Hegel: Éthique (vie)
Éthique (vie)
• Hegel distingue de la morale ou moralité, entendue comme l’assomption intérieure individualisée de la responsabilité pratique (le mot de morale vient du latin mos, moris, et Hegel insiste sur l’affirmation de la personne par le droit romain), la vie éthique (Sittlichkeit) consistant dans les coutumes, les mœurs objectives d’une communauté, que les Grecs, qui ont illustré exemplairement celle-ci, désignent par le terme ethos. L’effort hégélien de réconciliation du souci antique de la totalité spirituelle et de l’attention moderne aux individus aboutit à l’intégration de ceux-ci, dont le droit extérieur (d’abord la propriété privée) et la moralité intérieure (s’affirmant dans l’intention) sont pleinement reconnus, dans celle-là en tant qu’esprit pratique communautaire animant les institutions socio-politiques, esprit qui nourrit substantiellement les vouloirs individuels et, en retour, se renforce de leur énergie libérée. La vie éthique accomplie dans le cours de l’histoire universelle constitue le moment suprême de l’esprit objectivé dans un monde. Sa réalité assurée offre un champ solide à l’exercice du droit abstrait et de la moralité, dont l’insuffisance pratique justifie l’existence absolument nécessaire d’elle-même, qui réunit concrètement en elle l’objectivité sans intériorité du premier et l’intériorité sans objectivité de la seconde. •• La théorie de la vie éthique exposée dans l'Encyclopédie et les Principes de la philosophie du droit fait ainsi suite, puisque son objet y trouve sa justification, à la théorie du droit abstrait et à celle de la moralité, les deux premiers moments de l’esprit objectif. Possédant une objectivité générale comme le droit, mais une objectivité générale fondée dans l’intériorité d’un esprit,la singularité pratiques selon trois modalités de plus en plus concrètes. D’abord, en tant que vie familiale, elle identifie syncrétiquement, sans faire droit pleinement ni à l’une ni à l’autre, l’universalité, trop limitée, et les singularités, trop empêtrées dans leur lien naturel ; l’identité du tout et de ses membres se fait au détriment de leur différence. Au contraire, la vie éthique de la société civile libère en elle à la fois l’universalité, dans le cosmopolitisme des échanges d’abord économiques, et les singularités individuelles soucieuses de leur satisfaction égoïste ; la vie sociale, lien extérieur et abstrait, non-lien se faisant valoir souvent, dans ses crises, comme un destin inhumain, offre alors leur occasion réelle à l’administration du droit et aux décisions morales. Mais l’unité positive, et non plus négative, de l’universalité et de la singularité réellement reconnues et promues objectivement, l’accomplissement vrai de la vie éthique, c’est l’Etat, lequel atteint lui-même sa vérité dans la monarchie constitutionnelle moderne encore à réaliser, si l’idée en est généralement revendiquée dans l’égal rejet de l’individualisme révolutionnaire et de l’absolutisme de l’Ancien régime. Le tout, qui s’affirme objectivement dans l’organisme constitutionnel des pouvoirs sous l’autorité du pouvoir princier, et subjectivement dans le patriotisme des citoyens, s’attache d’autant plus ceux-ci qu’il favorise leurs initiatives et leurs intérêts propres en laissant se développer en lui la vie sociale et en leur donnant accès concrètement à l’activité législative. L’Etat fournit ainsi à la vie éthique le socle où peuvent se fixer ses moments plus abstraits et, en cela, plus fragiles, que sont la famille et la société civile. ••• Si la vie éthique, cime de l’esprit objectif, n’épuise pas l’esprit, qui n’est vraiment que dans son absolutisation, fondamentalement religieuse puisque l’art est la forme pré-religieuse et la spéculation philosophique la forme post-religieuse de la religion, elle est cependant la présupposition objective nécessaire de la religion en sa réalisation vraie. Au sein de l’esprit d’un peuple, principe de toutes les manifestations de la vie d’une collectivité, il y a un lien intime entre la croyance religieuse et la vie éthique achevée politiquement ; l’histoire vérifie bien, par exemple, que la Révolution politique ne peut réussir sans la Réforme religieuse. La conscience religieuse, conscience de l’absolu, est elle-même la conscience absolue et, par conséquent, le fondement ultime, le socle originaire de la vie éthique : « L’État repose [...] sur la disposition d’esprit éthique, et celle-ci sur la disposition d’esprit religieuse » (E, Ph E, § 552, p. 334). La vie éthique ne peut donc contredire la religion ou lui être indifférente, si, en son contenu propre, elle ne peut être déterminée, assurément, par cette religion. Mais la vie éthique elle-même, surtout à travers l’État, universel le plus réel qui soit, confirme par son objectivité l’engagement religieux qui procède du même esprit : « C’est seulement grâce à elle et à partir d’elle que l’idée de Dieu est sue comme esprit libre ; en dehors de l’esprit éthique, il est donc vain de chercher une véritable religion et religiosité » (ibid., p. 333-334). Une telle interaction entre la vie éthique et la vie religieuse est, certes, portée par l’absoluité de cette dernière, qui, pourtant, ne peut elle-même se poser et une intériorité spirituelle comme la moralité, mais une intériorité s’objectivant immédiatement dans un comportement général, la vie éthique réconcilie de la sorte l’universalité et en sa vérité qu’en se présupposant dans l’objectivité de la première : « La vie éthique de l’État et la spiritualité religieuse de l’État sont ainsi pour elles-mêmes les solides garanties réciproques » p. 341).
Liens utiles
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