Introduction à la philosophie (cours de philosophie)
— I — Qu’est-ce que philosopher ?
A — L'Histoire attribue à Pythagore la création du mot « Philosophie ». Il ne conviendrait qu'à des dieux, disait il, d'être parfaitement « sages », les hommes ne peuvent être, tout au plus, qu'« amis de la sagesse ». Aristote précise que la Sagesse « n'est pas pour l'homme un bien reçu à titre de possession ou de propriété ». Ce n'est pas quelque chose que l'on a ou que l'on n'a pas ; c'est un idéal, un « esprit » ou mieux une « attitude » que l'on essaie de réaliser et c'est à cela que l'on reconnaîtrait « le philosophe ».
B — Le sens commun donne au mot des acceptions diverses. On dit de quelqu'un qu'il est « philosophe » lorsqu'il sait considérer ce qui arrive ou ce qui se passe, avec une sérénité enviable, comme s'il évitait de dramatiser, comme s'il savait toujours voir « le bon côté des choses », bref comme s'il savait se tenir à distance du réel en conservant l'humour et la liberté d'esprit. Il est facile de voir qu'un sens péjoratif risque de se glisser dans cette définition, et que le philosophe serait accusé de manquer de sérieux. Disons ici, en accord avec la philosophie la plus moderne (existentialisme) et avec la philosophie la plus ancienne (Socrate) que le philosophe ne prend pas au sérieux les mêmes choses que les gens dits « sérieux ». On dit aussi « philosophe » pour désigner communément celui qui a perdu de vue les réalités quotidiennes et qui vit dans un monde d'idées plus ou moins subjectives ou utopiques. Dans ce sens, le philosophe apparaîtrait comme un homme « non engagé », dont on ne peut pas tirer grand chose hormis l'exposé de ses idées personnelles et générales. Disons que cette acception risque aussi d'être péjorative en faisant du philosophe « un être des nuées » et un être dans les nuages. Aristophane, il y a bien longtemps, ridiculisa Socrate de cette façon. Il est vrai que le philosophe doit prendre « de la hauteur » et qu'il tend à voir les choses « d'une certaine façon », marquée par la généralité ou par la synthèse. Cela ne va pas sans risques pour le réalisme, mais ce problème est déjà philosophique.
Enfin, on appelle « philosophe » un auteur qui propose à ses lecteurs non pas l'exposé d'une science particulière ni un ouvrage de littérature, ni une pièce d'art, ni un récit, mais un ensemble d'opinions ou d'idées logiquement liées entre elles et se référant à l'expérience humaine en général, aboutissant à une conception du monde, à une conception de la vie, à une conception de l'Histoire ou à une conception de l'Homme. Dans la mesure où un tel système tente d'organiser les significations de ce que nous propose effectivement l'expérience, on est en droit de dire que l'œuvre est philosophique, quelle que soit l'idée finale ou le but de la démonstration de l'auteur. L'Histoire nous présente ainsi une succession de penseurs dont les œuvres font partie du patrimoine de l'Humanité et de la Civilisation et qui, pour la plupart, ont exercé une influence plus grande qu'on ne le croit, dans la mesure même où ils ont inspiré des mouvements d'opinion, des actions, des constitutions, des révolutions.
C — La philosophie comme matière d'enseignement est proposée en France à la fin du cycle secondaire. En Belgique elle est proposée aux tout débuts de l'Enseignement Supérieur quelle que soit la spécialité de ces études. Pourquoi en est-il ainsi ? Parce qu'elle correspond, dans un cas comme dans l'autre, à un âge, l'âge de la fin de l'adolescence, moment où le jeune homme et la jeune fille se trouvent au seuil de la vie d'adultes et à une période que tous les psychologues sont d'accord pour appeler l'âge philosophique. A cette période de la vie la réflexion critique attaque avec vigueur les structures du passé et les valeurs qui ont été imposées jusque là. Fier de ses forces neuves, désireux de vivre sa vie, plein de puissance créatrice et débarrassé de la peur des tabous de son enfance, le jeune homme ou la jeune fille tente de reconstruire le monde à son idée et de renouveler les valeurs. En même temps il met en question les significations jusque là indubitables, et cherche pour de bon et pour son compte personnel la signification du Monde, de l'Existence, de l'Avenir et d'Autrui. Période fertile, malgré ses aspects destructeurs et révoltés, qui va tirer profit de la connaissance des grandes philosophies et des grands courants culturels étrangers. Dans la classe de philosophie, le jeune homme ou la jeune fille vont justement apprendre à penser, à construire et à agir. Ceci permet de situer le rôle du professeur de philosophie et la responsabilité personnelle des étudiants qui l'écoutent. La chaire du professeur de philosophie n'est pas une tribune et il n'a pas à "enseigner" un système de son choix ni à profiter de la situation magistrale pour sa propagande. Les régimes totalitaires et tous les dogmatismes ont toujours tenté soit de supprimer les classes de Philosophie, soit d'en faire l'occasion d'une formation doctrinale autoritaire. Le vrai rôle du professeur est d'exercer les intelligences qui lui sont confiées, d'instituer le dialogue, de rendre authentique la recherche philosophique. De toutes façons, tous les philosophes, de Platon à nos...