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HUSSERL (Edmund)


HUSSERL (Edmund). Philosophe (1859-1938), né dans une famille juive à Prossnitz, en Moravie, qui était à ce moment-là province autrichienne. Il fit des études de mathématiques à Vienne, passa son doctorat en 1883, puis présenta, en 1891, une nouvelle thèse sur la Philosophie de l'arithmétique. Il fut professeur à Halle, à Göttingen, puis à Fribourg-en-Brisgau de 1916 à 1928. Il a consacré sa vie à fonder la philosophie comme science, et l'a appelée phénoménologie. Le projet de Husserl fait penser à celui de Descartes. La philosophie est à refaire, ou plutôt elle est à faire. La première démarche à effectuer est donc l'épochè, la suspension du jugement à l'égard de toute philosophie préalable, l'élimination radicale de tout présupposé. La seconde démarche consiste à préciser ce qu'on entend par science : « la science veut des vérités valables une fois pour toutes et pour tous. » La vérité nous est donnée par l'évidence. Même en présence de l'évidence, il faut savoir distinguer. On ne retiendra que les évidences telles qu'à la réflexion critique l'erreur du sujet qui les éprouve paraît inconcevable. La démarche essentielle de Husserl s'appelle réduction phénoménologique transcendantale. Elle est encore plus radicale que le doute cartésien et nous laisse en présence, non du moi-substance, mais de la conscience pure, sujet de la connaissance, qui connaît des phénomènes. Le phénomène, c'est l'absolu, c'est-à-dire l'être connu d'une manière immédiate et indubitable. Il ne faut donc pas supprimer l'objet de la conscience ; mais simplement mettre entre parenthèses son existence en soi. On le traite en phénomène. Le rapport de la conscience à son objet est essentiel. La conscience n'est pas connaissable en elle-même. « Toute conscience est conscience de quelque chose. » C'est ce qu'on appelle l'intentionnalité de la conscience. Dans le phénomène, l'esprit trouve l'intuition des essences. L'essence, c'est la spécificité de l'objet, son faisceau permanent d'attributs « par lesquels il est ce qu'il est ». Les essences sont l'objet d'une intuition spécifique, appelée intuition éidétique, Wesenschau.
La phénoménologie apparaît comme un intuitionnisme. Husserl en énonce le principe en ces termes : « C'est la vision immédiate, non pas seulement la vision sensible, empirique, mais la vision en général, en tant que conscience donatrice originaire, qui est l’ultime source de droit pour toute affirmation rationnelle. » Husserl s'est également intéressé à l'intersubjectivité. À la fin de sa vie, il avait abandonné son rêve d'une philosophie science rigoureuse. Son influence a été considérable. Il a eu de nombreux et grands disciples : Heidegger, Max Scheler, Merleau-Ponty, Levinas, Edith Stein et bien d'autres, qui ont considérablement corrigé ses vues et sa méthode mais qui ont retenu ses thèmes les plus féconds : l'intentionnalité de la conscience, l'intuition des essences et l'intersubjectivité.


Principales œuvres: Recherches logiques (1900-1901), la Philosophie comme science rigoureuse (1911), Idées pour une phénoménologie pure et une philosophie phénoménologique (1913), Logique formelle et logique transcendantale (1929), Méditations cartésiennes (1931), la Crise de la conscience européenne et la phénoménologie transcendantale (1936).
Husserl (Edmund, 1859-1938.) Ce philosophe allemand fait d'abord des études de mathématiques. Docteur en philosophie en 1882, il connaît une carrière universitaire qui commence en 1887 à Halle, pour se poursuivre à Göttingen, et se terminer à Fribourg-en-Brisgau où il se lie d'amitié avec le jeune Heidegger. En 1929, il est invité à donner en Sorbonne une série de conférences. La fin de sa vie est assombrie par les persécutions du nazisme. Sa pensée, commencée par une réflexion sur les mathématiques, équivaut à un travail d'élargissement constant de la phénoménologie. Ses premières recherches, encore dans la lignée de Brentano, esquissent une conception inédite de la subjectivité, qu'il lui faudra des années pour développer à fond, et articuler finalement à une réflexion sur autrui, l'histoire et la culture.
