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imitation

L’imitation est la pensée littéraire de la rhétorique. Au départ, elle constitue le principe générateur de l’apprentissage technique, au même niveau que l’ensemble des procédures de l’art et les exercices. Il est posé qu’il existe un magasin de grands orateurs, heureusement toujours accessibles dans les textes de leurs discours. Ce magasin rassemble la totalité des modèles possibles et acceptables que chaque élève doit se proposer. Le but à atteindre est ainsi tout tracé : il est placé comme un tableau, comme une vision, comme un horizon, qui constituent à la fois un appel, un idéal, et une réponse. L’imitation implique un panthéon, où se mêlent des héros aux tendances et aux qualités diverses, voire contradictoires, mais que l’on peut toujours hiérarchiser ou classifier selon les besoins, les goûts et les moments. On admet que les deux plus grands orateurs de tous les temps sont Démosthène et Cicéron ; c’est bien commode, dans la mesure où ils ne se ressemblent pas, où le second est lui-même fort divers, où l’un est grec et l’autre latin. Ils renferment tous les styles, toutes les qualités, tous les types de situations oratoires ; les viser comme modèles, c’est parcourir tout le champ des convenances occurrentes possibles. L’imitation de cette galerie à la fois idéale et historiquement concrète situe la rhétorique dans un continuum de culture vivant et toujours renouvelé, par l’acte, chaque fois singulier et individuel, de tout étudiant. D’autant plus qu’au fil du temps, le panthéon ne cesse de s’agrandir de tous les événements oratoires créés par l’activité des praticiens qui se sont succédé. Un tel panorama n’est pas sans conséquence sur le fait littéraire, puisque l’art verbal est consubstantiel à la rhétorique. La conception de l’imitation peut être prise comme un carcan, fermant toute novation, interdisant toute modernité, emprisonnant tout génie. Il faut considérer cependant que l’imitation est à vivre comme un dynamisme, ne serait-ce qu’en raison de son aspect, de plus en plus manifeste au cours des siècles, de pratique cumulative. Se pose alors la question de l’origine et de la perfection absolues d’Homère, en relation avec l’éminence également absolue de Virgile. La seule dualité implique l’idée d’une évolution, d’une différenciation et d’une singularisation à l’intérieur même de l’imitation ; l’esthétique de l’imitation porte en soi la puissance de l’esthétique de l’individu et du génie. On peut tendre vers une imitation de plus en plus réussie d’Homère en créant une œuvre autre, de plus en plus digne de sa perfection idéale. On a de la sorte un moyen de penser la valeur de la répétition dans certains types de littérature (notamment aux XVe et XVIe siècles). On peut aussi penser plus profondément la question fondamentale de la réécriture, voire de l’intertextualité, où l’on voit que peut-être la grande tradition rhétorique avait aussi intelligemment perçu l’essence du littéraire.

=> Éloquence, art oratoire, orateur; exercice; style, qualité, répétition, variation, convenant.

IMITATION nom fém. - Pratique consistant pour un artiste à calquer son oeuvre sur celle d’un modèle qu’il s’est choisi.

ETYM. : venu du latin imitari.

De l’Antiquité jusqu’au XVIIIe siècle, l’imitation était considérée comme partie intégrante de l’art et notamment de la poésie. Se choisir un modèle était un moyen légitime et nécessaire pour apprendre son art en bénéficiant de l’expérience des grands maîtres du passé. Cette conception est au centre notamment de la poétique de la Renaissance. Pour les membres de la Pléiade - et notamment Ronsard et Du Bellay -, la poésie authentique passe par l’imitation des Anciens et des Italiens : il s’agit de leur emprunter thèmes, images et formes poétiques pour donner leur grandeur à la littérature et à la langue françaises. Ce qui d’ailleurs ne signifie pas que l’imitation doive être totale et aller jusqu’au plagiat. Le poète doit en effet être animé d’une force propre par laquelle il donne une vie nouvelle aux emprunts qu’il s’autorise. Appliqué avec plus ou moins de rigueur jusqu’à la fin du XVIIe siècle, le principe dé l’imitation se trouve au centre de la querelle des Anciens et des Modernes. Ces derniers prônent une plus grande distance vis-à-vis des modèles de l’Antiquité et affirment que la littérature « moderne » se doit d’ouvrir une voie qui lui soit propre sans répéter à l’infini l’héritage que lui ont laissé les Anciens. La pratique de l’imitation ne cesse pas pour autant comme en témoigne le célèbre vers de Chénier, un siècle plus tard :

« Sur des pensers nouveaux, faisons des vers antiques. »

L’imitation de l’Antiquité passe encore pour la garantie d’une authentique perfection formelle. C’est avec le romantisme seulement que l’originalité se substitue comme valeur à l’imitation : l’artiste se doit d’être lui-même. Avec le culte de la modernité s’affirme même l’idée qui deviendra le credo de toutes les avant-gardes : la valeur d’une oeuvre se mesure à ce qu’elle apporte de nouveau, d’inédit. L’imitation devient alors synonyme de régression, d’incapacité à produire, de stérilité. Il convient cependant de ne pas se méprendre : toute oeuvre est inévitablement faite d’une part d’imitation, et ceci même chez les artistes les plus neufs et les plus authentiques. D’abord, parce qu’un écrivain n’accède pas du jour au lendemain au sommet de son art, et qu’il lui faut donc faire ses gammes en prenant comme modèle les artistes qui l’ont précédé. Ainsi Verlaine et plus encore Mallarmé ont commencé par ce qu’on peut tenir pour de véritables pastiches de Baudelaire. Ensuite parce qu’une œuvre n’existe jamais seule, mais qu’elle s’inscrit - ne serait-ce qu’en les refusant - dans un héritage, une langue, une culture dont inévitablement elle porte la trace.

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