IVES Charles-Edward. Compositeur américain
IVES Charles-Edward. Compositeur américain. Né le 20 octobre 1874 à Danbury (Connecticut), mort à New York le 19 mai 1954. On a pu dire de Ives que c'était le premier vrai musicien américain, car, à la différence de tous ses prédécesseurs, il ne fit pas d'études musicales en Europe et son uvre musicale tout entière est marquée par le provincialisme d'une certaine Amérique, étrangère aux murs européennes. Aujourd'hui encore, l'opinion reste divisée à son sujet : musicien maladroit et de peu d'importance ou génie musical du XXe siècle ? On ne peut répondre à une telle question si l'on ne tient pas compte des deux éléments, formateurs de sa jeunesse. Le premier de ces éléments, c'est la vie même à Danbury dans les dernières années du XIXe siècle, avec toute la vitalité d'une Amérique proche encore de la Guerre de Sécession : chantdes hymnes àla chapelle, fanfare municipale, fêtes de village où l'on danse autour d'un violoneux. L'Amérique est déjà une grande puissance, cela lui pose des problèmes, mais c'est encore, en partie, un monde villageois et bucolique. L'autre influence qui a marqué Ives est la personnalité de son père, George Ives. Celui-ci, après avoir été, pendant la Guerre de Sécession, le plus jeune chef de fanfare des armées de l'Union, était resté passionné de musique et d'expériences musicales. Grand admirateur de Bach, il apprit à ses enfants le chant choral. Lecteur de Helmholtz, il tente de pousser les voix à la précision du quart de ton. Il se livrait, dit-on, à des expériences de musique spatiale. Utilisant trois fanfares, il en faisait converger deux, des deux extrémités du village, jouant des musiques différentes, vers la place centrale, où une troisième fanfare exécutait un troisième morceau; le tout étant fait pour être écouté du clocher de l'église. Toutes ces expériences marquent le jeune Ives, à qui elles donnent, à la fois, le goût de la musique et le mépris des règles avant même d'en connaître le contenu. Dès l'âge de quatorze ans, il est organiste de l'église baptiste de Danbury.il compose pour le chur de l'église, et c'est quasi spontanément qu'en 1891, il harmonisera le Psaume LXVII en y introduisant des éléments de polytonalité et de polyrythmie, à une époque où Schoenberg, son jumeau à un mois près, en est encore à gagner sa vie en orchestrant des opérettes ! D'autres psaumes, datant de la même époque, présentent des passages entiers en langage atonal. En 1894, Ives décide de faire des études musicales officielles à l'Université de Yale, auprès de Parker, respectable musicien de formation traditionnelle. Aussi, le maître est-il scandalisé par les réalisations antérieures de son élève. Cette même année voit la mort de George Ives. Pendant son séjour universitaire (1894-1898), Ives est organiste de la Central Church. Accompagnant des hymnes ressassés depuis longtemps, il y insère parfois une série de notes dissonantes. « Depuis le temps que le Seigneur les écoute, il doit être fatigué d'entendre toujours la même chose; une dissonance par ci par là devrait lui faire plaisir. » Il compose son premier quatuor et sa première symphonie, exercice scolaire où se sent l'influence de Dvorak. A sa sortie de Yale, Ives se trouve en face du problème de son avenir. Il estime impossible de gagner sa vie comme musicien, en gardant son intégrité, c'est-à-dire en écrivant la musique qu'il veut écrire. Il lui faut donc choisir une profession commerciale. Il devient clerc à la « Mutual Life Insurance Company ». Il fera une brillante carrière, fondant avec un ami sa propre firme, publiant en 1912 un manuel à l'usage des agents d'assurances, dans lequel il insiste sur les responsabilités morales qui sont les leurs « dans le progrès des valeurs humaines les plus importantes ». Quand il se retirera en 1929, sa société sera devenue la plus grosse agence de courtage du pays. Mais il ne retire pas de profit matériel important de l'affaire, se contentant de ce qu'il estime lui être nécessaire pour son confort. Ce