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honnête

La question de l’honnêteté est cruciale, voire critique, en rhétorique. Elle est à la fois morale et technique. Elle est exemplaire des enjeux anthropologiques du fait rhétorique. En tant qu’ait, au sens de technique, la rhétorique ne semble avoir que faire d’une catégorie morale : le bien par opposition au mal, sinon justement comme objet de discours, ce qui définit exactement, par sa matière, le genre démonstratif. Par rapport, d’autre part, à la fin essentielle qu’est la persuasion, on ne voit pas davantage la place possible d’un considérant moral : tous les arguments, tous les moyens sont jugés du point de vue de leur seule efficacité. Enfin, pour ne prendre que le cas particulier, mais emblématique, du judiciaire, on comprend encore moins comment une considération morale pourrait intervenir parallèlement à l’intérêt de la cause, qui apparemment peut entraîner à dissimuler, à attaquer ou à défendre injustement. Un certain radicalisme rhétorique pousse à exclure la considération de l’honnêteté. Ce n’est pas par hasard que le débat a été le plus violent en Grèce, que la rhétorique grecque apparaît, à bien des égards, comme la plus radicale, et que c’est en Grèce que s’est développé le mouvement maximaliste qu’est la sophistique. Même si Aristote est, comme toujours, celui qui a le plus profondément posé, séparé et analysé philosophiquement le problème, on admettra que, par rapport à la doxa de la culture européenne, c’est Cicéron qui en a présenté la synthèse la plus insistante, reprise avec éclat par Quintilien : il y a donc un aspect proprement latin, voire romain, à l’approche de cette question. La contradiction est assumée et réglée par l’affirmation d’une hiérarchie intransgressible : le primat absolu de la morale sur la technique. Le critère total de la position de l’orateur est le choix axiologique : nul ne peut être un bon orateur s’il n’est pas ontologiquement honnête; plaider une cause malhonnête est même techniquement un fiasco. La force de l’art oratoire, son énergie, ne sauraient se manifester que dans une orientation fondamentalement vertueuse. Cette position, qui ne va pas sans quelque paradoxe théorique, ni sans quelques contorsions pratiques, est fondée sur un postulat anthropologique inébranlable : c’est la conception de l’orateur comme modèle idéal de l’homme au sommet non seulement de la culture, mais aussi de la civilisation. Dans l’anthropologie intégrée, il y a consubstantialité entre la virtuosité oratoire et la valeur morale de sa pratique : c’est une sorte de pacte rhétorique profond entre celui qui parle et ceux qui l’écoutent. L’honnête n’est que le signe de cet accord.

=> Éloquence, oratoire, orateur; persuader, cause, genre, démonstratif, judiciaire; énergie, autorité.

Honnête homme

Modèle intellectuel et moral d’inspiration aristocratique qui se substitue à l’idéal chevaleresque à partir du XVIe siècle (Montaigne, Essais) et surtout au XVIIe siècle. L’honnête homme possède le sens de l’honneur, mais calque sa conduite sur les convenances sociales (Société, 3) plus que sur les valeurs héroïques ou même simplement romanesques qui comportent toujours quelque goût de l’exceptionnel. L’honnête homme et l’honnêteté sont l’objet de débats chez Pascal (Pensées), Molière (Le Misanthrope), La Bruyère (Les Caractères). Au-delà du XVIIe siècle, on a continué de se référer à ce type social comme à un modèle d’équilibre et d’élégance.

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