Hegel: Âme
Âme
• L’âme est un moment, simplement un moment et le moment immédiat, primaire, non concret, de l’esprit. Elle est en effet l’intériorisation de la nature qui, comme réalisation (aliénante) du sens de l’être dans le milieu sensible de l’extériorité réciproque, nie alors sa forme essentielle et livre son contenu, ainsi réfléchi en lui-même ou présent à lui-même dans le sentir, à l’esprit où elle vient se dépasser. Dans ce recueil spirituel immédiat de la nature qu’est l’âme, désignée par Hegel comme l’« esprit-nature » ou le « sommeil de l’esprit » (E, Ph. E, § 389, p. 185), le pour-soi (la forme déjà spirituelle) de l’âme et son en-soi (son contenu encore naturel) sont en symbiose, sans se faire face, déjà, comme un sujet et un objet, une telle différenciation ou extériorisation de soi de l’âme identique et intérieure à soi signifiant le surgissement en elle de la conscience. L’âme est donc l’esprit non encore scindé en lui-même et, par une telle distanciation à l’égard de lui-même, s’apparaissant à lui-même comme conscience ; elle est l’objet de l'anthropologie, alors que l’apparaître à soi conscientiel de l’esprit sera celui de la phénoménologie. •• L’interpénétration originaire de l’esprit et de la nature, constitutive de l’âme, interdit de juxtaposer celle-ci et le corps, comme l’a souvent fait la philosophie traditionnelle. Mais, parce que cette interpénétration a pour lieu l’esprit, dont l’unité — il est le sens total de l’être (l’idée, comme dit Hegel) existant sensiblement en tant que sens — peut seule, en l’accueillant en elle-même, faire mériter à la nature, pour elle-même condamnée par sa contradiction interne, d’exister, elle est une interpénétration spirituelle de la nature et de l’esprit : l’esprit, dans l’âme, a prise immédiatement sur la nature. La forme spirituelle maîtrisant ainsi le contenu naturel, les déterminations naturelles qui remplissent l’âme : la vie cosmique, sidérale, tellurique, les variétés d’origine géographique : raciales et ethniques, les singularités caractérielles, la différences des âges de la vie, celle des sexes, etc., ne font que la conditionner, la laissant libre pour les déterminations originairement spirituelles que l’esprit se créera plus tard en elle. L’intériorité à soi, la subjectivité, le Soi de l’âme affirme donc son pouvoir « magique » sur son contenu naturel ou extérieur à soi, idéalisé dans le sentir. Cependant, la symbiose hiérarchisée du sentant, identique à soi ou universel, et du senti, toujours divers ou particulier, signifie d’abord la consécration purement formelle, par le premier, du second alors fixé en son contenu particulier. Contradiction dont le dépassement exige que le Soi sentant universalise en lui-même un tel contenu, qui, généralisé, devient habituel et, par là, n’intéresse plus, ne fixe plus à lui-même le Soi. L’âme va dès lors se donner une effectuation mondaine adéquate à son essence spirituelle, s’opposer comme objet un monde dans lequel elle se retrouve pourtant comme sujet : cette extériorisation de soi de l’intériorité de l’âme est la conscience, dont l’anthropologie hégélienne est la genèse spéculative. L’âme est le processus par lequel l’esprit s’éveille naturellement de la nature et finit par se la donner comme objet en se posant face à elle comme sujet en tant qu’esprit conscient. ••• L’anthropologie hégélienne, qui anticipe et fonde conceptuellement nombre de thèmes que la psychologie ultérieure croira découvrir en se contentant souvent de les décrire (notamment celui du sentir pré-conscientiel), illustre avec éclat le génie spéculatif de Hegel. Car, dans l’unité de l’esprit, les différents moments de lui-même ne peuvent se juxtaposer comme le font, dans la nature — régie par le principe de l’extériorité réciproque —, ses divers règnes. Les déterminations de l’âme n’existent pas, normalement, pour elles-mêmes, mais sont intégrées, tels de simples aspects, dans les déterminations supérieures, plus concrètes, déjà de la conscience, puis des formes ultérieures de l’esprit. Elles sont donc présentes dans tout le champ de celui-ci, même en ce qu’il a de plus purement spirituel : toute idée, même la plus éthérée, se sensibilise dans l’âme, ce qui ne veut, certes, pas dire que, par exemple, la religion puisse se réduire au sentiment. Pourtant, l’intégration de l’âme dans et par l’esprit entièrement développé, parce qu’elle est spirituelle et non pas naturelle, est nécessaire quant à son sens universel, mais non en son existence singulière. En sorte qu’il peut y avoir conflit entre les déterminations de l’âme, toujours présentes comme moments, mais qui, alors, existeraient pour elles-mêmes, et, si l’on veut, celles de la conscience, dont la limitation libérerait les précédentes. Ainsi, l’entendement, qui unifie objectivement l’expérience du monde, peut se voir contredit par l’absolutisation que le sentiment de soi opère d’une représentation parcellaire vécue du monde. Une telle contradiction entre l’âme libérée pour elle-même et la conscience insuffisamment maîtresse de la première, contradiction qui empêche le Soi d’être chez lui en lui-même, qui l’aliène à lui-même dans lui-même, est la folie. L’esprit n’est réel que si tout, en lui, s’incarne en son être naturel, c’est-à-dire dans l’âme, mais celle-ci n’est vraie qu’en idéalisant son contenu propre dans les formes plus spirituelles de l’esprit. La philosophie de l’esprit de Hegel situe, de la sorte, en elle, l’anthropologie, sans la négliger ni l’absolutiser.
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