HÀFIZ (Chams ed-Din Mohammed)
HÀFIZ (Chams ed-Din Mohammed). Le plus grand des poètes lyriques persans. Il naquit à Chiraz, dans les premières années du XIVe siècle, mais à une date que nous ignorons; il mourut dans la même ville, en 1389. Son père, originaire d'Isfahan, s'était fixé dans la capitale du Färs pour s'adonner au négoce. Dans cette cité qu'il chérissait, le poète passa toute sa vie, ne s'en absentant que pour de rares et brefs voyages. Dès son plus jeune âge, il semble s'être dédié à l'étude des sciences religieuses : son nom de plume, Hâfiz, signifie « celui qui sait réciter le Coran par coeur ». Selon la légende, Ali lui serait apparu en rêve dans son enfance et lui aurait conféré à la fois la connaissance du livre saint et le don de la poésie. Les biographes persans, s'ils rapportent sur notre auteur de nombreuses anecdotes où la fantaisie et le merveilleux entrent pour une grande part, sont singulièrement pauvres en détails précis sur son existence dont on est obligé de reconstituer la trame, autant que faire se peut, à l'aide des allusions à des faits contemporains éparses dans le Divan. Une tradition qui remonte au XVIe siècle et qui a guidé la plupart des commentateurs de l'oeuvre de Hâfiz fait de cet écrivain un poète mystique. La critique moderne va à l'encontre de cette interprétation et reconnaît plus volontiers dans le chantre de Chiraz un homme de cour, épris au moins autant du charme de la vie que d'amour divin. Le quart des poèmes qui nous sont parvenus de lui est dédié, ou contient des allusions, à des souverains ou à des grands de l'époque. Le premier maître que servit Hâfiz, tout au début de sa vie littéraire, fut Châh Abou Ishaq (1342-53). Il lui dédia quelques « ghazels », ainsi qu'à son vizir. Mais le souverain perdit Chiraz, en 1353, après avoir subi un long siège (dont il adoucit le dernier jour par un fastueux banquet); fait prisonnier trois ans plus tard, à Isfahan, il fut décapité par son vainqueur, Mobâriz od Dïn, le fondateur de la lignée des Mozaffarides. Entièrement soumis à l'influence du parti de la stricte orthodoxie islamique, le nouveau possesseur de Chiraz imposa à sa capitale une austérité de moeurs inconnue jusqu alors, faisant fermer cabarets et mauvais lieux. Hâfiz, tout en laissant entendre de discrètes lamentations sur la fin de Châh Abou Ishaq, s'indignait de ces mesures dans des poèmes où il fustigeait également l'hypocrisie des faux dévots de l'époque. On peut penser que ses vers se chantaient dans tout Chiraz et avaient autant de portée politique que littéraire. Mobâriz od Dïn se rendit bientôt insupportable par sa tyrannie et sa cruauté (il se vantait d'avoir tranché de sa main plus de huit cents têtes). En 1358, son propre fils, Chah Chodjâ, le détrôna et le fit aveugler, afin de le rendre inapte à régner. Dans les années qui suivirent cet événement se situa la partie la plus heureuse de la carrière de Hâfiz. Déjà célèbre par ses oeuvres, il jouissait de plus de la faveur royale; nombre de ses odes vantent la générosité, le génie et qualité dont celui-ci était fort vain les charmes physiques de Chah Chodjâ. D'autres sont consacrées à la louange de certains grands du royaume. Cependant, en 1363, le protecteur du poète fut chassé de Chiraz par un de ses frères. Il y revint victorieux deux ans plus tard, mais à son tour gagné au parti des fanatiques. Soit à cause de ce changement, soit pour toute autre raison (la tradition rapporte que le roi, qui se piquait aussi de poésie, se serait montré jaloux du talent de son protégé), il ne tarda pas à marquer de la froideur à l'ancien favori. Celui-ci se plaint amèrement de cette disgrâce et, dans de nombreuses pièces, implore le pardon d'une faute qui aurait cause son infortune. A cette époque aussi, il exprime dans ses vers le désir de quitter ce Chiraz qu'il ne cesse d'aimer, mais où, depuis qu'il a perdu la bienveillance royale, tout le monde se détourne de lui. Il paraît probable aussi que plusieurs souverains étrangers, informés de cette situation, cherchèrent alors à l'attirer auprès d'eux : ses oeuvres portent témoignage qu'il déclina ces offres, celle, en particulier du roi de Hormuz, port du Golfe Persique. La tradition qui, là encore, pèche par inexactitude, veut que Hâfiz se soit pourtant mis en route pour rejoindre la cour du Deccan, aux Indes. Il aurait fait demi-tour, au moment de prendre la mer, épouvanté par le spectacle d'une tempête. Hâfiz s'éloigna cependant de Chiraz, pour chercher fortune à Yazd où régnait Chah Yahya, neveu et farouche ennemi de Châh Chodjâ. Ce fut sans doute à l'occasion de ce voyage que le poète visita Isfahan, ville que chantent quelques-uns de ses vers. Mais cette escapade se termina mal. N'ayant pas obtenu les faveurs qu'il escomptait, l'écrivain se trouva bientôt dans le dénuement; il fut trop heureux de se joindre à la suite d'un vizir en partance pour le Fars, décochant une épi- gramme vengeresse à l'avaricieux Châh Yahya. Le retour à Chiraz fut marqué par de nouvelles déconvenues : un poème fait allusion à des démêlés avec la justice et à une retraite forcée dans le palais d'un protecteur. Hâfiz devait attendre, pour retrouver la faveur de la cour, l'année 