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Hegel: Médiation

Médiation

• La philosophie hégélienne est totalement une philosophie de la médiation, parce qu’elle est une philosophie de la médiation totale, à ce point totale qu’elle s’inclut elle-même en elle puisque les termes différents qu’elle réconcilie sont elle-même, la médiation, et son Autre, l’immédiat. Hegel, en effet, rejette, d’une part, l’affirmation unilatérale de la médiation comme pur agir qui ne ferait pas retour en lui-même dans un être, puisqu’une médiation avec soi est une médiation qui n’en est pas une, donc un immédiat — telle est bien la philosophie kantienne-fichtéenne d’un entendement dont les déterminations ne peuvent se reposer dans une totalité réelle. Et il rejette tout autant, d’autre part, l’affirmation non moins unilatérale de l’immédiat comme être offert intuitivement à lui-même en son identité sans le travail déterminant ou différenciant de l’entendement — telle est la philosophie du savoir immédiat ou de la croyance, illustrée par Jacobi et les penseurs romantiques. Recourbant la discursivité de la médiation sur elle-même en un immédiat final, au lieu de la laisser se poursuivre indéfiniment, mais saisissant tout immédiat apparemment initial comme fixant une médiation génératrice de lui-même, réunissant ainsi l’entendement et l’intuition, la raison hégélienne est bien la médiation absolue, puisqu’elle médiatise la médiation elle-même avec l’immédiat : « L’opposition d’une immédiateté subsistante-par-soi du contenu ou du savoir, et d’une médiation en face d’elle tout aussi subsistante-par-soi, qui ne pourrait être réunie avec celle-là, est à mettre de côté [...] parce qu’elle est une simple présupposition et assurance arbitraire » (E, SL, § 78, p. 342).

•• Il n’y a pas d’immédiat qui ne soit aussi médiatisé. L’immédiat en son absoluité, l’être pur et simple, ne se révèle être que comme la double médiation, en elle-même opposée, qui, selon le début même de l’Encyclopédie hégélienne, fait se renverser l’être dans le non-être, ainsi devenu, et le non-être dans l’être, lui-même également devenu, ces deux devenirs se médiatisant l’un par l’autre dans un devenir global dont l’être même devient. Si « la médiation consiste à être sorti d’un premier terme pour passer à un second » (E, SL, § 86, p. 349), elle se développe en se médiatisant, en se réconciliant de plus en plus en elle-même. Ainsi, le devenir de l’être est extérieur à ses moments et les laisse extérieurs les uns aux autres, tandis que la réflexion de l’essence fait paraître ses moments les uns dans les autres, avant que le développement du concept ne les fasse se poser les uns les autres jusqu’à l’auto-création de leur totalité, l’idée rendue immédiate en cette parfaite médiation avec soi, et créatrice elle-même de l’être, se donnant pour immédiat, de la nature. Cet être de la nature est médiatisé avec lui-même au-delà de celle-ci, qui est l’extériorité réciproque, la non-réconciliation, dans l’esprit, qui lui-même se médiatise pleinement avec lui-même dans le savoir absolu. Inversement, il n’y a pas de médiation qui ne se fasse immédiateté, qui ne s’achève en une présence totale à soi-même. Il y a une fin de l’histoire universelle et de l’histoire de la philosophie. La critique hégélienne de la progression infinie, du mauvais infini de l’entendement toujours poussé au-delà de lui-même par ses déterminations, limitées, est celle de la médiation abstraitement fixée à elle-même. En leur vérité, la médiation et l’immédiat s’identifient concrètement comme le mouvement et le repos, le temps et l’éternité, le relatif et l’absolu, le premier terme animant et vivifiant le second, alors totalement confirmé en l’être dans lequel il recueille celui-là.

••• Hegel, élevant à la réflexivité proprement philosophique son idéal de jeunesse, celui de la belle totalité, quasi naturelle, de la cité grecque, a d’abord philosophé contre les philosophies de la médiation subjective indéfinie de l’objet, en opposant à Kant et à Fichte, en compagnie de Schelling, l’affirmation esthétisante de la totalité. Mais sa critique s’est dirigée de plus en plus contre le courant, devenu dominant après la défaite de l’entendement révolutionnaire et impérial français, du savoir immédiat. Il présente une telle expression de « savoir immédiat » comme une contradiction dans les termes : le savoir, en tant que pensée déterminée, vise une différence identifiée, c’est-à-dire un contenu en lui-même médiatisé, tel celui, prototypique pour un Jacobi, de la pensée et de l’être de Dieu, mais le savoir d’un contenu médiatisé est nécessairement un savoir lui-même médiatisé en sa forme. La simple présence brute, immédiate, naturelle, d’un contenu dans l’esprit est impossible, puisque l’esprit est originairement activité sur soi ou activité absolue, médiation avec soi ou médiation absolue. Le savoir (qui se dit) immédiat est donc une médiation qui s’ignore et, de ce fait, ne peut se maîtriser : elle se rend passive de sa mobilisation alors naturelle. Le savoir immédiat, c’est l’esprit qui renonce à lui-même et à son progrès culturel en s’imaginant retrouver l’innocence naturelle. En fait, il retombe simplement au début de la culture, dont la fin seule peut restituer en la comprenant et fondant la richesse d’une nature seulement sauvée par l’esprit.

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