Hegel: Aufheben
Aufheben
• Terme exemplaire, selon Hegel, du génie spéculatif de la langue allemande, en ce qu’il réunit intimement deux significations opposées, celles de conserver [aufbewahren] et d’abroger ou supprimer. Le français, que Hegel considère comme une langue de l’entendement, qui fixe chaque sens à lui-même, en tant qu’exclusif de son opposé (ou bien... ou bien), n’a pas de terme correspondant à aufheben. On a alors, en forçant leur sens ou en les accompagnant d’explications plus ou moins laborieuses, proposé des termes courants : relever, enlever..., ou des néologismes: sursumer..., expédients qui violent le grand principe hégélien selon lequel la philosophie doit utiliser le langage habituel. Le mot « dépasser » respecterait ce principe, mais il a l’inconvénient de faire prévaloir la signification positive. Car, suivant Hegel lui-même, qui, lorsqu’il veut accentuer le sens positif de Aufhebung, lui ajoute l’adjectif erhaltend (conservant), le mot allemand souligne le sens négatif de suppression. Aufheben, c’est essentiellement supprimer, le résultat de la suppression ou négation n’étant pas un pur néant, mais un néant déterminé par l'être nié, donc possédant en lui-même un côté positif. •• L’identité de la conservation et de la suppression fait, certes, que conserver quelque chose c’est, en le préservant de la corruption, le supprimer comme se supprimant, le poser en niant sa négation, mais l'Aufhebung désigne plutôt la négation en tant qu’elle pose, la suppression en tant qu’elle conserve. Ce qui est nié ne peut l’être qu’en tant qu’il est déjà en lui-même nié, limité, déterminé, ce qui l’empêche d’être par lui-même, par lui seul. Cette auto-négation originaire est son caractère dialectique (voir article Dialectique) : A est non-A, soit B. Mais B étant lui-même non-B, soit A, ce qui est, c’est l’identité, spéculative (voir article Spéculatif), des deux opposés, ou leur totalité, soit C qui identifie A, parce qu’il est A = B, et B, parce qu’il est B = A, un A et un B qui demeurent tous deux dans cette totalité (parce qu’il y a deux sens de leur identité), mais avec un contenu changé (par exemple, A simple diffère de A qui est B), et un statut modifié (A et B ne sont plus des pseudo-êtres par eux-mêmes, mais ne sont que comme leur totalité à chaque fois sous un aspect différent d’elle-même, c’est-à-dire des « moments » de cette totalité). Leur négation comme êtres prétendus les conserve comme des déterminations idéales ou des moments de leur tout, nouveau, qui, seul, peut être. Ainsi, l’être, qui se révèle identique au néant, et le néant, qui se révèle identique à l’être, deviennent, mais comme disparaître et naître, les moments précisément du devenir, leur tout. ••• Il apparaît que tout ce qui n’est pas un tout et, finalement, le Tout, est passible d’une Aufhebung qui l’irréalise ou l’idéalise en un moment de ce qui seul est, le Tout. C’est là ce qui donne son sens à l’idéalisme hégélien. Cette négation du déterminé ou du quelque-chose n’est pas une négation extérieure, arbitraire, mais une auto-négation, une négation immanente, et par là nécessaire, de ce qui est nié, en tant que le déterminé, différencié ou opposé n’est ce qu’il est que par son lien à un Autre qu’il exclut en se condamnant lui-même alors au non-être. Cependant, le déterminé est son auto-négation, il ne l'a pas. Le Tout, lui, qui n’a rapport qu’à lui-même, n’a un contenu, l’ensemble des déterminations, qu’en tant qu’il se détermine ou se nie, sacrifice de soi qui vérifie bien plutôt son être qu’il ne le résout, et le fait échapper à toute Aufhebung parce qu’il en est le sujet absolu.