♦ La phénoménologie constitue selon Husserl, notamment à partir de 1910-1913, non pas un système parmi d’autres qui n’aurait de validité qu'historique, mais bien au contraire la philosophie radicale, qui aura été « la Secrète nostalgie de toute l’histoire de la philosophie ». Si Husserl n'est pas le premier à prétendre de la sorte mettre au point une pensée définitive (cf. Hegel), il est sans doute néanmoins le seul qui ait élaboré une démarche capable d'aborder les problèmes classiques sous un angle neuf, et de susciter effectivement un renouveau interne de la philosophie, dont les effets sont loin d'être achevés. Hostile aussi bien à l'historicisme qu'au psychologisme ou à la métaphysique, Husserl établit d'abord la possibilité d'une science des essences, en montrant que la conscience, par l'intentionnalité, appréhende, notamment comme conscience de la généralité, la « chose elle-même », distincte du sensible alors qu'elle se fonde sur lui. Pour élucider les fondements de la connaissance, il insiste sur la réalité transcendantale du sujet, par rapport auquel seulement il y a du monde et de la signification. La réalité du sujet et celle des objets extérieurs constituent classiquement les deux points de départ possibles pour la réflexion philosophique ; si Husserl affirme bien que le Cogito est « le vrai principe des principes et la première proposition de toute philosophie véritable », c'est aussi parce qu'il trouve dans le sujet lui-même la capacité de mettre le monde « entre parenthèses » (réduction phénoménologique), c'est-à-dire de « s'abstenir de faire usage des évidences et certitudes qu'il offre ». Percevoir un objet, c'est dès lors viser, par-delà les éléments qui m'en sont offerts, une unité dont ne m'apparaît jamais qu’une seule face ou version. Il se révèle ainsi que la réalité objective est toujours contingente. La réduction phénoménologique exhibe en revanche la conscience comme « être absolu » - radicalement distinct de cette réalité qui est relative (à la conscience qui la vise et la constitue simultanément). L'apport de la réduction consiste ainsi à faire passer de la conscience naïve à une conscience transcendantale, qui est donatrice du sens. La phénoménologie devient alors un idéalisme transcendantal, pour lequel le monde n'est pas une réalité en soi (il n'y a pas de noumène), mais l'« anticipation d'une unité idéale ». Toutefois, en soulignant ainsi le rôle fondateur d'une conscience absolue, Husserl doit trouver le moyen d'échapper au solipsisme. Ce qui a lieu par le repérage d'une intersubjectivité, elle-même condition de l'objectivité. Autrui m'apparaît d'abord comme une conscience ayant son propre monde d'expériences, différent du mien. Mais il est aussi alter ego, reflet de mon corps et à ce titre constitué à partir de moi. C'est précisément pour cela que je reconnais un sujet dans son corps, comme je connais un sujet dans le mien : les « mondes » des deux consciences ne représentent dès lors que deux perspectives sur un Monde qui est le même. Cette intersubjectivité se généralise dans les derniers textes de Husserl vers une analyse de l'humanité, telle qu'elle se réalise dans l'histoire. Chaque ego ne s'affirme en effet que par rapport à un horizon historique, porteur de sens, d’intelligibilité et de culture ; et Husserl saisit finalement dans le déroulement historique des systèmes l’émergence d'un humanisme jamais clos (ce qui le distingue du savoir absolu de Hegel) faisant effort interminablement pour se comprendre lui-même. Ce qui privilégie l'histoire de la philosophie, puisque c'est en elle que se révèlent les conflits possibles des significations. La tâche de la philosophie est dès lors illimitée, et la phénoménologie husserlienne va en effet marquer d’influences diverses (parfois au prix de trahisons) de nombreux esprits du siècle : Koyré, Heidegger, E. Fink, M. Scheler, Sartre, Merleau-Ponty (plus durablement), Levinas, Ricœur et bien d'autres lui sont redevables de l'esprit qui anime tout ou partie de leurs recherches.
