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Hegel: Science

Science

• Hegel élève au-dessus des « sciences positives », qui présupposent d’emblée leur objet, un secteur déterminé du réel, qui l’accueillent en son contenu empirique donné, et qui le comprennent en utilisant les catégories et principes reçus de l’entendement, triple limitation de l’activité auto-fondatrice de la pensée, la science véritable qui réalise celle-ci. Dans l’idéal d’une telle science, la pensée doit déterminer à partir d’elle-même, donc librement, et dans l’identité à soi de cette détermination ou différenciation, donc selon une nécessité témoignant de sa vérité, par là dans une réunion de la liberté et de la vérité comblant l’esprit, le champ de son objet, son contenu et la mise en forme méthodique de celui-ci. C’est un tel idéal que peut et doit, seule, réaliser la philosophie, dans son projet spéculatif de refléter, tel un miroir {spéculum}, l’être lui-même, en y étant parfaitement chez soi pour autant que ce miroir est le miroir pensant de cet être. Kant, puis Fichte et Schelling lui-même, avaient bien entrepris de rendre la philosophie — déchirée antérieurement en sa visée transcendante pré-critique, en cela arbitraire, de métaphysique de l’objet — scientifique, en la constituant comme une métaphysique du sujet se pensant, de façon pleinement immanente, dans son déploiement nécessaire ; mais c’était au prix d’un renoncement de l’entendement (ou d’une pseudo-raison fixée à son formalisme) à saisir l’objet ou l’être en soi, alors livré aux entreprises irrationnelles procédant de l’intuition prophétique romantisante. Hegel veut dépasser, dans la philosophie élevée à la scientificité, et la rigueur du simple formalisme de la pensée, et l’arbitraire de l’être seulement intuitionné. Or, pour lui, l’élaboration d’une telle philosophie scientifique est une tâche à la fois nécessaire et réalisable. •• Hegel, qui resitue la science — qui pourtant prétend à une vérité éternelle — au sein de la culture de son époque, dont elle veut surmonter l’aliénation originelle, au fond l’opposition sujet-objet, considère qu’elle est enfin parvenue au seuil de sa constitution définitive et absolue. Le dépassement historiquement exigé de l’entendement révolutionnaire et de son Autre, la restauration romantique de l’intuition, dans la réconciliation de la liberté du Soi et de l’autorité du tout, ne peut se penser fondamentalement que dans la philosophie spéculative, où la totalisation de l’être se reconstruit dans la liberté du Soi pensant. À cette « nécessité extérieure » de la science, la Préface de la Phénoménologie de l'esprit ajoute sa « nécessité intérieure », qui consiste en ce que le savoir de l’être le plus général où le plus immédiat n’est possible qu’en se fondant sur le savoir de soi spéculatif de l’absolu. C’est là ce qu’établissent aussi bien la Phénoménologie de l’esprit, montrant que le moindre savoir implique l’affirmation finale de l’identité totale du savoir et de l’absolu, élément ou milieu de la science proprement dite, que, dans sa suite, l’Encyclopédie des sciences philosophiques, qui détermine ou différencie cette identité élémentale du savoir en une science effective, dont le développement rigoureux pose in fine, comme seule constitutive de l’être en son absoluité, la science spéculative elle-même. La science se fait ainsi métascience, et ce retour en elle-même, cet être-chez-soi d’elle-même, révèle bien là comme le mot ultime de l’être sur lui-même l’identité de la liberté et de la vérité, c’est-à-dire l’esprit en son absoluité. Cette liberté vraie ou cette vérité libre se manifeste déjà tout au long de la science, en ceci que son contenu et sa méthode sont parfaitement identiques. La méthode scientifique, dialectico-spéculative, est l’auto-mouvement du contenu, ce que Hegel appelle le concept, foncièrement libre en sa vérité : « La méthode n’est rien d’autre que la construction du tout, érigée en sa pure essentialité » (Phgie, Préface, p. 119), et «la science ne peut s’organiser que par la vie propre du concept » (ibid, p. 131). Les catégories de la science, qui posent son contenu, sont donc elles-mêmes posées par la pensée de l’être s’analysant dialectiquement en elles. La science, en cette constante liberté de sa vérité déployée, peut bien achever la réconciliation du sujet et de l’objet, du Soi et du tout, en laquelle l’esprit jouit de son absoluité. ••• L’élévation de la science philosophique au-dessus de la limitation ou finitude des sciences positives, rivées à la juxtaposition, en elles, de l’empirisme de leur intuition et du formalisme de leur entendement, ne signifie pourtant aucunement une séparation, laquelle serait mortelle à l’esprit, qui est réunion. Les sciences positives — ces mélanges de rationalité scientifique et de positivité non rationnelle — peuvent et doivent renforcer leur scientificité en limitant la positivité qui limite celle-ci. D’abord en profitant d’une insertion de leurs principes, présupposés et non fondés en elles, et des catégories générales ponctuant leur développement, fixées à elles-mêmes et en cela également non fondées, dans le contenu même de la science spéculative. Et c’est bien ce que leur offre cette dernière, au demeurant incitée par elles à sortir des généralités abstraites, dans l’intérêt préalablement porté — comme ce fut toujours le cas chez Hegel — au riche contenu de l’expérience. La science spéculative va au-devant de l’expérience et de ses sciences en se différenciant et déterminant comme une encyclopédie des sciences liant entre eux, systématiquement, au sein de la raison concrète, leurs principes et leurs organismes généraux, ainsi justifiés et avérés : « Ce qui est vrai dans une science l’est par l’intermédiaire et en vertu de la philosophie, dont l’encyclopédie embrasse par conséquent toutes les sciences véritables » (E, SL, 1817, § 10, p. 159). Mais l’Encyclopédie des sciences philosophiques ne contient que ce qu’il y a ainsi de philosophique ou de rationnel dans les sciences. Elles ne veut pas entrer dans ce qu’elles ont de proprement positif, leur détail livré à la contingence, et dont l’unification incombe à l’entendement par là libéré en son droit subordonné, mais réel. Il est vrai que la raison scientifique justifie cette autolimitation d’elle-même, qui ne compromet en rien sa souveraineté universelle, car elle sait qu’il est rationnel qu’il y ait de l’irrationnel à l’échelle de la particularité empirique.

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