Hegel: Effectivité (Wirklichkeit)
Effectivité (Wirklichkeit)
• L’effectivité ou la réalité effective dépasse la réalité comme simple existence ou simple phénomène autre que son sens essentiel. En elle, l’existence extérieure et l’essence intérieure ne font qu’un : la multiplicité donnée de la première, au lieu d’être pure apparition sensible disparaissante, est fixée comme le développement même de l’identité à soi pensée de la seconde, laquelle identité n’est qu’autant qu’elle se différencie en un tel développement. Une telle auto-différenciation de soi de l’identité qui comprend tout en elle définissant la raison, celle-ci est au principe de l’effectivité, qui n’est ainsi rien d’autre que l’effectuation (Wirken = œuvrer), dans la réalité existante, de cette raison. D’où la célèbre formulation de la Préface des Principes de la philosophie du droit, reprise dans l’introduction de l'Encyclopédie : « Ce qui est rationnel est effectif, et ce qui est effectif est rationnel ». Double équation à lire selon la séquence elle-même rationnelle : parce que ce qui est rationnel est effectif, alors ce qui est effectif est rationnel ; c’est parce que la raison, première, s’effectue que l’effectivité est rationnelle. •• Hegel souligne — contre l’entendement qui oppose la raison comme totalisation du sens ou Idée, alors irréalisée en représentation subjective abstraite, et une réalité sensible ou existence phénoménale privée de toute dimension signifiante — que l’idée, principe absolu, a la force de se réaliser telle qu’en elle-même en une effectivité pleinement sensée. Mais il marque tout autant les limites de la raison manifestée comme simple effectivité. L’effectivité, catégorie qui accomplit l’être comme cause essentielle de lui-même, comme production sensée de lui-même, pâtit de la limitation de la raison ou de l’idée qui n’est encore qu’essence et non pas déjà de ce que Hegel appelle le concept. Unité première, immédiate, donc sur le mode de l’être, de l’essence productrice et de l’existence produite, l’effectivité est production d’elle-même (causa sui) ; elle n'a pas, ne maîtrise pas, cette production essentielle de l’existence, et, par conséquent, ne synthétise pas vraiment les moments d’une telle production. Ainsi, ce qui est produit, la Chose effective, puis l'activité productrice, enfin ce à partir de quoi l’activité produit la Chose : les conditions existantes, restent autres les uns, que les autres dans leur réunion même. Cette identification de moments subsistants en leur différence est, pour ceux-ci, un destin autre qu’eux, la nécessité. Mais la nécessité de l’effectivité, parce qu’elle suppose, de la sorte, la différence de la réunion et des éléments réunis, est, au fond, une contingence relativement à ce qui, alors simplement présupposé par elle, la rend néanmoins possible. La raison effective n’est pas encore manifestée comme pleinement rationnelle. Le sens de l’effectivité requiert l’affirmation d’un être ou d’une existence qui, assurément, ne peuvent s’opposer efficacement à celle-là, toutefois, niables par elle, ne sont pas posés absolument par elle. Si de l’effectif se produit, il y a de l’ineffectif, de l’existant pur et simple, en lui-même non rationnel. ••• La raison n’a d’être comme raison qu’autant qu’elle se fait être en tant que concept, et non pas simplement en tant qu’essence. La raison conceptuelle se pose comme posant l’être, a donc, dans une parfaite transparence à elle-même, sa propre activité posante et, alors maîtresse absolue d’elle-même, l’est de tout ce qui a de l’être (pour, car par elle). Créatrice dès lors, et non plus simplement productrice, la raison conceptuelle pose même ce que, pour s’apparaître comme posante, elle niait, en tant qu’essentielle, comme simple présupposition d’elle-même. Se faisant réflexivement autre qu’elle-même, se retrouvant donc elle-même, ainsi libre, dans ce qui lui est autre, elle est assez sûre de sa puissance pour poser libéralement, dans sa bonté, son Autre comme Autre, libre lui-même d’elle ; sans que certes, ses libéralités ponctuelles puissent mettre en question son triomphe d’autant plus éclatant au niveau du sens universel des choses. La raison s’accomplissant conceptuellement, unité qui se médiatise en et avec elle-même de l’essence et de l’être, qui se fait par là esprit au lieu de rester simple raison essentielle ou naturelle (naturante pour reprendre le terme du substantialisme de Spinoza, que Hegel veut dépasser dans une philosophie du sujet), rend donc raison aussi de l’existence d’un ineffectif ou irrationnel, en tant même qu’elle dépasse le stade de l'effectivité en se donnant une objectivité comme sujet libre.