 1) Dégagez l’idée principale du texte et son argumentation. 2) Expliquez a) « le bien que j’aliène me devient une chose tout à fait étrangère » ; b) « ce serait offenser à la fois la nature et la raison que d’y renoncer... ». 3) A-t-on le droit de renoncer à sa liberté ?

Parties du programme abordées : - La société. - L'État. - Le pouvoir. - La liberté.

Analyse du sujet : Un texte très classique cherchant à démontrer le caractère inaliénable de la liberté : celle-ci n'est pas un bien que l'homme possède et dont il pourrait se dessaisir, mais une donnée consubstantielle de son être qu'il ne peut abandonner sans cesser du même coup d'être lui-même.

Conseils pratiques : Pour la troisième question, montrez bien à quelles conséquences conduit une renonciation à la liberté. Envisagez l'étendue de cette renonciation. Montrez en quoi une délégation de souveraineté est et n'est pas une renonciation à la liberté.

Bibliographie : La Boétie, Discours de la servitude volontaire, Aubier-Montaigne. Hobbes, Léviathan, Sirey. Rousseau, Du Contrat social, Garnier-Flammarion. Schmitt, Du Politique, Pardès. Freund, L'essence du politique, Sirey.

Difficulté du sujet : ** Nature du sujet : classique.


Pufendorf, Samuel, baron von (Dorfchemnitz, Saxe, 1632 - Berlin 1694) ; juriste et historien allemand. Premier titulaire la chaire de droit naturel et de droit des gens à l’université de Heidelberg, ce fils de pasteur tente de faire un bilan systématique de l’état de l’Empire après la guerre de Trente Ans. Il déplore amèrement la division et la diversité des conditions juridiques qui lui font apparaître l’Allemagne comme un « assemblage bizarre », « un monstre » (De statu Imperii Germanici, 1667). Son principal ouvrage sur le droit naturel (De jure naturae et gentium, 1672) est publié alors qu’il enseigne depuis quatre ans à l’université suédoise de Lund. S’appuyant sur Grotius et sur Hobbes, il achève de séparer nettement la philosophie de la théologie. Certes, ce luthérien justifie le droit et la morale par la volonté divine ; mais celle-ci n’est pas connue par une révélation, on ne peut la rechercher que par l’usage de la raison et l’observation de la nature humaine. P. systématise la doctrine du « contrat » de Hobbes : au départ, il existe un contrat entre les individus, il en résulte un transfert du pouvoir au souverain, et finalement un contrat entre le prince et ses administrés. En tant que vicaire de Dieu, le souverain a un pouvoir absolu, mais en même temps l’obligation de sollicitude envers ses sujets, le devoir de garantir la paix et la justice. L’origine contractuelle du pouvoir du souverain conduit nécessairement à la reconnaissance du droit à la résistance, que P. tient à réduire uniquement à l’état d’urgence. Attaqué comme champion de la tolérance religieuse dans une Suède dominée par l’orthodoxie luthérienne, P., qui était depuis 1677 historiographe de Suède, accepte avec joie en 1688 le poste d’historiographe à la cour de Brandebourg. Dans un État aux confessions mêlées comme l’était le Brandebourg, la tolérance est naturelle et indispensable. À Berlin, P. écrit l’histoire de Frédéric-Guillaume, le Grand Électeur. En détachant la doctrine du droit naturel des contraintes dogmatiques, P. accomplit un pas décisif en direction des Lumières. Sans sa théorie de l’autodiscipline fondée sur la morale, qui vaut tout autant pour le souverain que pour ses sujets, on ne peut comprendre vraiment la forme spécifique qu’a prise en Prusse le despotisme éclairé. Bibliographie : P. Laurent, Pufendorf et la loi naturelle, 1982.




PUFENDORF Samuel von. Philosophe et juriste allemand d’expression latine. Né le 8 janvier 1632 à Dorf-Chemnitz (Saxe), mort le 26 octobre 1694 à Berlin. D’une famille de pasteurs, il étudia à Leipzig et Iéna. Il quitta Iéna en 1657 pour la Hollande, puis devint précepteur de la famille de Petrus Julius Coyet, ministre résidant à Copenhague de Charles-Gustave, roi de Suède. Fait prisonnier ainsi que les autres membres du Ministère par les Danois soulevés contre Charles-Gustave, en prison il médita longuement sur ses lectures de Grotius et Hobbes, élaborant alors un système de droit universel, et lorsque à la fin de sa captivité il accompagna ses pupilles à l'Université de Leyde, il publia (1660) ses Eléments de jurisprudence universelle. L’œuvre est dédiée à Charles-Louis, électeur palatin, qui créa la même année pour Pufendorf une chaire de droit naturel et de droit des gens à l’Université de Heidelberg, la première du genre dans le monde. En 1667, il publia, avec l’assentiment de l’électeur, De l’état de l’empire germanique, paru sous le pseudonyme de Severinus de Monzambano, gentilhomme de Vérone. L’ouvrage fit sensation. Il était une attaque directe du Saint Empire et de la maison d’Autriche. En 1670, Pufendorf fut appelé à l’Université de Lund, où il publia en 1672 Du droit de la nature et des gens. En 1677, il était historiographe royal et secrétaire d’Etat à Stockholm; en 1686, il devint historiographe de Frédéric III, électeur de Brandebourg, et conseiller privé à Berlin. Dans le traité Du droit de la nature et des gens, Pufendorf reprend pour une bonne part les théories de Grotius, qu’il complète par les doctrines de Hobbes et par ses propres idées. Son point de vue central est que le droit naturel ne doit pas être étendu hors des limites de cette vie et qu’il règle uniquement les actes extérieurs. Pufendorf combattit la théorie de Hobbes sur l’état de nature, concluant pour sa part que celui-ci était un état de paix et non de guerre mais que, faible et incertain, il avait besoin d’être soutenu. Pour lui l’Etat [civi-tas] est une personne morale [personna mora-lis], et la somme des volontés individuelles constitue sa volonté. Pufendorf apparaît donc là comme un précurseur de Rousseau. Dans De la coutume [De habitu], il trace les limites entre les pouvoirs civils et ecclésiastiques, et pose les bases des relations ultérieures entre l’Êglise et l’Etat en Allemagne. Il opère une distinction fondamentale entre la jurisprudence suprême dans les affaires ecclésiastiques [jus circa sacra], comme inhérente au pouvoir de l’Etat dans le respect de toutes les religions, et le pouvoir ecclésiastique [jus in sacra] inhérent à l’Eglise, mais qui par accord avec l’Etat peut être transféré à celui-ci dans certains cas. Ce système de jurisprudence fut étendu à la Prusse au cours du XVIIIe siècle. De 1673 date Devoir de l'homme et du citoyen. La postérité a sous-estimé Pufendorf, en grande partie à cause du jugement de Leibniz, son adversaire intraitable, qui le considérait comme un piètre philosophe. De toute façon sa jurisprudence demeure le modèle de celles des XVIIe et XVIIIe siècles. Il fut un critique avisé du droit de l’Etat alors en vigueur, en montra les limites et d’autre part, sans qu’il y ait ici la moindre contradiction logique, il réclama l’institution d’une union évangélique où, par la primauté de l’Etat sur l'Église, une plus grande liberté de conscience serait accordée à l’individu.

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