IMAGINAL
Le mot imaginai (du latin imaginalis) a été introduit par Henry Corbin, comme la seule traduction possible d’une notion fondamentale de la théosophie shi’ite, et pour exprimer un ordre de réalité dont nos langues occidentales ne pouvaient rendre compte faute d’un terme approprié. Imaginaire, trop réducteur, signifie copie du réel, phantasme, fantaisie, et Paracelse distinguait déjà imaginatio vera et Fantasy. "La perception imaginative", écrit H. Corbin, est l’organe propre de pénétration dans un monde qui n’est ni l’imaginaire ni l’irréel, mais l'imaginal, le mundus imaginalis. Au-delà de l’histoire chronologique « existent les faits de la métahistoire, ce qui ne veut pas dire posthistoriques, mais tout simplement transhistoriques », si bien que le terme imaginai désigne l’événement qui n’est ni « historique » au sens ordinaire du mot, ni « imaginaire ». Les événements de la hiérohistoire ne se passent pas dans le temps et l’espace sensible mais dans ceux du Malakût, monde de l’âme dans son ensemble, mundus imaginalis qui est une réalité non pas imaginaire mais « parfaitement existante (mawjûd), correspondant à l’organe de perception qui lui est propre, la perception imaginative ». Si l’imaginaire ne renvoie qu’à l’allégorie, l’imaginal renvoie, lui, à une expérience visionnaire complète et nous permet même d’admettre ce qu’on pourrait appeler un « réalisme de l’imaginal ». L’imagination entendue dans ce sens — et c’est ainsi qu’il faut la comprendre chez un Sohrawardf, par exemple —, c’est-à-dire comme organe de perception correspondant à l’univers du Malakût (l’intuition intellective correspondant au Jabarût et la perception sensible au monde physique), apparaît donc comme « un organe de connaissance authentique, elle a sa fonction noétique propre, et le monde qui lui correspond a sa réalité ontologique de plein droit », en même temps, on comprend que le "corps subtil" soit un corps imaginal et non pas « imaginaire ».
Henry Corbin voit, dans cet être réel que possède le monde imaginai, la possibilité de se débarrasser du dilemme typiquement occidental entre le mythe et l’histoire, entre l’inconscient et le conscient rationnel. Il s’agit ici d’une connaissance, ou plutôt d’une reconnaissance, qui dépasse de loin l’étude des simples « correspondances folkloriques » ou même les archétypes de l’inconscient collectif, car nous avons affaire à des présences « hiératiques » communes surmontant naturellement, et nous permettant de surmonter, les divorces de notre Occident, par exemple celui de la pensée et de l’être.