HEIDEGGER : DIRE “OUI” ET “NON” A LA TECHNIQUE
HEIDEGGER : DIRE “OUI” ET “NON” A LA TECHNIQUE
Le développement accéléré et envahissant de la technique dans le monde moderne oblige à repenser les rapports que l'homme entretient avec elle : primitivement instrument de l'homme, la technique semble en effet en passe défaire de l'homme son instrument. Aussi est-ce au moyen de se libérer de la technique tout en l'utilisant que nous invite à réfléchir Heidegger.
Heidegger: « Il serait insensé de donner l'assaut, tête baissée, au monde technique et ce serait faire preuve de vue courte que de vouloir condamner ce monde comme étant l'oeuvre du diable. Nous dépendons des objets que la technique nous fournit et qui, pour ainsi dire, nous mettent en demeure de les perfectionner sans cesse. Toutefois, notre attachement aux choses techniques est maintenant si fort que nous sommes à notre insu devenus leurs esclaves. Mais nous pouvons nous y prendre autrement. Nous pouvons utiliser les choses techniques, nous en servir normalement mais en même temps nous en libérer de sorte qu’à tout moment nous conservions nos distances à leur égard. Nous pouvons faire usage des objets techniques comme il faut qu'on en use. Mais nous pouvons en même temps laisser à eux-mêmes comme ne nous atteignant pas dans ce que nous voulons de plus intime et de plus propre. Nous pouvons dire "oui" à l'emploi inévitable des objets techniques et nous pouvons en même temps lui dire "non" en ce sens que nous les empêchions de nous accaparer et ainsi fausser, brouiller et finalement vider notre être. Mais si nous disons ainsi à la fois "oui" et "non" aux objets techniques notre rapport au monde technique ne devient-il pas ambigu et incertain? Tout au contraire : notre rapport au monde technique devient merveilleusement simple et paisible. Nous admettons les objets techniques dans notre monde quotidien et en même temps nous les laissons dehors, c'est-a-dire que nous les laissons reposer sur eux-mêmes comme des choses qui n'ont rien d'absolu, mais qui dépendent de plus haut qu'elles. »
Ordre des idées
1) Une idée centrale : Nous pouvons utiliser les objets techniques sans être asservis par eux.
2) Explicitation : Nous pouvons utiliser ces objets en les maîtrisant, c'est-à-dire : — en les maintenant dans leur statut d'objet, c'est-à-dire séparés de nous-mêmes, n'atteignant pas notre être, notre intimité ; — en veillant à ce qu'ils ne nous accaparent pas, qu'ils ne réduisent pas notre liberté.
3) Remarque finale : Une telle attitude vis-à-vis de la technique n'est nullement ambiguë ni conflictuelle, mais tout au contraire simple et paisible.
HEIDEGGER ET LA TECHNIQUE (correction du texte)
La technique est ce qui nous permet de transformer le monde de nous en rendre comme maîtres et possesseurs pour paraphraser Descartes. La technique entendue comme savoir-faire productif exploite la connaissance scientifique du monde pour réaliser des objectifs de l'espèce humaine. Elle a procuré aux sociétés contemporaines de nouvelles modalités de mise à disposition et de nouvelles manières de travailler. En ce sens il est difficile d'envisager aujourd'hui la réalité et le devenir du monde sans considérer en même temps un autre élément le savoir-faire en renouvellement constant auquel donne lieu l'application technique du savoir. Mais la technique a ce trait propre d'évoluer de façon indéterminée si bien d'ailleurs que l'homme ne semble avoir de prise sur elle.
Nous verrons en premier lieu qu'il est impossible de nous passer de la technique de « Il serait insensé... » à « il faut qu'on en use. »
Et ensuite que dans cette mesure ce qui doit être envisagé c'est un bon usage de la technique par lequel nous restons maîtres de celle-ci. (De « Mais nous pouvons en même temps.... » à « qui dépendent de plus haut qu'elles ».
