Hervé Bazin

Né à Angers, le 17 avril 1911, d’une famille terrienne, Hervé Bazin (Jean Hervé-Bazin à l’état-civil), petit-neveu de l’académicien catholique René Bazin, a vécu une enfance troublée très tôt par le départ de ses parents en Chine, et plus tard par son renvoi de plusieurs collèges religieux. Bachelier, premier au Concours général de sciences naturelles, licencié ès-lettres, de multiples conflits familiaux perturbent sa santé et le conduisent plusieurs fois en maison de repos. Il se réfugie dans la poésie, à laquelle Paul Valéry lui conseille de renoncer en 1934, l’auteur du Cimetière marin l’encourageant à se tourner vers la prose. En dix ans, Hervé Bazin écrit alors quatre romans qu ’il ne publiera jamais, vivant de divers métiers : représentant de commerce, journaliste, employé des P. T. T., valet de chambre, récupérateur d’ordures ménagères, nègre d’un écrivain, etc. En 1946, il fonde avec un petit groupe d’amis une revue poétique La Coquille, et reçoit l’année suivante le prix Apollinaire pour son recueil de poèmes Jour. Il publie son premier roman, Vipère au poing en 1948, qui lui vaut le Prix des lecteurs et le révèle d’emblée au grand public. Sa vie est jalonnée de nombreux voyages (Afrique du Nord, Europe Centrale, Canada, U.R.S.S.), de désordres familiaux (marié trois fois) et d’importants succès littéraires : en 1949, il obtient le Prix de la Presse latine ; en 1956, l’année de Qui j’ose aimer, un référendum des Nouvelles littéraires le consacre « meilleur romancier des dix dernières années » ; en 1957, il reçoit le Grand Prix de Littérature de Monaco ; en 1958, il est élu membre de 1’Académie Goncourt au siège de Francis Carco ; en 1960, il succède à La Varende à la présidence de l’Association des écrivains de l’Ouest ; en 1967, il reçoit le Grand Prix de l’humour noir. Il a été élu président de l’Académie Goncourt en 1973. Le plus bourgeois des romanciers à scandale, ou le plus scandaleux des romanciers bourgeois ? Chronologiquement — et si l’on veut bien renier avec lui le mauvais poète des débuts — il y a deux Hervé Bazin. Premier temps : il tourne délibérément le dos aux préoccupations métaphysiques et humanistes nées de la guerre en publiant, trois ans après la Libération, un roman — Vipère au poing — qui marque le retour au thème classique des mœurs provinciales et qui fait immédiatement scandale. L’auteur, dont la haine pour sa famille semble avoir grossi avec l’âge — il n’a déjà pas loin de quarante ans — y règle en effet ses comptes avec sa mère, à travers la guerre impitoyable que se livrent dans le roman la monstrueuse Folcoche et son fils Brasse-Bouillon. La famille bourgeoise demeure la cible de ce romancier tardif dans la Tête contre les murs, peinture au vitriol de l’univers carcéral d’un hôpital psychiatrique où échoue, déposé par l’indifférence des siens, le pauvre Arthur Gérane. Le caractère autobiographique, voire documentaire, des premiers romans d’Hervé Bazin, explique sans doute en grande partie la féroce curiosité du public. Mais Hervé Bazin, dans la suite, ne cherchera jamais à le flatter. Deuxième temps : l’écrivain rentre déjà un peu les griffes dans la Mort du petit cheval, décidé semble-t-il à laver, plutôt qu’à noircir, le linge sale de ses mauvais souvenirs. Brasse-Bouillon, le cœur sur la main pardonne à Folcoche. Le roman annonce un certain retour au calme dans la philosophie d’Hervé Bazin, qui s’oriente alors vers une morale roborative, plus traditionnelle, ou moins anticonformiste, sans toutefois lâcher le moindre lest au plan du style, qui reste sentencieux et incisif, voire tranchant. C’est d’abord l’édifiant Lève-toi et marche (ou comment un paralytique peut dominer par son seul courage la lâcheté des bien-marchants), puis L'Huile sur le feu (les longs aveux d’un incendiaire), Qui j’ose aimer (un Phèdre transposé à la campagne, à travers l’histoire de femmes qui se haïssent), Au nom du fils (ou comment un professeur de lettres s’éprend du moins doué de ses fils, adoptif de surcroît). Si la révolte a engendré la morale chez l’auteur des Bienheureux de la désolation, si les problèmes de société ont aujourd’hui sa préférence sur les affaires de famille, on voit que les thèmes demeurent : ils se réfèrent tous à la pathologie sociale et font danser les monstres que l’âme collective refoule, que nous portons parfois en nous, que la mauvaise foi ou la fausse pudeur nous dissimulent. Et les derniers titres d’Hervé Bazin — le Matrimoine, Madame Ex — ont encore un goût discret de vinaigre... On a dit, un peu à tort, que l’écrivain rejoignait en fin de compte au tableau de famille son grand oncle René Bazin, le très catholique auteur de la Terre qui meurt : il faudrait alors oublier que le petit-neveu, ayant vidé son sac de rancunes, a choisi le socialisme « par exigence morale » et qu’il n’a jamais repris tout à fait sa place dans le giron des ancêtres. Simplement, au séditieux « Familles, je vous hais » emprunté à Gide, a succédé chez lui le rassurant et soulagé « Familles, je vous ai», formule qu’il a lui-même accréditée dans son essai Ce que je crois. Un credo en forme de mea culpa, mais l’aspect le plus remarquable de cette «conversion», c’est sans doute qu’elle n’ait à aucun moment trahi le talent d’Hervé Bazin, qui se sera manifesté dans tous les registres du roman de mœurs avec une égale réussite.

► BibliographieRomans : Vipère au poing, Grasset, 1948 ; la Tête contre les murs, Grasset, 1949; la Mort du petit cheval, Grasset, 1950; Lève-toi et marche, Grasset, 1952 ; l'Huile sur le feu, Grasset, 1954 ; Qui j'ose aimer, Grasset, 1956 ; Au nom du fils, le Seuil, 1960 ; le Matrimoine, le Seuil, 1967 ; les Bienheureux de la désolation, le Seuil, 1970 ; Cri de la chouette, Grasset, 1972 ; Madame Ex, le Seuil, 1975. Nouvelles : Le Bureau des mariages, Grasset, 1951 ; Chapeau bas, le Seuil, 1963. Tous les romans et nouvelles d'Hervé Bazin ont été réédités dans le Livre de Poche. Poésie : Jour, édit, du Journal des poètes, Bruxelles, 1947, et le Seuil, 1971 ; A la poursuite d'iris, édit, du Journal des poètes, 1948 ; Humeurs, Grasset, 1953 ; Traits, aphorismes en forme de courts poèmes, le Seuil, 1976. Essais : La Fin des asiles, Grasset, 1959 ; Plumons l'oiseau, Grasset, 1966 ; Ce que je crois, Grasset, 1977.