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Hegel: Conscience

Conscience

• La conscience, au sens strict du terme, est le deuxième moment de l’esprit en sa constitution subjective d’esprit se sachant tel en tout ce qu’il sait. Elle suppose l’âme, qui, ayant achevé sa négation de l’extériorité naturelle par l’intériorisation de celle-ci, se nie elle-même en extériorisant par rapport à sa forme, devenue présente à soi comme sujet, son contenu représenté dès lors comme objet (Gegen-stand : ce qui se tient en face, ce qui s’objecte). La conscience, cet apparaître à soi de l’âme qui s’est mise à distance d’elle-même dans le face-à-face sujet-objet, est étudiée par la phénoménologie (le phénomène, c’est ce qui apparaît), laquelle suit donc l’anthropologie, étude de l’âme, et précède la psychologie, étude de l’esprit en tant que, pris lui-même strictement, il est la réconciliation avec l’objet du sujet qui se retrouve en lui et jouit donc de sa liberté. La Phénoménologie de l’esprit de 1807 expose en sa nécessité le processus de la conscience à même son contenu, aussi mondain et supra-mondain, le plus total, depuis la certitude sensible élémentaire jusqu’à la foi religieuse en l’unité de l’Homme-Dieu, identité du sujet singulier et de l’objet universel, présupposition ultime du savoir absolu qui, sachant l’absolu comme se sachant lui-même en lui, dépasse en sa visée la dualité conscientielle. •• Entre l’âme, symbiose vécue — dans le sentir — de ce qui n’est pas encore pour soi un sujet avec ce qui ne se donne pas encore comme un objet, et l’esprit accompli dans le savoir absolu, où le sujet se sait pleine identité de lui-même et de ce qui n’est plus pour lui un objet, une objection, un Autre, se déploie la conscience, lieu de l’opposition, de la scission du sujet et de l’objet, donc de l’épreuve — du malheur — qu’est, au fond, l'expérience. L’« expérience de la conscience », dont la Phénoménologie se présente, en son titre complet, comme la science, est, de la sorte, une expression tautologique. Mais la contradiction —Je est (lié intimement à) un Autre — se contredit elle-même : souffrir, c’est vouloir ne plus souffrir ! C’est pourquoi la conscience est le mouvement de se surmonter elle-même en direction du savoir absolu. Un mouvement qui, avant ce terme, est sans cesse déçu en son intention et constitue par là un « calvaire », puisque, à chaque fois, l’Autre est surmonté dans un Autre encore plus limitant, puisqu’il finit par se présenter comme le Dieu tout-puissant, avant que la toute-puissance d’un tel objet, de l’Objet, se manifeste dans la bonté de l’incarnation, annonciatrice de la réconciliation de l’aliénation conscientielle. Il y a là une dialectique immanente à la conscience. Car celle-ci a dans l’objet dont elle est certaine comme du vrai, c’est-à-dire comme de ce qui est identique à soi quel que soit son contenu, la norme exigeant qu’elle surmonte leur différence en identifiant à l’objet son mouvement subjectif de parcours de cet objet. Le mouvement subjectif d’assimilation de l’ancien objet constitue alors le nouvel objet, tant que l’objet n’a pas objectivé tout le dynamisme du sujet alors devenu pour soi tout ce qu’il était en soi, sujet qui se sait comme tel en s’élevant par là de la conscience à l’esprit. ••• La philosophie hégélienne de la conscience est ainsi une relativisation de celle-ci et, en conséquence, une critique des philosophies qui absolutisent sa structure dualiste en la traitant comme coextensive à l’esprit, tel, du moins, qu’un discours sensé peut être tenu sur lui ; la philosophie moderne prototypique de la conscience est pour Hegel le kantisme. Il y a un avant spirituel et, surtout, un après spirituel de la conscience ; il y a un sentir qui n’est pas encore un savoir ( Wissen) ou une certitude (Gewissheit) sensible, et un savoir qui n’est plus, en son sens, sensible, le savoir absolu où l’être est dit, conceptuellement, tel qu’en lui-même. Entre ces deux présences à soi, pré-conscientielle et post-conscientielle, de l’esprit, s’étend le domaine de cette représentation (vorstellung : représentation, c’est position — Stellung— face à — Vor—, ob-jectivation) qu’est fondamentalement la conscience. La philosophie de Hegel n’est pas une philosophie « représentative », enfermant la pensée dans la représentation. Mais Hegel, moins prétentieux et naïf que certains de ses lointains successeurs, sait que le savoir absolu ne peut se dire, s’objectiver dans un discours qu’en s’aliénant lui-même immédiatement dans la représentation ou la conscience dont il est le dépassement constant. Le savoir absolu n’est pas un état, mais l’activité ou la négativité constante de l’auto-négation spéculative de la conscience, la vitalité suprême de l’esprit.

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