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Hegel: Contradiction

Contradiction

• Si l’entendement courant limite la contradiction au dire, au penser, et à un certain dire ou penser jugé alors faux (deux propositions contradictoires ne peuvent être l’une et l’autre vraies), la raison hégélienne affirme que tout être la contient en lui : « où que ce soit, il n’y a absolument rien en quoi la contradiction, c’est-à-dire des déterminations opposées, ne puisse et ne doive être montrée » (E, SL, § 89, p. 355). Toute chose est contradictoire en tant qu’elle réunit ou identifie en elle intimement des déterminations manifestement contraires, voire simplement différentes, le fait, pour elle, d’être ainsi à la fois identique et non identique à elle-même dans elle-même constituant son opposition interne ou sa contradiction (cela dit à l’encontre du reproche, souvent adressé à Hegel, d’avoir confondu contrariété et contradiction). •• La reconnaissance de l’omniprésence de la contradiction se heurte à l’obstination de l’entendement rivé au principe de l’identité abstraite : A est A, non pas non-A. Devant une contradiction, l’entendement commence par fixer l’un des opposés en occultant l’autre, et, si c’est impossible, décrète la nullité de l’être qui en est le lieu, comme Zénon le faisait du mouvement. Il utilise même, dans la sophistique, la contradiction comme preuve du néant de ce qu’il rejette. Bref, pour lui, la contradiction, bien loin d’être essentielle et positive, est un accident négatif à éviter. Cependant, à sa cime kantienne, l’entendement philosophant, tout en maintenant le caractère négatif de la contradiction, lui reconnaît une nécessité essentielle sous la forme de l’antinomie cosmologique, même si Kant continue de loger la quadruple contradiction du monde pensé (aussi bien comme fini que comme infini, etc.) dans la pensée illusoire du monde (qui veut appliquer les catégories de l’entendement à l’objet de la raison), et non dans le monde lui-même. Il faut dépasser cette timidité kantienne en affirmant que la contradiction est objective, et non pas seulement subjective, et qu’elle est partout. Avec un statut, il est vrai, varié. Dans la nature physique, régie par l’extériorité réciproque et la fînitude, les choses sont emportées par leur contradiction interne. L’être vivant, qui est, lui, un tout, donc comme tel en soi infini, donc non lié à une détermination particulière, finie, supporte la négation constituée par celle-ci : il en souffre, mais, puisque souffrir, c’est tendre à supprimer la souffrance, il est poussé au-delà d’elle ; la contradiction ressentie est bien la source de tout mouvement spontané, de toute vie, de toute activité. Mais c’est dans la vie de l’esprit que la contradiction révèle toute sa vertu. L’histoire du monde en est le lieu éclatant : « Ce qui, d’une façon générale, meut le monde, c’est la contradiction » (E, SL, § 119, Addition, p. 555). Loin, donc, d’exclure la contradiction, l’esprit, qui est en et pour soi infini, a la force de la supporter en toute son acuité en y puisant sa richesse : il sait, en effet, qu’il est infini et que, dès lors, toute détermination en lui n’est qu’autant qu’il la pose et, par conséquent, peut la déposer, comme un moment de sa culture. L’accomplissement philosophant de l’esprit, la pensée spéculative, accueille et cultive en elle la contradiction au cœur d’elle-même comme son moment moteur, le moment dialectique. ••• Si tout est contradictoire (identique et différent) sauf le tout lui-même, pourtant ce tout n’est pas sans contradiction puisque, comme totalité, il est précisément l’identité de l’identité et de la différence, mais il a la contradiction au lieu de l'être. Il la maîtrise au lieu de la subir, il se nie sans être nié. C’est bien le message chrétien du Dieu qui se sacrifie et meurt pour sauver et vivifier l’être fini, que Hegel a voulu exprimer rationnellement ou conceptuellement. L’identité se différencie ou se détermine, et cette auto-détermination ou liberté la fait s’aliéner ainsi à elle-même, accueillir par là en elle-même la misère (Not) de la nécessité (Notwendigkeit), alors immédiatement surmontée et transfigurée. La dialecticité de l’identité se faisant totalité par sa différenciation d’elle-même se dépasse donc spéculativement dans la jouissance de sa puissance à travers sa bonté même. L’affirmation de l’être triomphe dans la négation de sa négation, la contradiction de sa contradiction.

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