improvisation
La question de l’improvisation est assez complexe dans l’histoire de la rhétorique. Elle s’appréhende en effet à la fois en termes d’exercice et de pratique. Quintilien la traite à propos de l’obligation où l’on peut se trouver d’avoir à parler sur-le-champ. Il s’agit donc plutôt, au départ, d’un comportement oratoire défini par une situation sociale qui l’exige (et non d’un choix ni d’une méthode). Cependant, on a connu, au fil du temps, des attitudes différentes, pour ne pas dire divergentes : des praticiens qui s’offraient librement à faire montre de leur capacité d’improvisation. Suivons Quintilien dans sa sagesse. Le grand but de tous les apprentissages oratoires est la faculté de parler sur-le-champ. Or, cette faculté trouve souvent matière à s’exercer, ne serait-ce que dans les cas où, avec un discours écrit tout préparé sous les yeux, l’affaire change brusquement de face et où il faut bien faire front immédiatement et sur nouveaux frais. L’idée n’est pourtant pas que l’orateur préfère parler en improvisation, mais qu’il puisse le faire : Quintilien insiste sur ce point. Ses conseils pour acquérir cette compétence sont tout empiriques (et c’est en cela que l’on rejoint l’aspect de l’exercice). Il faut savoir la conduite à tenir en parlant. Ce qui implique une bonne connaissance et une parfaite maîtrise de toutes les parties de l’art oratoire et de l’éloquence ; un jugement sûr de l’ordre le plus approprié à son intérêt pour la disposition de l’ensemble ; une certaine puissance de s’imaginer la suite même des choses, de manière à coller au plus près de la présentation qui paraît la plus naturelle. Il faut avoir un esprit d’à-propos et de parfaite rigueur, extrêmement méthodique (ce point est aussi fondamental que, d’une certaine façon, paradoxal). Enfin, il faut traiter à fond tout ce que l’on estime nécessaire de traiter, et surtout pas davantage (un des problèmes de l’improvisation étant de savoir se limiter et de décider que l’on en a assez dit). Cette capacité exige du travail. Il convient qu’à force d’écrire, et de bien écrire, notre style se forme de manière que les choses qui nous coûtent le moins aient une teinture de celles qui sont le plus travaillées, et qu après avoir beaucoup écrit, nous ayons l’esprit si plein qu’il se répande sans peine. La facilité naît de l’habitude et de l’exercice. En effet, quoique nous ayons besoin d’une certaine vivacité naturelle pour dire ce qu’il faut dans le moment actuel, et pour songer en même temps à ce que nous dirons ensuite, de sorte qu’à chaque idée que nous énonçons succède immédiatement et continuellement une autre bien nette et bien distincte, cependant ni l’art ni la nature ne sauraient par eux-mêmes donner assez d’étendue à notre esprit pour l’attacher tout à la fois à l ’invention, à la disposition, à l'élocution, à l’arrangement des choses et des mots, à ce que nous disons actuellement, à ce que nous devons dire immédiatement après, à ce qui doit suivre encore; outre l’attention particulière que demandent la voix, la prononciation et le geste. Il faut une vue qui aille loin, qui conduise tout, et qui se porte sur les dernières parties du discours à mesure que nous prononçons les premières, afin que tout ce que nous disons soit comme éclairé de cette prévoyance. L’exigence, admirablement décrite par Quintilien, est effectivement énorme. Il faut donc à la fois une habitude, une technique et du talent. Pas question de se contenter de ce que le hasard peut éventuellement faire parfois jaillir au petit bonheur. L’imagination constitue un puissant outil de représentation, pour faire surgir à l’esprit toutes les circonstances matérielles, sociales et psychologiques de la cause. De même, l’entourage par le public produit quelquefois un assez fort élément d’excitation, capable de pousser à l’action efficace. On n’arrive à ce résultat que par un long et lourd entraînement, aussi astreignant que répétitif, car il ne suffit pas d’apprendre les règles d’un art pour le posséder entièrement. En outre, avant de se lancer dans l’improvisation, pas question de démarrer tête baissée : il faut prendre un peu de temps pour réunir ses esprits, et, éventuellement, prononcer quelques phrases dont la matière et le ton de prononciation n’engagent qu’à produire un effet de suspension ou d’attente, aussi chatouilleux pour l’attention des auditeurs qu’utile à la stratégie de l’orateur. La meilleure manière de s’exercer est de traiter tous les jours quelque sujet en présence de plusieurs personnes, surtout de gens dont nous ayons fort à cœur de mériter l’approbation et l’estime. On peut aussi méditer son sujet, et le traiter seul, mentalement, d’un bout à l’autre, comme si on parlait en soi-même. L’avantage de la seconde méthode est que l’on peut la pratiquer presque tout le temps, et n’importe où; l’avantage de la première, c’est que l’on prend aussi forcément soin de l’action. Il faut lire et apprendre sans cesse ; et il faut surtout écrire sans cesse, écrire partout, écrire davantage, et d’autant plus que l’on risque d’avoir à improviser souvent. À force de s’exercer à parler, on écrit plus facilement; et à force d’écrire, on parle mieux. Il faut donc écrire toutes les fois qu’on en aura le temps; si on ne le peut, il faut penser, méditer. Cicéron prescrivait aussi, à cette fin, de garder toujours une certaine qualité verbale même dans les conversations familières. Concrètement, le mieux est d’avoir pu malgré tout écrire l’exorde, et les têtes des principaux points. Ce conseil aura son répondant, à travers la rhétorique médiévale et renaissante, dans la mise à disposition mémorielle de schémas préélaborés de lieux, de manière à fournir la charpente de discours diversement adaptables. Comme on le voit, il se manifeste, dans la pure tradition rhétorique, une grande prudence, pour ne pas dire une certaine réserve, par rapport à l’improvisation. C’est un devoir qui implique un talent de virtuosité, toujours susceptible d’être vicié par la tentation de l’histrionisme, voire du charlatanisme. D’où l’insistance sur la préparation, sur le travail, sur la maturation culturelle. Dans le devenir de la modernité, l’improvisation risquera effectivement d’être tirée vers l'inspiration, voire vers la magie, ce qui pose en outre la question de la fureur poétique : où l’on retrouve, sous un éclairage cette fois plutôt ambigu, l’articulation du rhétorique et du littéraire. Le rhétorique semble en l’occurrence de plus haute tenue.
=> Éloquence, orateur, oratoire; partie, élocution, disposition, action; exorde, cause; lieu, style; imagination.
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- Camille Saint-Saëns Né à Paris, dans l'aisance, et très tôt encouragé dans ses dons naturels étonnants, Saint-Saëns, qui étudia auprès de Benoist, Halévy et Gounod fut vite considéré comme un enfant prodige, dans l'exécution ou l'improvisation.