♦ Recherches logiques (1900-1901, deuxième édition corrigée 1913). Pour trouver un fondement rigoureux à la pensée mathématique et logique, Husserl commence par récuser le psychologisme : si l’on conçoit la logique comme dépendant de la forme de notre esprit, on aboutit à un relativisme qui détruit l'idée même de vérité. Or l’objet mathématique est donné dans une évidence qui correspond à la conscience de la « chose même » : bien qu'idéal (c'est une essence) il reste un objet de conscience comme n'importe quel autre objet. On doit donc pouvoir accéder à une science des relations entre objets idéaux (à la fois nécessaires et objectifs en dehors de la conscience psychologique qui les saisit). Pour ce faire, il s'agit d'analyser le « vécu » de la pensée logique. Husserl montre que la signification d'un concept opère la liaison entre la représentation et l'objet, mais que, indépendante des deux, elle renvoie à une intention de signifier. Contre les empiristes, il affirme la spécificité d'une conscience de généralité : le concept n'est ni réellement hors de la conscience ni réellement en elle. Mais pour que le concept aboutisse à une connaissance, encore faut-il qu’il soit de quelque façon relié à l'expérience : la signification est « remplie » par la présentation de la chose elle-même, et l'on doit de surcroît reconnaître l'existence d'une intuition catégoriale (c'est-à-dire des essences) qui, bien que fondée sur le sensible, ne s’y épuise pas. C'est dans la cinquième Recherche que l'intentionnalité est évoquée pour désigner la relation de la conscience à l'objet. La conscience en effet se rapporte toujours à quelque chose, mais l'objet peut être à chaque fois visé de façon différente. L'intentionnalité n'équivaut pas à une activité de la conscience dans le monde, pas plus que la conscience n'est un réceptacle qui aurait à « contenir » les objets ; en fait, comme cela se précisera dans les textes ultérieurs, c'est dans la conscience que s'effectue la différence entre elle-même et ce qu’elle vise - comme constituant ses deux pôles corrélatifs (la noèse et le noème). L'ambition de Husserl dans les Recherches logiques était de constituer une théorie de la connaissance, comprise comme relation entre conscience et objet par le biais de la signification. La fin de l'ouvrage précise bien que ce que recherche la description phénoménologique, c'est « le vécu en quoi réside l'apparaître de l’objet » - mais les Recherches, en ne se décidant encore ni pour le réalisme ni pour l'idéalisme, laissent ouvertes deux questions : celle de la relation qui peut exister entre la conscience et un sujet « pur », celle du statut du monde « réel ». C'est en fouillant davantage ces domaines que la phénoménologie se transforme, après les Recherches, en idéalisme transcendantal.
♦ La philosophie comme science rigoureuse (1911). Ce texte, particulièrement accessible, assure la transition entre les périodes « prétranscendantale » et « transcendantale » de la pensée de Husserl. Il critique aussi bien la position des partisans d'un naturalisme scientifique que celle des tenants de l’historicisme. Si pour les premiers la philosophie n'est rien de plus qu'un savoir parmi d'autres, les seconds, à la suite de Dilthey par exemple, la ramènent à une simple « vision du monde » dont la validité, tout historique, ne peut être que relative. En conséquence, la philosophie à élaborer ne saurait se réduire à une psychophysique, elle doit au contraire être phénoménologie, c'est-à-dire saisie du sens des phénomènes puisque seule cette dernière peut radicalement cerner le seul être apodictiquement donné, ou absolu : l'être dans la conscience. C'est précisément cette voie que confirmeront les conférences parisiennes de 1929.
♦ Méditations cartésiennes (1931 ; c’est la publication des conférences de la Sorbonne). Le sous-titre (« Introduction à la phénoménologie ») indique dans sa modestie combien la démarche de Husserl se veut toujours en chantier. La première Méditation fixe l’objet et le domaine de la phénoménologie transcendantale : la philosophie se proposant d'atteindre la vérité ou évidence apodictique ne peut la rencontrer que dans le Cogito énoncé par Descartes. Le monde en effet apparaît contingent et, au terme de sa « mise entre parenthèses » (épochè) qui effectue la réduction transcendantale, c'est bien le seul acte de la pensée qui se révèle incontestable - au point même que c'est lui qui, par l'intentionnalité, constitue le monde comme possible. Les Méditations suivantes soulignent en quoi le Cogito husserlien diffère du cartésien. Le premier est entièrement immanent, il ne révèle pas en particulier une « substance pensante » ; mais en même temps il se donne à lui-même comme essence, non comme un moment singulier (ce qu'il était chez Descartes) ; de plus il n'a pas besoin d'être renforcé ou garanti par la présence de Dieu. L'analyse approfondie de ce Cogito montre qu'il est toujours bipolaire : je me saisis comme pensant quelque chose, cogito et cogitatum me sont donnés d'un seul mouvement. Ainsi la subjectivité est-elle toujours plus que le Cogito isolé : elle inclut l'être-pour-moi de l'objet. Ce dernier émerge de l'identification d'actes perceptifs à travers le temps ; mais son « essence » désigne un déroulement sans fin de telles identifications dans la mesure où aucune synthèse perceptive ponctuelle ne peut l'épuiser. Symétrique de la transcendance de l'ego, il existe donc une transcendance de l’objet. La cinquième Méditation va constituer les « moi » personnels. En pratiquant une sorte de réduction dans la réduction, l'ego se découvre comme corps doté d'une « sphère d'appartenance » qui est la Nature. Les autres corps lui apparaissent d'abord comme altérité, mais aussi comme semblables à lui, puisque leur présence peut être interprétée par analogie comme porteuse d'expériences intimes du même genre que celles de l'ego. Ainsi se constitue une intersubjectivité transcendantale, dont les différents ego qui la forment sont autant de points de vue sur une Nature finalement unique. De même que le Cogito a pour corrélât le cogitatum, l'intersubjectivité a pour corrélât le monde empirique qu'elle constitue et où elle se déploie. La fin des Méditations cartésiennes retrouve donc le monde après l'avoir « suspendu ». Sa contingence, son caractère problématique, s'explique par le fait qu'il n'est que l'un des possibles dans le champ de l'expérience transcendantale. Alors que la conscience est un « système d'être fermé sur soi », le monde des choses n’a de sens que relativement au caractère transcendantal de la ou des consciences.

