Historicité (Geschichtlichkeit) - Schelling
Historicité (Geschichtlichkeit)
• Ce terme désigne la dimension propre aux phénomènes ayant l’étoffe d’événements historiques, en entendant par événement ce dont la réalité précède la possibilité.
•• Le terme Geschichtlichkeit, qui apparaît avec Hegel et Schelling, est à vrai dire assez rare sous la plume de Schelling, c’est un hapax des Werke (XI, 180), que l’on trouve également dans le cours intitulé Système des âges du monde (Leçon II), mais Schelling entend l’historique {das Geschichtliche) en un sens si prégnant, voire emphatique, que ses traducteurs l’ont également rendu .par « historicité ». L’historicité caractérise tout être demeurant insaisissable tant qu’on croit pouvoir le saisir ou l’arrêter en l’un des moments de son parcours, lequel ne fait sens pourtant que dans sa récapitulation qui n’oublie aucun moment du développement, aucune étape du chemin parcouru — A3 dans la terminologie algébrique de Schelling. C’est l’identité en marche vers elle-même. L’histoire transcendantale de la conscience de soi du système de l’idéalisme transcendantal aura marqué l’optique dans laquelle l’histoire se trouve abordée, jusqu’à la philosophie positive (= historique), d’une empreinte que n’effacera aucune réfection du système, la creusant au contraire et la ciselant toujours davantage. L’histoire est une aventure immanente à l’Absolu, jusqu’en son extase. Le règne de la mobilité qu’amorce quant à elle l’histoire humaine est lié originairement à une expulsion hors d’un enclos (hébreu gan : Genèse III, 23), archi-événement, ou ce sans quoi histoire il n’y aurait jamais eu. Sous l’écume des événements historiques tels que peut les relater l’histoire profane, c’est une lame de fond d’une tout autre ampleur qui retient l’attention de Schelling : celle d’une « histoire supérieure », « supra-historique » qui, avec le christianisme, constitue une trouée dans l’histoire humaine et en fournit comme l’explication de texte. « Celui qui ne conçoit pas le christianisme ne conçoit pas non plus l’histoire ». Il ne suffit donc pas de « savoir en gros tout ce qui s’est passé » pour entendre quelque chose à « l’histoire proprement dite » — die eigentliche Geschichte (A. d. M., 15).
••• Si l’itinéraire de la « philosophie en devenir » qui est celle de Schelling a bien consisté à aller de l’Absolu à l’histoire, cette histoire n’en demeure pas moins histoire de l’Absolu. De ce fait, la relation de l’Absolu et de l’histoire a pu être qualifiée à bon droit de « problème schellingien par excellence ». L’historicité trouve donc son acte de naissance ou sa genèse dans une mobilité interne à l’Absolu. Mais elle demeure incompréhensible sans le christianisme, qui n’est pas à comprendre comme une doctrine mais comme un « fait », et un fait qu’on ne saurait écarter, « le fait suprême et le plus décisif de toute l’histoire », où se fait jour l’identité du doctrinal et de l’historique. Le christianisme n’est pas visé comme une religion historique parmi d’autres, mais comme la religion de l’historicité, qui n’apparaît pas seulement à un moment donné de l’histoire (entre les règnes d’Auguste et de Tibère), mais comme ce qui éclaire le sens de toute histoire comme telle. Le principal contenu du christianisme, c’est le Christ lui-même, « non pas ce qu’il a dit, mais ce qu’il est, ce qu’il a fait ». Le christianisme ainsi entendu fournit le véritable principe d’intelligibilité de ce « vaste et mystérieux enchevêtrement que nous appelons l’histoire » (XI, 229). « Concevoir l’histoire comme telle, en son historicité », telle est la tâche que s’assigne expressément la Philosophie de la Révélation. L’histoire est la réconciliation progressive du monde avec Dieu — un Dieu assez « fou de l’homme » pour avoir fait dépendre de sa créature le sort de sa création.