HEDONISME ET LIBERTINAGE
HEDONISME ET LIBERTINAGE // [TIRADE SUR L’INCONSTANCE] – Molière : https://www.youtube.com/watch?v=Zmy9dPD_Iak « DON JUAN. - Quoi ? tu veux qu'on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu'on renonce au monde pour lui, et qu'on n'ait plus d'yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer d'un faux honneur d'être fidèle, de s'ensevelir pour toujours dans une passion, et d'être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux ! Non, non : la constance n'est bonne que pour des ridicules ; toutes les belles ont droit de nous charmer, et l'avantage d'être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu'elles ont toutes sur nos cœurs. Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne. J'ai beau être engagé, l'amour que j'ai pour une belle n'engage point mon âme à faire injustice aux autres ; je conserve des yeux pour voir le mérite de toutes, et rends à chacune les hommages et les tributs où la nature nous oblige. Quoi qu'il en soit, je ne puis refuser mon cœur à tout ce que je vois d'aimable ; et dès qu'un beau visage me le demande, si j'en avais dix mille, je les donnerais tous. Les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l'amour est dans le changement. On goûte une douceur extrême à réduire, par cent hommages, le cœur d'une jeune beauté, à voir de jour en jour les petits progrès qu'on y fait, à combattre par des transports, par des larmes et des soupirs, l'innocente pudeur d'une âme qui a peine à rendre les armes, à forcer pied à pied toutes les petites résistances qu'elle nous oppose, à vaincre les scrupules dont elle se fait un honneur et la mener doucement où nous avons envie de la faire venir. Mais lorsqu'on en est maître une fois, il n'y a plus rien à dire ni rien à souhaiter ; tout le beau de la passion est fini, et nous nous endormons dans la tranquillité d'un tel amour, si quelque objet nouveau ne vient réveiller nos désirs, et présenter à notre cœur les charmes attrayants d'une conquête à faire. Enfin il n'est rien de si doux que de triompher de la résistance d'une belle personne, et j'ai sur ce sujet l'ambition des conquérants, qui volent perpétuellement de victoire en victoire, et ne peuvent se résoudre à borner leurs souhaits. Il n'est rien qui puisse arrêter l'impétuosité de mes désirs : je me sens un cœur à aimer toute la terre ; et comme Alexandre, je souhaiterais qu'il y eût d'autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses. »
// Figure hédoniste de Don Juan: Derrière la séduction de chaque femme réelle, DJ vise à rendre hommage à la gent féminine tout entière. A travers la possession de Charlotte, Elvire, Zerline, c’est la totalité du genre féminin que DJ veut embrasser. Hegel appelle cela le « mauvais infini » du désir car il ne parviendra jamais à l’exhaustion. Les aimer toutes, c’est n’en aimer aucune. Les femmes ne sont que des numéros dont on dresse la liste (« Mile e tre »). DJ a besoin de dresser un catalogue de ses conquêtes, il lui arrive de se méprendre en recommençant à séduire des femmes déjà inscrites à son tableau de chasse, comme en témoigne la scène cocasse où il entreprend imprudemment de consoler une belle abandonnée, qui n’est autre que sa propre épouse Elvire. Objets interchangeables de « tout ce qui porte jupe ». DJ se sent « un cœur à aimer tout la terre » Le maître de Sganarelle (ou Leporello chez Mozart) en viendra même à souhaiter, comme Alexandre, « qu’il y eût d’autres mondes pour y pouvoir étendre ses conquêtes amoureuses ». Il n’aspire pas au repos du guerrier. DJ aime la chasse et non la prise. L’objet de son désir atteint, le désir s’éteint. Prise la proie prisée est méprisée. DJ désire le désir, autrement dit, il est aliéné à son propre désir. En métamorphosant des sujets désirants en simples objets désirés, il ne rencontre que le mur de l’altérité radicale et ne peut se reconnaître dans ses objets, ni être reconnu par eux. En reniant l’objet conquis, il désavoue son propre désir et se nie lui-même. Réciproquement, les femmes éprises du séducteur ne peuvent être elles-mêmes et constituent également des figures de la conscience aliénée, dans la mesure où elles se nient en se prêtant morbidement au jeu qui les détruit. Son existence est une accumulation de petites morts. DJ ne rencontre jamais que la mort : la pièce comme l’opéra s’achèvent sur ce RDV avec la statue du commandeur, emblème marmoréen de la mort. Selon Hegel, DJ caractérise le moment où la conscience s’aperçoit que ce qu’elle désire, c’est elle-même, mais ignore qu’elle ne pourra s’atteindre qu’à travers un autre désir, une autre conscience de soi (cf. cours sur Autrui et la dialectique du maître et de l’esclave). PS : La relation exclusive peut également devenir aliénante lorsque les 2 consciences perdent leur autonomie: le « je » et le « tu » deviennent un « nous » voire un « on ». Il n’y a plus de « je », ni de « tu », mais un « je » tué et un « tu » joué. |
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