Hegel: En soi, pour soi, en et pour soi
En soi, pour soi, en et pour soi
• Expressions typiquement hégéliennes en ce qu’elles font dire par la langue la plus commune des données spéculatives fondamentales. Elles désignent les modes, constituant une progression nécessaire, selon lesquels l’être de quoi que ce soit est assumé. Tout ce qui est, idéalement ou réellement, est d’abord son être en soi, de façon enveloppée, en germe, potentiellement (il s’agit de la possibilité réelle, appelée dunamis par Aristote). Puis, dans un deuxième moment, l’identité simple de cet être déterminé se déploie dans le milieu extérieur à elle des différences : elle existe, est là (dasein), mais une telle activité qui la fait s’extérioriser en elle-même et exalte ainsi son propre pour-soi dissocie ce que son en-soi réunissait, sa forme identique à soi et son contenu différencié. Le troisième moment du processus de tout ce qui est constitue alors la réconciliation de l’en-soi et du pour-soi, l’être-en-et-pour-soi réalisant en acte (pour reprendre la terminologie aristotélicienne), dans le milieu scindant du pour-soi (ou de l’être-là), l’unité en soi de la forme identique à soi et du contenu différencié de quoi que ce soit. Par exemple, l’homme, qui est en soi libre même s’il existe comme esclave, se libère en voulant traduire extérieurement son libre arbitre purement formel, avant de faire de celui-ci la forme même de l’affirmation de soi du contenu en soi de sa liberté, l’actualisation subjective de l’auto-détermination objective de ce qui, seul, est vraiment, à savoir du tout.
•• Le développement menant de l’en-soi, par le pour-soi, à l’en-et-pour-soi est souvent illustré chez Hegel par le processus végétal conduisant du germe, dont l’identité simple contient virtuellement toute la plante ou tout l’arbre en ses différences : tronc, branches, feuilles, fleurs..., par l’exposition de celles-ci, dont l’identité se réfléchit hors d’elles-mêmes, dans un pour-soi extérieur, jusqu’à leur achèvement dans une ultime différence, auto-négatrice puisqu’elle reproduit, comme fruit renfermant la graine, l’identité même de l’être végétal ; en un tel achèvement, celui-ci est là en son identité, tel qu’il est en soi, donc se redouble lui-même, est pour soi ce qu’il est en soi. Le développement de l’être se révèle ainsi identique à lui-même en ce que sa fin est son commencement alors posé en tant que tel, non par un être extérieur (observateur), mais par lui-même qui se fait in fine position de soi ; le concept de finalité exprime cette identité du commencement et de la fin moyennant un mouvement en cela purement interne ou immanent, par là absolument nécessaire. Pourtant, une telle identité à soi, bien loin d’ignorer la différence d’avec soi, s’en nourrit foncièrement. Si Hegel définit le rapport entre les trois moments du développement par les termes de contradiction ou de réfutation — la plante déployée contredit ou réfute le germe, comme la graine le fait d’elle-même —, c’est que chacun de ces moments est en lui-même animé par une contradiction interne qui rend nécessaire le moment suivant, car la contradiction se contredit pour une pensée assez responsable pour intégrer dans sa définition de l’être dont elle traite ce qui la rend elle-même possible, à savoir l’identité d’abord requise par le sens. L’être qui est seulement en soi, intérieurement, ce qu’il est, et dont l’existence, inévitable puisque l’essence n’est qu’à se manifester, est alors une extériorité opposée à son intériorité, souffre d’une contradiction intime qui lui est fatale. La suppression elle-même inévitable de cette contradiction est l’extériorisation de son être d’abord seulement intérieur ; mais une telle extériorisation est, en son cours, elle-même la contradiction d’une extériorité ou d’un être-là comme contenu manquant encore de sa forme unifiante, et d’une intériorité qui s’affirme pour elle-même en étant encore privée de son contenu réel. Cette nouvelle contradiction se contredit et supprime dans la réconciliation du pour-soi et de l’en-soi, pour autant que l’en-soi se pose comme ce qu’a, à titre d’objet, le pour-soi en et comme lequel se totalise subjectivement l’être-là déployant cet en-soi.
••• Cependant, l’être-en-et-pour-soi, qui n’est plus contradictoire en tant que mode d’être ou forme d’un contenu déterminé, d’un certain être, pris abstraitement pour lui-même, est, comme forme vraie d’un tel contenu non total, donc non vrai, emporté par l’être alors encore seulement en soi du tout. Celui-ci, s’étant développé comme tel, est seul à n'être plus contradictoire. Pourtant, posé comme tout, il se pose, s'expose, se contredit lui-même en tant que tel, dans un développement qu’il maîtrise dès lors absolument en son parcours à travers les trois moments de l’en-soi, du pour-soi et de l’en-et-pour-soi. Ce processus absolument maîtrisé, que l’être déploie selon le régime de la liberté et non plus de la nécessité, vérifie la portée universelle, en l’absolutisant ainsi, de la séquence ternaire : en soi, pour soi, en et pour soi, capitale dans le hégélianisme.