1387, date à laquelle Châh Yahya fut installé à Chiraz par Tamerlan; ce prince devait alors marquer au poète déjà vieillissant plus de bienveillance qu'il ne l'avait fait dans sa première capitale. Yahya fut bientôt chassé du Fârs par son frère Châh Chodjâ od Din Mansour, auquel Hâfiz dédia son beau Sâqi Nâmeh [Le Livre de l'Ëchanson] et plusieurs odes. Tels sont les seuls détails à peu près certains que nous possédons sur la vie de l'écrivain. La légende souvent reproduite de sa rencontre avec le conquérant Tamerlan est en effet controuvée, ainsi que la plupart des autres récits rapportés par les biographes. Pour ne rien omettre, on relèvera encore mais toujours dans le Divan, les noms de quelques-uns des objets, sans doute nombreux, de sa passion : Châkh-i-Nabât [Branche de Sucre Candi], Dorr Däneh [Grain de perle] et, peut-être, Farrokh, un éphèbe. On montre à Chiraz une prétendue maison de Châkh-i-Nabât. On sait également que Hâfiz fut marié et qu'il perdit un fils, à la mort duquel il consacra une émouvante élégie. On suppose enfin qu'il dédia à l'enseignement les dernières années de son existence. C'est en tout cas à Chiraz qu'il termina ses jours. Soit négligence, soit parce qu'il espérait une vie plus longue, le poète ne laissa point d'édition définitive de son oeuvre. Il en aurait seulement mis en ordre un recueil provisoire, en 1368. Ce n'est qu'après sa mort qu'un de ses familiers, un certain Mohammed Golendâm, rassembla ses poèmes en un Divan, dont le texte fut bientôt vicié par les erreurs, les fantaisies et les interpolations des copistes. Il a fallu attendre 1942 pour disposer d'une édition satisfaisante de Häfiz, celle de M. Qazvini (Téhéran). Des poètes lyriques de la Perse, Hâfiz est de loin le plus populaire : il n'est pas un Iranien, même illettré, qui ne sache par coeur au moins quelques vers de lui. A quoi tient ce succès ? Avant tout à l'extraordinaire harmonie verbale du style; peu de maîtres ont su faire chanter aussi magnifiquement les mots que Häfiz. A la beauté des images ensuite; au fait, enfin, qu'il demeure sans doute le meilleur interprète de l'âme de son peuple. Chantant la joie de vivre, mais aussi la vanité de ce monde et l'inconstance du destin, les plaisirs que donne le vin, ceux de l'amour et ses peines, il sait également faire vibrer dans ses vers quelques accents mystiques. Il offre donc, tout en se gardant des audaces d'un Omar Khayyâm comme de ces emportements panthéistes qui souvent inquiètent chez Djelâl ed Din Roumi, la quintessence de ce que l'on demande, en Perse, à la poésie. En outre, ses nuances de forme et de sens permettent toute la gamme des interprétations et laissent le lecteur (ou l'auditeur, car les « ghazels » sont faits pour être chantés plutôt que lus), libre de découvrir la signification le mieux en rapport avec son état d'âme du moment. La miraculeuse beauté du Divan a fait entourer son auteur d'un véritable culte (on lui a décerné les appellations d'« Interprète des Mystères » et d'« Organe de tout ce qui est caché »); sa tombe, aux portes de Chiraz, est vite devenue un lieu de pèlerinage religieux autant que littéraire. Quant au Divan lui-même, la superstition populaire le fait utiliser comme livre de divination : si l'on se trouve dans l'embarras, on l'ouvre au hasard, après s'être concentré comme il convient, et l'on s'inspire du premier vers sur lequel tombe le regard. Nombreuses sont les anecdotes merveilleuses que l'on rapporte à ce sujet. Hâfiz fut très tôt connu en Europe où on le traduisit pour la première fois en latin, en 1680 (trad. Meninki), puis dans la même langue, en 1767 (Thomas Hyde) et en 1771 (Revisky). La première traduction française date de 1799. On relève également, au cours du XIXe siècle, de nombreuses versions anglaises (en particulier Herman Bicknell, 1875, et Gertrude Lowthian Bell, 1897) et allemandes; ces dernières, celles de Wahl (1791) et de v. Hammer-Purgstall (1812-13) inspirèrent Goethe pour son Divan occidental-oriental, tandis que celle de Rosenzweig-Schwannau (3 vol., Vienne, 1858-64) fit longtemps autorité. Il n'existe malheureusement pas de traduction française moderne de l'ensemble de l'oeuvre de Hâfiz. ? « Hâfiz, cet autre Voltaire.» Goethe (paroles rapportées par S. Boisserée). ? « Si passionnées que soient, entre Persans, les controverses sur les choses de la littérature, il est un point, tout au moins, sur lequel tous tombent d'accord, à savoir que Häfiz est le plus grand poète que leur poétique patrie ait jamais vu naître. Mirza Muhammad de Qazvin, critique austère et très réservé, a, plus tard, parfaitement exprimé l'opinion de ses concitoyens, lorsque invité à proposer un candidat persan pour une place dans un hypothétique Panthéon des plus grands poètes du monde, il a aussitôt et sans hésitation nommé Hâfiz. » A. J. Arberry. HAFIZ ou HAFEZ (Chiraz, v. 1325- id., v. 1389). Considéré comme le plus grand poète lyrique persan avec Omar Khayyam, il a gardé auprès des Iraniens, comme dans tout le monde oriental, une autorité incontestée. Son tombeau, près de Chiraz, est encore un lieu de pèlerinage. Ses poèmes, rassemblés dans le Diwan (recueil), ont renouvelé tous les genres classiques.