Databac

Immémorial (unvordenklich) - Schelling

Immémorial (unvordenklich)

• Ce terme de prédilection de Schelling indique ce qui est si ancien que la pensée ne pourra remonter plus avant : ce par rapport à quoi rien ne peut être pensé comme antérieur.

•• « Immémorial » est un terme solennel en même temps qu’un terminus technicus du vocabulaire schellingien, un amer qu’un œil exercé à la lecture de Schelling repère immédiatement. Il fait signe vers ce « jadis, profond jadis, jadis jamais assez » dont parlait Valéry, comme passé ancestral, mais surtout transcendantal, vers le Prius absolu, au sens qu’a aussi le préfixe allemand Ur-(Urwesen, Ursystem dont Schelling reprend l’idée à Creuzer, Urereignis, etc.), vers « l’abîme du passé », et notamment le passé de Dieu. « L’immémorial, qui m’appartient tellement, comme, si humana licet componere divinis [s’il est permis de comparer les choses humaines aux choses divines], le prôtotokos pasès ktiseôs [le premier né de toute création] à l’apôtre Paul », écrit Schelling à Dorfmüller le 10 juin 1838. Il arrive à Schelling d’expliciter le terme unvordenklich par celui d’anhypotheton (A. d. M., 252).

••• Visiteur de Schelling, l’évêque et théologien danois Martensen rapportera avec quelle révérence et componction Schelling prononçait le mot unvordenklich, qui s’est par ailleurs félicité de ce que la langue allemande dispose d’un terme aussi excellent. Dans la mesure où ce terme désigne littéralement ce avant quoi rien ne peut être pensé, le terminus a quo de la pensée, il a pu être traduit également par imprépensable (J.-Fr. Courtine). Sans doute le terme allemand ne parle-t-il pas immédiatement en termes de mémoire, encore que Schelling relève, dans ses Leçons d'Erlangen, l’usage ancien du mot denken (penser) encore attesté dans la locution Vornehme Leute denken lange, c’est-à-dire : leur mémoire se perpétue longtemps (O. M., 295). Le dictionnaire des frères Grimm donne pour équivalent de unvordenklich le latin immemorialis. L’immémorial est l'a priori radical, le toujours déjà là, en un sens à la fois logique et chronologique, ce qui fait que la pensée arrive toujours, en un sens, après coup. C’est parce qu’il y a un être qu’il y a une pensée, non l’inverse : penser {denken), c’est dès lors toujours penser après et d'après {nachdenkeri). La pensée est par là irréductible à une simple logique, entendue comme pensée ayant la pensée pour objet — et c’est là, cette irréductibilité du réel au rationnel, ce qui sépare Hegel de Schelling. La pensée fidèle à sa vocation native vise l’objet lui-même qui lui est extérieur et antérieur, d’une antériorité qui, saisie radicalement, se dit comme inanticipable, immémoriale.

Liens utiles