AUTRES œuvres : Philosophie de l'arithmétique (1891) ; Idées directrices pour une phénoménologie (1913) ; Logique formelle et logique transcendantale (1929) ; La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale (1936) ; L’Origine de la géométrie (posthume, 1939).


HUSSERL (Edmund), philosophe allemand, fondateur de la phénoménologie (Prossnitz, Moravie, 1859 -Fribourg-en-Brisgau 1938). Il fut l'élève de Fr. Brentano, enseigna la philosophie à Halle, Göttingen et Fribourg-en-Brisgau. Mathématicien de formation, Husserl fut d'abord un logicien attaché à « décrire » les opérations de l'esprit, à dégager les « essences » que l'intelligence perçoit dans les relations logiques. Il devient alors le théoricien de l'« expérience vécue » sous-jacente à toute opération mentale. Il a écrit notamment : Recherches logiques (1900), Idées pour une phénoménologie pure (1913), Logique formelle et transcendantale (1929), Méditations cartésiennes (1932), Expérience et jugement (1939). Sa phénoménologie, qui fut d'abord une logique, puis se déploya en une philosophie de l'esprit, enfin en une philosophie de la vie, a exercé une profonde influence sur Scheler, Heidegger, l'existentialisme (Sartre, Merleau-Ponty), ainsi qu'auprès des logiciens (intuitionnisme de Brouwer). Elle a suscité enfin, dans toute la culture philosophique, un profond courant phénoménologique (Congrès internationaux de Royaumont, de Krefeld).


 

Philosophe et mathématicien allemand (1859-1938). • La phénoménologie husserlienne se propose de remonter à la racine même de notre expérience du monde pour retrouver, en deçà des interprétations que nous imposent les sciences constituées, les fondements d’une connaissance rigoureusement scientifique. • Contre le positivisme, qui ne considère que des faits objectifs (et qui prétend ainsi faire l’économie du sujet), Edmund Husserl préconise le retour « aux choses mêmes », telles qu’elles apparaissent d’abord dans les actes de la conscience raisonnante. Or, cette attitude nouvelle implique une « mise entre parenthèses » du monde extérieur (ou épochè). • En explorant la façon dont la conscience saisit la structure intime des choses, c’est-à-dire leur essence, Husserl met en évidence le caractère intentionnel de la conscience, qui nous interdit de distinguer l’objet perçu de l’acte dans lequel il est perçu : « Toute conscience est conscience de quelque chose ». • De même, l’existence d’autrui m’est donnée dans une expérience originaire de coexis-tence. Loin d’appréhender les autres comme de simples objets présents dans le monde, je les perçois comme sujets « pour ce même monde » - sujets qui font l’expérience du monde au même titre que moi. Principales œuvres : Recherches logiques (1900-1901), Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps (1905), La Philosophie comme science rigoureuse (1911), Idées directrices pour une phénoménologie et une philosophie phénoménologique pures (1913), Méditations cartésiennes (1931), La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale (1935-1936).

