Hegel: Phénomène-Phénoménologie
Phénomène-Phénoménologie
• L’absolu, en tant qu’esprit, est essentiellement manifestation ou révélation de soi. L’un des degrés, le degré médian, de celle-ci est le phénomène (ou l’apparition : Erscheinung de erscheinen : apparaître). Dans le phénomène, la distance requise entre ce qui se manifeste et ce qui est manifesté de lui se fixe pour elle-même dans leur extériorité, simplement réelle ou également vécue, au lieu d’être immédiatement résolue dans leur identité alors devenue pure présence à soi de son sens. L’extériorisation phénoménale de la manifestation fait de celle-ci une sensibilisation du sens, une naturalisation de l’idée, qui se réfléchit en elle-même comme la représentation d’un objet par un sujet, car se représenter {vorstellen} quelque chose, c’est, pour ce qui se réfléchit en soi-même comme sujet, placer (stellen) devant (vor) soi, face à soi, s’objecter, ce qui lui est alors précisément un objet. L’esprit, en tant qu’il s’apparaît à lui-même à travers la relation sujet-objet, est la conscience (voir article Conscience). L’étude rationnelle, scientifique, de la conscience est bien la phénoménologie de l’esprit, l’étude de l’esprit en son phénomène ou en son apparaître. •• Contrairement à ces philosophies de la conscience ou de la relation sujet-objet, Moi-Non Moi, que sont, à ses yeux, un kantisme et un fichtéanisme se réduisant, en fait, à une phénoménologie, Hegel élabore une philosophie intégrale de l’esprit, qui contient, entre autres, une phénoménologie considérablement révolutionnée en son principe et développée en son contenu. L’esprit, intériorisation réfléchie en soi de l’extériorité sensible ou naturelle du sens ou de l’idée, est d’abord en tant qu’âme ; dans l’âme, objet de l’anthropologie, la nature devient présente à elle-même, sympathise avec elle-même comme sentir, sans que son contenu vienne encore lui faire face comme un objet à un sujet. Cette dernière relation, dans laquelle l’esprit s’apparaît à lui-même, se fait le phénomène de lui-même, constitue la conscience. Celle-ci est un processus, car l’activité déployée par le sujet pour se rendre adéquat — dans la vérité — à l’objet saisi par lui comme être modifie aussi cet objet, qui n’est que l’objectivation de lui-même ; la phénoménologie de l’esprit fait comprendre la progression de la conscience en direction de la suppression de l’inadéquation du sujet et de l’objet, de la pensée et de l’être. L’au-delà de la phénoménologie est alors saisi de deux manières par Hegel, selon la portée qu’il accorde à celle-ci. Dans l'Encyclopédie, où il n’a en vue, en traitant de la conscience, que sa forme abstraite, non pas son contenu mondain concret, il la fait déboucher sur l’esprit stricto sensu, identification elle-même simplement formelle du sujet et de l’objet, étudiée par la psychologie. Mais la Phénoménologie de l'esprit, qui explorait le contenu intégral de l’esprit, contenu resté, même pour celui-ci élevé à sa forme psychologique, autre que lui, ne peut se dépasser que dans la science encyclopédique transpénétrant d’emblée rationnellement tout l’être. Alors, le phénomène est universellement conçu comme la phénoménalisation de soi médiane de l’absolu qui n’est qu’à se manifester. ••• L’Encyclopédie hégélienne, qui fonde ainsi le statut général du phénomène dans le déploiement de l’absolu, se présente elle-même, en sa clef de voûte, la philosophie de l’esprit dans son absoluité, comme la rationalisation du processus selon lequel la religion vraie du christianisme se représente la vie de Dieu. Le Dieu chrétien se donne à penser comme une manifestation de soi qui, après avoir animé son en-soi trinitaire à travers le moment du Fils, s’extériorise phénoménalement dans la création d’une nature culminant avec l’incarnation christique ; ce phénomène de Dieu se nie lui-même dans la mort et la résurrection du Christ, inauguration de la présence à soi concrète de l’esprit divin dans la communauté des fidèles, par-delà les scissions mondaines de la représentation physique de Jésus. La spéculation conceptualise cette histoire de Dieu dans la dialectique rationnelle qui fait passer de l’idée, se distançant intelligiblement d’elle-même dans la différence de l’essence et de l’être ensuite réunis conceptuellement, à la nature, aliénation sensible, extériorisation phénoménale, de cette Idée, puis à l’esprit, qui est l’intériorisation du phénomène naturel dans la manifestation de soi de l’absolu alors manifestée comme telle.