Henry de MONTHERLANT (1896-1972)
L’homme Montherlant est toujours resté profondément secret. Son attitude pendant l’Occupation suscite des incompréhensions, sa production littéraire de l'époque — le théâtre — venant renforcer l'équivoque. C'est, en effet, durant cette période qu'il apparaît, grâce à la Reine morte (1942), comme un auteur dramatique de renom. À la Libération, l’enquête ouverte à son sujet ne connaîtra pas de suite. Après guerre, il ne se manifeste pas et mène de front sa production théâtrale où se mêlent drames à sujet religieux (le Maître de Santiago, 1947 ; la Ville dont le prince est un enfant, 1952 ; Port-Royal, 1954 ; le Cardinal d’Espagne, 1960) et pièces consacrées à l'exalta-tion du plaisir (Malatesta, 1946 ; Celles qu'on prend dans ses bras, 1950 ; Don Juan, 1958), son œuvre romanesque (le Chaos et la Nuit, 1963 ; les Garçons, 1969) et de nouveaux essais qui accentuent son image de moraliste désabusé. Reçu à l'Académie française en 1960 sans l'avoir sollicité, il se donne la mort le 21 septembre 1972, incapable de supporter la cécité dont il est atteint. Ce suicide s'inscrit dans la logique de ses idées : « Si la maladie ou les circonstances sociales me privaient à la fois de (l'amour et du travail), que deviendrais-je ? Nous retombons sur le suicide. » En mettant lui-même un point final à son existence, il authentifie des déclarations et des attitudes qu'on avait pu tenir pour affectées. Montherlant a toujours affirmé son indépendance d'esprit en proclamant de manière volontairement provocante ses contradictions : « Il n'est rien que j'aie écrit, dont, à un moment donné de mon existence, je ne me suis senti pressé d'écrire le contraire », dit-il, affirmant par là même le refus de se laisser berner par de fausses valeurs et enfermer dans des cadres esthétiques ou moraux qui mutileraient sa liberté personnelle. Aussi a-t-il toujours regardé l'engagement de l'écrivain avec beaucoup de scepticisme : « Mon esprit est réfractaire au politique et au social. » Plus qu'une simple déclaration d'humeur, il faut entendre dans cette phrase une position philosophique privilégiant l'aspect cyclique de l'histoire qui n'est qu'une « même pièce, jouée par des acteurs différents ». Puisqu'il est impossible de changer le monde, le mieux est de s'isoler, « se désolidariser », cultiver ses particularités et ses paradoxes et s'accomplir dans la solitude « d'où naît l'œuvre ». Même indifférence, semble-t-il, pour l'art dramatique dont Montherlant était pourtant passionné. « Il n'est pas dans les intentions présentes de l'auteur que cette pièce soit représentée », dit-il de la Ville dont le prince est un enfant. Son désintérêt pour la mise en scène de ses pièces accentue ses positions de principe : « Je m'en remets au metteur en scène pour les places et les mouvements Ge serais incapable de les indiquer et je ne me préoccupe pas de l'agencement scénique tandis que j'écris). » Provocation ultime : dans la Guerre civile (1965), il cache au spectateur le prologue et l'épilogue, qui se déroulent rideau baissé. Les libertés prises avec un thème témoignent du même désir d'indépendance. Le Don Juan de Montherlant, s'il séduit les femmes, ne fait jamais preuve de méchanceté. Ne renonçant à rien, il « cumule le changement et la durée ». Ces caractéristiques du personnage appartiennent également à l'auteur : le badinage suit le pathétique, la gravité débouche sur la bouffonnerie, Montherlant faisant souvent alterner, au sein de la même réplique, le sérieux et la boutade. La seule véritable constante de son œuvre, c'est dans le mépris pour la médiocrité et la bassesse qu'on la trouve: « Mon.pain est le dégoût. Dieu m'a donné à profusion la vertu d'écœurement », dit don Alvaro dans le Maître de Santiago. Montherlant, de son propre aveu, se situe donc non tant sur le plan de la théâtralité que sur celui de la morale. Ne cherchant pas à « construire mécaniquement une intrigue », il avoue sa prédilection pour un « théâtre tout intérieur » qui, « débarrassé de la mécanique foraine », doit être « un prétexte à l'exploration de l'homme».