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Hegel: Nature

Nature

• La nature est, pour Hegel, l’un des trois moments fondamentaux de l’autodéveloppement de l’absolu. Mais elle est le moment médian de sa différence d’avec soi, de son opposition à soi réelle, situé entre les deux moments de son identité à soi, première et dernière pour le monisme hégélien : le moment de son identité à soi idéale — son sens total, l’idée logique —, et le moment de son identité à soi réelle — l’esprit. La nature est réelle, ce qui la différencie de l’idée, intériorité à soi du sens, car la réalité est d’abord la différence d’avec soi, l’extériorité réciproque du sensible : la nature est ainsi la « contradiction non résolue » (E, N. Ph, § 248, p. 54) de l’intériorité à soi du sens présente comme extériorité à soi du sensible. Le sens ne peut être présent sensiblement comme sens" que dans le milieu de la réalité s’idéalisant, de l’extériorité réciproque se totalisant intérieurement, du sensible se réfléchissant en un sens, c’est-à-dire le milieu de l’esprit comme tel. Réelle comme l’esprit, la nature l’est moins que lui, car elle ne l’est pas par elle-même : sa contradiction interne fixée la fragilise ontologiquement, bien loin qu’on puisse l’absolutiser, comme le faisait le premier Schelling, en lui accordant un principe interne de totalisation, l’âme du monde. Pour Hegel, l’absolu est esprit, non pas nature. Mais l’esprit, qui, seul, est par lui-même et fait être tout le reste, réalise l’idée, son Idée, qui n’est qu’en s’aliénant dans une nature, en se présupposant cette nature comme ce à partir de quoi et au sein de quoi il se pose en tant qu’esprit. Contre toute absolutisation de la nature, la philosophie de l’esprit qu’est le hégélianisme affirme la naturalisation de soi de l’absolu. •• La nature, telle originairement par l’extériorité réciproque de ses éléments, est essentiellement spatiale, car, dans le temps, l’extériorité, au lieu de s’étaler, commence de s’intérioriser dans la succession, où l’instant présent dissout en lui l’instant passé. Le temps n’est bien que la deuxième détermination de la nature, en laquelle celle-ci annonce la négation de sa contradiction interne, qui, cependant, n’aboutira pas à l’intérieur d’elle-même, mais exigera la position de l’esprit. C’est pourquoi, si, à sa cime, l’individu vivant, la nature fait retour à elle-même, s’identifie à elle-même dans la reproduction temporelle des germes, c’est de façon parcellaire et extérieure, sans que nulle part un développement universel d’elle-même la fasse se réaliser en une nature présente à elle-même comme telle. Il n’y a pas d’histoire de la nature, et la différence des règnes et des espèces n’est pas identifiée en elle-même par une dialectique réelle se traduisant dans une évolution. Au plus loin de tout évolutionnisme, la philosophie de la nature de Hegel propose de celle-ci une dialectique simplement idéale, présente en tant que telle seulement dans l’esprit qui la pense. La séquence : nature mécanique, nature physique, nature organique est donc purement conceptuelle ; nécessaire en son sens, elle ne s’inscrit pas comme telle dans l’extériorité sensible où s’aliène ce sens. En sorte que la nécessité qui règne dans la nature abrite en ses mailles une contingence irréductible. Une telle irrationalité singularisée affectera alors indirectement la vie même de l’esprit, dont l’histoire ne fait advenir que ce qui n’est encore qu’une seconde nature. La nature est ainsi, à cause de son milieu, l’extériorité réciproque où s’aliène l’idée logique, impuissante quant à la réalisation pleinement rationnelle de la raison « C’est l'impuissance de la nature, que de ne recevoir les déterminations du concept que de façon abstraite et d’exposer la réalisation du particulier à une déterminabilité extérieure » (E, N. Ph, § 250, p. 63). ••• En relativisant ainsi la nature comme ce dont l’absolu spirituel fait sa présupposition réelle nécessaire, dans laquelle il peut se poser comme esprit en la niant concrètement, c’est-à-dire en la transfigurant en direction d’une seconde nature, Hegel dissout l’identification du naturel et du rationnel devenue traditionnelle dans la pensée moderne, par exemple à travers la désignation du « droit naturel ». Il veut mettre un terme à l’emploi ambigu du mot « nature », qui désigne aussi bien la réalité sensible native que le sens essentiel destinai dans lequel on vise généralement la liberté ; alors l’essentialité positive soulignée dans une telle liberté en rabaisse la réalisation négativement médiatisée à travers un véritable travail du négatif. Pour Hegel, en revanche, la liberté, qui nie la nature par son contenu, la nie aussi en sa forme : son être n’est qu’à se faire moyennant l’autoactivité ou l’auto-négativité qu’est la raison. Celle-ci ne s’avère ni comme simple être (sensible) ni comme simple essence (intelligible), mais, par-delà toute sorte de nature (physique ou métaphysique), comme la liberté constitutive du concept se réalisant spirituellement, créateur de lui-même en tant qu’il crée aussi une nature qui, bien loin d’être, à quelque degré que ce soit, pour lui un principe, est de part en part son œuvre immédiate, dont le sens vrai est de s’achever en l’esprit, en fournissant à celui-ci la distance d’avec soi lui permettant de se manifester à lui-même en tant qu’esprit.

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