HUYSMANS Joris-Karl
HUYSMANS Joris-Karl
1848-1907
Poète et romancier, né à Paris. Faux doux, sujet à des bouffées de violence, Huysmans, qui a des ascendances hollandaises, est d’abord un poète (Le Drageoir aux épices, recueil de poèmes en prose d’une écriture savoureuse et très ornée, 1874). Mais l’heure est au roman « naturaliste », inauguré triomphalement par les frères Concourt. Et le jeune Huysmans s’incorpore avec ferveur au groupe, qui lui fait bon accueil. Il s’appliquera donc à décrire, à son tour, la vie des prostituées (Marthe, histoire d’une fille, 1876) ou d’un atelier de brocheuses (Les Soeurs Vatard, 1879). Pourtant il ne renonce ni à son style retors ni à son goût raffiné, qui l’un et l’autre, à cette époque de sa carrière, trouvent un meilleur emploi dans des articles enthousiastes sur la poésie et l’art moderne : Mallarmé et Verlaine, les peintres impressionnistes, Cézanne, et même le style nouille, dit « modem style », dont la déliquescence le dégoûte, l’amuse et, tout à la fois, le fascine (d’ailleurs André Breton, dans son livre célèbre à l’éloge de l’humour noir, nous apprend, p. 189 de la première édition de poche, que Huysmans est l’inventeur de cette expression). Puis, logique avec lui-même, il divorce d’avec le naturalisme, et, s’attaquant à une matière plus en harmonie avec sa manière, il compose À rebours (1884), qui est sans doute son chef-d’œuvre : Le duc Jean Des Esseintes, écœuré du prosaïsme de la vie moderne, s’avise de lui tourner le dos - d’où le titre - et s’adonne, dans une solitude volontaire, à des expériences d’ordre esthétique dont la subtilité confine à la bizarrerie : claviers d’excitants et de stupéfiants, de sensations tactiles, gustatives ou olfactives. L’art, c’est-à-dire l’artifice, étanchera seul cette soif d’absolu que la très relative réalité ne peut offrir au reclus Des Esseintes (comme à Mallarmé, qui en est l’un des modèles avoués ; ou mieux : comme à Huysmans lui-même, qui en est le modèle inavoué). Pour finir, l’état mental du héros l’oblige, sur ordre de son médecin, à rentrer « dans le siècle ».
Curieusement, le romancier, pour sa part, entrera bientôt « dans la règle ». Ou, tout au moins, fera quelques retraites ; chez les trappistes, en particulier (après un bref passage dans l’occultisme et le « satanisme » : Là-bas, 1891). Évolution prévisible déjà, dans A rebours, dont le héros s’écriait, au terme de son périple à travers les univers absolus qu’il s’était lui-même désespérément fabriqués : Seigneur, prenez pitié de l’incrédule qui voudrait croire. Mais assez vite il va mettre un terme à ses visites à la Trappe d’Igny et à l’abbaye de Ligugé. De cette expérience - et, d’une façon plus générale, de cette découverte joyeuse de l’univers de la foi - vont sortir successivement En route (1895), La Cathédrale (1898) et L’Oblat (1905), glorieuse trilogie, qui justifie sa réputation par une indéniable réussite formelle. Le tourment personnel du romancier trouve ici sa résolution, puisque l’âme emmenée par celle des autres [...] loin de son corps (ainsi qu’il dit, dans En route) a fait sortir Huysmans de cet état de prostration et de claustration où, comme son héros Des Esseintes, il s’était installé. Dieu a exaucé le souhait que le romancier, au plus fort de sa crise « sataniste » avait exprimé (dans Là-bas) : se faire puisatier d’âmes. Pourtant, un dernier livre, Les Foules de Lourdes (1905), du fait même de son ton qui s’aigrit peu à peu, permet de déceler de place en place une sorte de rechute : dans la méfiance, sinon dans la révolte ou le dégoût. Alors même qu’il s’adonne, entouré de fidèles, à la ferveur mystique, il ne tient pas en place, semble-t-il : assez dévot pour aimer son prochain, pas assez pour aimer son voisin. Au fond, Huysmans fut toujours un solitaire ; plus à son aise à la Trappe qu’aux « soirées » naturalistes de Médan, et qu’à Lourdes. Un violent et très sincère appétit de simplicité, de communion et de chaleur humaine l’a conduit tour à tour à l’idéalisme humanitaire de Zola, puis au spiritualisme, et lui ont inspiré les plus émues, les plus émouvantes de ses œuvres ; mais À rebours reste, peut-être, la plus représentative.