Databac

Hegel: Idéalisme

Idéalisme

• Dans ce qu’on appelle l’idéalisme, voire l’idéalisme absolu, de Hegel, le terme « idéalisme » survient, en fait, très rarement. Et il désigne, non pas d’abord un type de philosophie, mais une orientation ou une démarche générale de la conscience, qui consiste à saisir ce que l’on prend ordinairement pour réel ou pour étant, à savoir les choses déterminées, limitées, finies, comme ce qui est, tout au contraire, irréel ou idéel, sans vérité. Seul est, en effet, ce qui n’est pas fini, donc empreint de non-être ; or, ce qui n’est pas fini est, non pas ce qui exclut le fini — car celui-ci, autre que l’infini, le limiterait et renverserait par là en quelque chose de fini —, mais ce qui l’inclut en étant l’unité totale du fini. Seul le tout a être et vérité. C’est pourquoi la philosophie, qui veut dire l’être vrai, n’est elle-même qu’en considérant ce qui est fini comme irréel ou idéel, qu’en étant idéaliste : « Cette idéalité du fini est la proposition capitale de la philosophie, et toute philosophie vraie est, pour cette raison, un idéalisme » (E, SL, § 95, p. 360). •• En cela, la philosophie accomplit ce qui, pour Hegel s’affirme déjà même dans la simple vie, où le tout dissout la fixité de ses parties en en faisant des organes n’ayant d’être que par et en lui (la vie est parfois caractérisée dans la « Philosophie de la nature » comme l’idéalisme absolu !). Cet idéalisme réel devient pour lui-même dans la conscience la plus ordinaire en tant que, distinguant d’elle comme sujet un objet identique à soi auquel elle veut conformer son devenir, elle est d’emblée orientée vers la vérité constituée par une telle adéquation. Éprouvant d’abord les choses sensibles comme changeantes, n’étant plus ce qu’elles viennent d’être, la conscience sensible les dépasse, en leur irréalité ainsi rendue manifeste, dans les déterminations, égales à elles-mêmes, de l’entendement. Le contenu de chacune de ces déterminations intellectuelles, fixé en sa différence d’avec les autres, nourrit la perception objective, la science positive et la métaphysique traditionnelle, qui réalise les pensées comme des choses. Même la révolution copernicienne de Kant, qui fait tourner les choses autour de la pensée et déclare subjectives les catégories lues sur les objets, même cet idéalisme subjectif qui, en tant que transcendantal, dit le sujet comme objectivant, laisse inchangé le contenu des déterminations dont on ne fait alors que modifier le statut. Le maintien de l’opposition du sujet (pour soi) et de l’objet (en soi), du phénomène subjectif et de la chose en soi, relève bien encore de l’entendement fondamentalement dogmatique — même lorsqu’il se dit critique —, puisqu’il fixe à soi-même ce qui, opposé à un Autre, est pourtant fini. Plus vraie, en ce sens, est la foi religieuse — à laquelle l’idéalisme subjectif de Kant doit bien, d’ailleurs, faire une place en lui à travers l’idéalité des postulats de la raison pratique —, car elle nie dans sa représentation tout être fini en le résolvant dans l’action totalisatrice du Dieu créateur. La philosophie ne peut atteindre à sa vérité qu’en reconnaissant la réalité suprême du contenu de la raison, puissance constitutive de l’être dont elle déploie la totalité. L’idéalisme s’achève dans la systématisation spéculative de l’être comme tout transparent à lui-même en sa pensée : « L’idéalisme de la philosophie spéculative possède le principe de la totalité et se montre comme ayant prise sur l’unilatéralité des déterminations d’entendement abstraites » (E, SL, § 32, Addition, p. 487). ••• Hegel, identifiant l’être et la pensée dans le tout alors connu, réalise ce que Kant avait pensé dans la totalité comme contenu de la raison, c’est-à-dire dans Vidée, qu’il disait seulement pensable (régulatrice de l’exploration de l’être) et non proprement connaissable (constitutive du contenu de cet être). L’idéalisme spéculatif, qui se dit le miroir de soi de l’être, affirme donc ce que l’idéalisme transcendantal, resté purement subjectif, jugeait impossible, la saisie rationnelle de la réalité dans et comme la totalisation de soi de la pensée identique à l’être. Cette intention réaliste, à ses yeux satisfaite par lui, de l’idéalisme spéculatif, lui fait exclure toute assomption seulement « idéaliste » — au sens de l’idéalisme abstrait séparant l’idée de sa réalisation — de lui-même, tout « philosophisme » enfermant la philosophie en elle-même. Le vrai se pose en sa totalité en se présupposant ses déterminations les plus réelles, même au sens empirique-naturel du mot. Le réalisme et matérialisme post-hégélien reprochera à l’idéalisme spéculatif de ne saisir ces déterminations qu’à travers leur sens, en tant, d’abord, que pensées ; c’est bien, selon lui, une telle démarche (plus que ce qui est dit moyennant elle) qui fait l’idéalisme, alors que le réalisme consiste à ancrer le sens dans l’expérience sensible. À quoi celui-là pouvait répondre que cette dernière affirmation est bien encore un sens et que l’être ne peut être pensé tel qu’il est (par exemple comme sensible) que si son être même s’accomplit en tant que pensée de lui-même par lui-même.

Liens utiles