mélange de sens pratique et d'idéalisme est une des composantes de la psychologie de Ives dont la vie s'est déroulée sur le double plan de la musique et des affaires. Lorsque l'on considère l'importance de son uvre musicale, l'on doit reconnaître qu'il a été plus qu'un musicien du dimanche. Cette uvre est en effet abondante et difficile à cataloguer. Il semble avoir toujours eu plusieurs ouvrages en chantier en même temps, faisant passer certains éléments d'une uvre à une autre. Chaque composition s'étend sur une longue durée, ce qui ne présente que peu d'importance, car son auteur n'a été joué de son vivant qu'après avoir cessé toute activité musicale. Dans son uvre symphonique, on sent une évolution qui mène à la quatrième symphonie (1910-1916) pour plusieurs orchestres avec orgue, en passant par un certain nombre d'uvres de taille plus réduite, dont le caractère descriptif ou évocateur est un trait typique de Ives. Il faut citer, à côté de quatre symphonies, Vacances [Holidays, 1904-13], consacré aux quatre fêtes nationales américaines. Dans L'Anniversaire de Washington [Washington's Birthday], l'auteur s'est souvenu des expériences de musique spatiale à plusieurs fanfares de son père. Trois évocations de la Nouvelle-Angleterre (1903-14) sont avec Nuit sur Central Park [Central Park in the dark, 1907] les chefs-d'uvre de Ives comme musicien impressionniste, recréant par des moyens très simples, confinant au « collage » d'hymnes et de morceaux de fanfares, la fraîcheur de paysages musicaux que des années de vulgarité ont laissée s'avilir. Le compositeur inverse la démarche habituelle. Au lieu d'utiliser comme matériau de base de la musique « noble », il recrée, avec les débris de notre vie musicale quotidienne, un paysage à la fois nouveau et familier. Ce procédé est très sensible dans le stupéfiant Le Général William Booth (fondateur de l'Armée du Salut) entre au Ciel [General William Booth enters into Heaven, 1914], pour chur et orchestre, où les battements de caisse, les Alléluia répétés, les fragments de cantiques, créent un climat de simplicité autour de l'entrée des pauvres dans « leur » paradis. A partir de 1920, des difficultés de santé ont freiné l'activité de Ives; la guerre l'avait profondément attristé. Il ne reste que des fragments d'une dernière symphonie, qui devait s'appeler Symphonie universelle. L'uvre pour musique de chambre n'est pas moins intéressante. Il faut y signaler deux quatuors à cordes dont le second (1907-13) est d'une densité de composition qui fait penser à l'école de Vienne. A ces quatuors, il faut ajouter Toussaint [Hallow'een, 1911] qui peut être tenue pour la première musique aléatoire, puisque le même thème doit être joué dans plusieurs tempi différents, « la décision en la matière devant être prise par les interprètes eux-mêmes ». Citons encore quatre sonates pour piano et violon, un trio avec piano (1911). L'essentiel de l'uvre pour piano est la seconde sonate (1915), baptisée Concord, Massachusetts, 1840-1860, en hommage au groupe d'écrivains ayant vécu à Concord et dont la pensée avait marqué la jeunesse de Ives. Toute l'uvre de Ives est acte de création en dehors de règles qui s'élaborent dans un monde qu'il ignore. ? « Un grand homme vit dans ce pays, un compositeur. Il a trouvé la solution du problème : comment préserver son identité tout en apprenant des autres. Il répond à l'indifférence par le mépris. Son nom est Ives. » Trouvé après sa mort dans les papiers personnels d'A. Schoenberg.
Liens utiles
- Charles Ives
- Edward Sapir1884-1939Linguiste et anthropologue américain, il élabore une classification des langues fondée surleurs formes grammaticales.
- Edward Tellerné en 1908Physicien américain d'origine hongroise, il a été professeur à l'Université de Californie.
- Edward Hopper1882-1967Peintre américain, né à Nyack, mort à New York, il est probablement le plus importantavant l'expressionnisme abstrait.
- Schönberg ou Schoenberg Arnold, 1874-1951, né à Vienne, compositeur américain d'origine autrichienne.