Schopenhauer: Illusion (Wahn)
Illusion (Wahn)
• L’illusion est la caractéristique du monde, en tant que représentation phénoménale. Celle-ci, soumise à la juridiction du principe de raison suffisante (espace, temps, causalité), s’oppose à la réalité métaphysique de la chose en soi, ou Volonté, indépendante de ce principe..
•• L’illusion peut être envisagée de trois points de vue, qui sont aussi les trois modalités du principe de raison suffisante. Elle est à la fois spatiale, temporelle et causale. S’affranchir de l’illusion phénoménale exige donc que l’on se délivre du principe de raison, pour accéder, par une expérience intime, à la chose en soi, c’est-à-dire ma volonté, qui sera ensuite étendue à la totalité du monde, la Volonté, inconditionnée (grundlos, indépendante du principe de raison en général), une (indépendante de la diversité spatiale), indestructible (indépendante de la temporalité) et libre (indépendante de la détermination causale). On peut également considérer l’illusion phénoménale comme le point commun des trois doctrines, où Schopenhauer prétend avoir puisé l’inspiration de son « Unique Pensée » : celle de Platon, qui considère l’univers sensible comme le lieu de l’apparence, par opposition aux Idées du monde intelligible ; celle des Védas (le « voile de Maya ») ; celle de Kant, enfin, si l’on accepte de réduire le phénomène (Erscheinung) à une apparence (Schein). Quoi qu’il en soit, la représentation n’est qu’un « charme », une « apparence inconsistante, inessentielle », un « rêve » (Traum), un « voile » (Schleier), une « fantasmagorie » (Phantasmagorie).
••• La différence avec la doctrine kantienne est manifeste. Kant n’a jamais prétendu que le monde phénoménal était illusoire, bien au contraire. Il recourt aux notions d’illusion (Illusion) et d’apparence (Schein) pour dénoncer les prétentions de la raison métaphysique, c’est-à-dire la psychologie rationnelle (Idée de l’Ame), la cosmologie rationnelle (Idée du Monde) et la théologie rationnelle (Idée de Dieu). Cette 'illusion est inhérente à la Raison, qui doit donc se soumettre à son propre tribunal. Tel n’est pas le propos de Schopenhauer, qui limite l’illusion et l’apparence à la sphère représentative, produit de l’entendement, c’est-à-dire du cerveau. Il convient de mentionner une autre forme de l’illusion, qui ne semble pas réductible au monde phénoménal, même si elle s’y inscrit. Il s’agit de la sexualité, ou, plus exactement, de « l’amour sexuel ». C’est, en effet, le « génie de l’espèce » qui leurre les amants lors du choix amoureux : « Dans cet état de choses, la nature ne peut atteindre son but qu’en faisant naître chez l’individu une certaine illusion, à la faveur de laquelle il regarde comme un avantage personnel ce qui en réalité n’en est un que pour l’espèce, si bien que c’est pour l’espèce qu’il travaille quand il s’imagine travailler pour lui-même ; il ne fait alors que poursuivre une chimère qui voltige devant ses yeux, destinée à s’évanouir aussitôt après, et qui tient lieu d’un motif réel. Cette illusion, c’est l’instinct » (M, p. 1293). Or l’espèce est une Idée, c’est-à-dire une objectité immédiate de la Volonté, indépendante du principe de raison suffisante. Il s’agirait donc là d’une véritable ruse métaphysique, assez mystérieuse au demeurant, dans la mesure où on comprend mal pourquoi l’espèce, en elle-même éternelle, aurait besoin de ruser et de nous abuser pour se perpétuer.
Liens utiles
- Arthur SCHOPENHAUER, Le Monde comme volonté et comme représentation, 181 B, livre IV, trad. A. Burd eau,© PUF, 2e éd. 2004
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