La technique habite notre vie
Heidegger part d'un constat c'est qu'il est inenvisageable de vivre sans la technique. Ainsi il écrit: « Il serait insensé de donner l'assaut, tête baissée, au monde technique et ce serait faire preuve de vue courte que de vouloir condamner ce monde comme étant l'œuvre du diable. ». Refuser la technique comme la condamner en faisant une œuvre diabolique est tout à fait vain. Et ce pour une raison fondamentale c'est que nous ne saurions vivre sans la technique. Nous sommes même continuellement poussés à perfectionner les objets techniques. Il écrit: « Nous dépendons des objets que la technique nous fournit et qui, pour ainsi dire, nous mettent en demeure de les perfectionner sans cesse. ». Mais qui dit dépendance dit également aussi risque d'asservissement. C'est ce à quoi Heidegger lui-même conclut. Il écrit : « Toutefois, notre attachement aux choses techniques est maintenant si fort que nous sommes à notre insu devenus leurs esclaves. ». Mais si Heidegger refuse de tomber dans la condamnation morale c'est que si la technique n'est pas le fait de forces diaboliques l'asservissement que l'on peut ressentir vis-à-vis de la technique n'est pas irréversible. Il écrit alors: « Mais nous pouvons nous y prendre autrement. ». La technique ne nous contraint à rien même si elle forge une modalité de notre rapport au monde. C'est dans cette mesure qu'il peut écrire: « Nous pouvons utiliser les choses techniques, nous en servir normalement mais en même temps nous en libérer de sorte qu'à tout moment nous conservions nos distances à leur égard ». La dépendance vis à vis de la technique se situe dans le fait que nous ne prenons pas assez de distance par rapport à elle, que nous nous reposons sur elle. Nous délestant ainsi de notre rôle de maîtrise que nous devons toujours garder vis-à-vis des objets techniques. C'est en ce sens qu'il conclut cette partie en écrivant : « Nous pouvons faire usage des objets techniques comme il faut qu'on en use. ». Il faut user de la technique non se reposer sur elle. Mais en quoi consiste précisément ce bon usage de la technique ?
Le bon usage de la technique
Si la solution ne réside pas dans un refus radical de la technique même si celle-ci contient en elle le risque de nous asservir, comment en faire un bon usage ? C'est-à-dire un usage qui maintient le mieux possible notre autonomie ? Il faut pour se faire, que la technique n'intervienne pas dans ce qui fait notre être mais qu'elle conserve son rôle fondamental et premier qui est de nous faciliter notre existence. Il écrit: « Mais nous pouvons en même temps laisser à eux-mêmes comme ne nous atteignant pas dans ce que nous voulons de plus intime et de plus propre. ». L'asservissement intervient justement quand la technique se place dans ce qui fait notre être, notre identité, lorsqu’elle nous aliène. Qu'elle fait qu'un objet technique se substitue à notre être. Là l'usage de la technique que nous faisons est corrompu. Il faut donc et paradoxalement à la fois dire oui à la technique et se refuser à elle. De là il écrit : : « Nous pouvons dire "oui" à l'emploi inévitable des objets techniques et nous pouvons en même temps lui dire "non" en ce sens que nous les empêchions de nous accaparer et ainsi fausser, brouiller et finalement vider notre être. ». Il faut se distancier par rapport à technique, faire qu'elle ne devienne pas une partie de nous. Mais comment accepter la technique et se refuser à elle ? C'est cette aporie que Heidegger souligne également quand il écrit: « Mais si nous disons ainsi à la fois "oui" et "non" aux objets techniques notre rapport au monde technique ne devient-il pas ambigu et incertain? ». Comment ne pas tomber dans un rapport contradictoire ? Et pourtant c'est bien là que se situe selon l'auteur le lieu de notre libération. Il précise: « Tout au contraire : notre rapport au monde technique devient merveilleusement simple et paisible. ». Il faut pour aboutir à ce rapport apaisé à la technique, assurer son rôle de maître. Ne pas tout attendre d'elle, mais se poser au-dessus d'elle. Il écrit dans cette optique : « Nous admettons les objets techniques dans notre monde quotidien et en même temps nous les laissons dehors, c'est-à-dire que nous les laissons reposer sur eux-mêmes comme des choses qui n'ont rien d'absolu, mais qui dépendent de plus haut qu'elles. » Les objets font partie de notre existence mais non de l'intérieur mais du dehors. Les objets techniques ne doivent pas être substantialisés comme des entités magiques, ou vivantes. Nous devons toujours garder l'ascendant sur eux, car ce sont les choses techniques qui dépendent de nous et non l'inverse.
Conclusion
-Si nous déplorons souvent l'omniprésence de la technique et l'idée qu'elle puisse s'insérer dans chaque parcelle de notre existence, ce qui est à regretter ce n'est pas tant l'existence de la technique que l'usage que nous en faisons.
-Il faut donc savoir user de la technique sans que celle-ci se substitue à notre être le plus intime et le plus propre. Être toujours conscients que nous sommes les maîtres des objets que nous utilisons et qu’en lui-même un objet technique n'est rien. Nous devons continuellement nous placer dans une position ascendante vis à vis des objets techniques.
Mais, la partie semble perdue ;-(. Dans un monde où l’amitié se compte en « like », la popularité en « follower » et l’amour en « match » 😉, la technique a étendu son pouvoir jusque dans le plus intime de notre intimité. Chaque petit événement de notre vie se doit d’être exhibé sur son « profil », l’homme moderne s’est vidé de sa substance, de son intériorité pour ne devenir qu’une mise en spectacle de lui-même.