HUSSERL Edmund. Philosophe allemand. Né le 8 avril 1859 à Prossnitz (Moravie), mort le 27 avril 1938 à Fribourg-en-Brisgau. Il avait été l’élève de Franz Brentano, et pendant quarante années de sa vie il enseigna lui-même à Halle à partir de 1887, à Göttingen à partir de 1906, enfin à Fribourg-en-Brisgau. Dès 1891, il publiait une Philosophie der Arithmetik, dont le premier volume seul a paru, où il analysait les problèmes de l’invention et de l’emploi des symboles numériques. Mais son oeuvre proprement philosophique, celle dont l’importance considérable a si profondément marqué la pensée occidentale de ce siècle, ne commence qu’avec les Recherches logiques, publiées en 1900 et 1901, à Hall, et entièrement différentes du premier ouvrage, aussi bien par le contenu que par le dessein. Pour comprendre l’apport de ce dernier livre, il faut le replacer dans le contexte de la philosophie des premières années du siècle. En 1900, la philosophie était fâcheusement divisée en deux courants aussi insuffisants qu’ignorants l’un de l’autre : d’une part, une pensée scientiste, une méthodologie rationaliste, et d’autre part une philosophie « littéraire » qui se défendait mal contre les errements hasardeux de la subjectivité. Husserl commença par critiquer le « psychologisme » qui était au plus vif de la première tendance (déjà Brentano avait fortement distingué la genèse psychologique et la validité logique d’une pensée) et il entreprit de fonder une rationalité nouvelle qui ne devrait rien aux sciences exactes sans être pour autant moins rigoureuse : une rationalité proprement philosophique. La philosophie est une science, écrira Husserl en 1911, dans un article fameux de la revue Logos, La Philosophie comme science rigoureuse. Et elle est une science parce qu’il y a, au-delà des impressions sensibles, une permanence et une objectivité des essences, et un monde de relations transcendantes qu’une « Wesensschau » (intuition des essences) permet de saisir. Toute perception en effet est perception d’un perçu, toute conscience est conscience de quelque chose, toute pensée est « visée » d’un phénomène, il y a une « intentiona-lité » de la conscience, à quoi correspond dans l’être une rationalité qui lui donne un sens pour la pensée. Tels sont les principes de ce que Husserl nomme la « phénoménologie ». Ce mot désignait avant lui (et principalement chez Hegel) cette partie de la philosophie qui étudie de quelle façon la réalité se manifeste dans la conscience. Avec l'Intro-duction générale à la phénoménologie pure (1913), publiée en traduction française sous le titre d’idées directrices pour une phénoménologie, la phénoménologie devient la science philosophique fondamentale, susceptible par sa méthode nouvelle de faire de la philosophie une discipline exacte. Celle-ci en effet n’aura plus à chercher un principe dont tout devra découler. Car la phénoménologie, ou « science eidétique », procédera à la description des essences réelles et immuables, connues a priori et indépendamment de toute expérience par une analyse dont le procédé essentiel est la « réduction », ou « mise entre parenthèses », qui suspend nos jugements et s’apparente ainsi au doute cartésien. Tout un courant de la philosophie contemporaine (de Heidegger à Merleau-Ponty) est sorti de cette méthode. Aussi bien, dans les années qui précèdent ou suivent la Première Guerre mondiale, Husserl, dont l’existence ascétique se confond toute avec la pensée, est-il un maître passionnément écouté. On a dit qu’il avait sauvé la philosophie en Allemagne d’une « véritable hantise du suicide ». Il présente la phénoménologie comme la « terre ferme », enfin atteinte, du savoir. En 1929, Husserl publie Logique formelle et transcendantale, et pose cette fois le problème ontologique. La logique formelle, aussi bien que la mathématique, est présentée comme une théorie de l’objet. Husserl, en tant que juif, est chassé de l’Université en 1933 par le nazisme. En 1936 paraît son dernier ouvrage, La Crise de la science européenne et la phénoménologie transcendantale , où il tente une élucidation historique de sa position. Si c’est avec raison qu’il se considère comme l’héritier le plus authentique du grand rationalisme occidental (celui des Grecs, de Descartes, de Locke), c’est évidemment à tort qu’il fait de celui-ci le seul aboutissement logique de l’histoire de la philosophie. Cette conception absolue fera le drame de ses dernières années. D’une part, en effet, il croit que sa méthode a la rigueur d’une science définitive, de l’autre il voit ses meilleurs disciples se refuser, dans la mesure même où ils sont d’authentiques philosophes, à continuer, au sens strict du terme, le travail par lui commencé. Husserl a laissé à sa mort de nombreux inédits, environ trente mille pages in-8° dactylographiées, qui sont classées et qui seront publiées à Louvain sous la direction du Dr. H. L. Van Breda. Il avait prononcé en 1929, à la Sorbonne, quatre leçons dont le retentissement fut considérable, et qui furent publiées directement en français sous le titre de Méditations cartésiennes. ♦ « M. Husserl est avant tout un mathématicien et un logicien mais l’esprit de sa doctrine peut pénétrer et a pénétré en fait dans tous les domaines de la pensée philosophique. » Émile Bréhier. «Husserl, venu des disciplines scientifiques à la philosophie devait prendre au sérieux la mise en question du dogmatisme en ce qui concerne les principes de la géométrie et de la physique. Son désir de fonder à nouveau des sciences est certainement pour beaucoup dans la décision qu’il prend de poursuivre une recherche philosophique radicale. » Maurice Merleau-Ponty.


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