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Introduction à la philosophie

La philosophie n’est pas la possession d’une "sophia" (science et sagesse) mais seulement l’amour ou le désir de cette "sophia". Elle n’est pas un savoir clos, achevé, transmissible par enseignement mais une recherche. Chaque philosophie s’affirme contre les précédentes et se trouve, à son tour, réfutée par les philosophies, suivantes : « La métaphysique semble être plutôt une arène tout particulièrement destinée à exercer les forces des lutteurs en des combats de parade et où jamais un champion n'a pu se rendre maître de la plus petite place et fonder sur sa victoire une possession durable (1)» Pour l’opinion commune, la vérité doit se révéler pleinement en une philosophie. Aussi conçoit-elle la diversité des systèmes philosophiques et leur contradiction comme le signe d’un raté. Or, c’est précisément cette forme paradoxale du cheminement de la pensée philosophique qui assure l'avènement de la vérité. Le commencement, en philosophie, s’identifie avec le recul critique par rapport à ce qu’on croyait savoir : « Ce qui est bien connu en général, justement parce qu'il est bien connu, n'est pas connu. C'est la façon la plus commune de se faire illusion et de faire illusion aux autres que de présupposer dans la connaissance quelque chose comme étant bien connu, et de-le tolérer comme tel (2) » . En effet, la philosophie se distingue de la manière commune de penser. Seule la mise en question des idées habituellement admises, seule la critique radicale de l’opinion permettent l’ouverture et la délimitation de l’espace à l’intérieur duquel peut être recherchée la vérité. Mais cette critique n’est pas une fin en soi et ne débouche donc pas sur un scepticisme systématique. Elle s’effectue en fonction d’un projet. Si Descartes, par exemple, procède à un doute hyperbolique, c’est pour trouver une idée qui échappe au doute et reconstituer à partir de là un système de pensée cohérent. Le dynamisme propre à la philosophie, c’est la question : « Faire de la philosophie, c’est être en route. Les questions en philosophie, sont plus essentielles que les réponses, et chaque réponse devient une nouvelle question (3). » Accepter le questionnement, c’est; en effet, refuser de rester dans l’illusion ou l’ignorance, c’est rejeter les idées reçues et les présupposés trop assurés. Le questionnement est un appel au travail de la pensée. Mais la question ne prend tout son sens que si elle pointe un problème. C’est dans la mesure où elle est ouverture, mise en perspective, qu’elle participe au dévoilement de l’être ou de la vérité. La pensée ne se met en branle que sous l’effet d’un choc. La question surgit lorsque la pensée se trouve dans l’embarras. La formulation de la question, le fait de questionner est donc toujours lié à la position d’un problème, Ainsi, pour Socrate, la philosophie ne commence qu’au dialogue. Il questionne et met en question tous les dogmes. Socrate n’enfante pas de savoir. Il est celui qui sait qu’il ne sait rien. Il pose les questions aux autres mais ne produit lui-même aucun savoir : « Chez moi, il n’y a pas d’enfantement de savoir, et le reproche que m’ont déjà fait bien des gens, de poser des questions aux autres - et de ne rien produire moi-même sur aucun sujet faute de posséder aucun -savoir, est un reproche bien fondé. (...) - Ainsi je ne suis précisément savant en rien (4). » Socrate est comparé à la torpille marine qui, quand on l’approche et la touche, ne manque pas d’endormir. Autrement dit, Socrate, par ses questions, dérange : « On prétend que je suis le plus déroutant des hommes et que je ne fais que mettre les autres dans l’embarras (5). » Socrate compare sa méthode à la pratique des sages-femmes. De même que les sages femmes font accoucher des enfants, Socrate fait accoucher son interlocuteur de la vérité. L’art d’accoucher de Socrate porte sur les âmes et non sur les corps. Il s’agit de faire venir à l’être les vérités présentes en l’âme. Mais pour que la vérité se dévoile, il faut que les questions soient posées comme il faut. Ce n’est pas toute question qui conduit à la vérité. La question doit donc revêtir une certaine forme, de sorte que si elle est position d’un problème, elle doit être également orientation vers une réponse. Aussi la formulation des questions suppose-t-elle nécessairement la possession d’un savoir. D’où le paradoxe de la position socratique : Socrate affirme ne rien apprendre à ses interlocuteurs. C’est de leur propre fond, suite au questionnement, que les vérités naissent. Mais comment les questions peuvent-elles avoir un sens si Socrate ne sait rien? Il faut bien admettre que les questions sont posées en fonction de la vérité recherchée. Elles supposent donc une certaine technique et renvoient à un certain savoir. De là vient la difficulté à définir la philosophie. Comment la philosophie pourrait-elle désirer ou rechercher une "sophia" si elle ne savait pas ce qu’elle cherche? Faut-il définir la philosophie à partir de ce qu’elle cherche? Sait-elle ce qu’elle est ou cherche-t-elle à savoir ce qu’elle est?

1. Kant, "Critique de la raison pure". 2. Hegel, "Phénoménologie de l'esprit", Préface, p. 28, Aubier. 3. Jaspers, "Introduction à la philosophie". 4. et 5. Platon, "Théététe" (150 c), (149 a), coll. La Pléiade, Gallimard.

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