Guerre au terrorisme, paramilitarisme, et droits de l'homme
Guerre au terrorisme, paramilitarisme, et droits de l'homme
La « guerre globale contre le terrorisme » déclarée par les États-Unis après les attentats du 11 septembre 2001 a façonné un nouveau cadre stratégique. Dans celui-ci, droit international et droit international humanitaire n'ont plus de légitimité du point de vue de la puissance américaine car ils ne seraient plus adaptés aux nouvelles menaces. Les insuffisances en renseignements humains ont poussé l'administration Bush à déléguer la gestion de ces missions sensibles à des opérateurs privés. Les détentions pour interrogatoires au Moyen-Orient et dans le monde se sont multipliées. En août 2004, 50 000 personnes avaient été arrêtées dans le cadre d'opérations militaires et de sécurité dirigées par les forces armées américaines qui administraient environ 25 centres de détention en Afghanistan et 17 en Irak. Plus de 500 détenus de 35 nationalités différentes se trouvaient encore, début 2005, à Guantanamo (base américaine située à Cuba), zone de non-droit, sans avoir été inculpés ni jugés. En mai 2005, Amnesty International publiait un rapport faisant part de ses préoccupations relatives à ce sujet. Alors que les prisonniers de Guantanamo entraient dans leur quatrième année de détention et que des allégations de torture se multipliaient, la secrétaire générale d'Amnesty International rappelait le 8 juin 2005 que « l'affirmation du président Bush selon laquelle les prisonniers de Guantanamo Bay sont traités dans le respect des conventions de Genève est démentie par le décret présidentiel du 7 février 2002 dans lequel il préconise un traitement "adapté aux nécessités militaires". »
Prolifération des sociétés militaires privées
La phase chaotique de « stabilisation/reconstruction » en Irak s'est caractérisée par une prolifération des sociétés militaires privées et par une privatisation de nombreuses fonctions militaires (logistique, sécurité). Avec un ratio de 20 « soldats privés » pour 100 soldats américains, la situation est apparue préoccupante. Au printemps 2005, on dénombrait plus de 60 sociétés militaires privées occidentales. Celles-ci, qui représentent la deuxième force d'occupation après celle des États-Unis, sont une menace pour la souveraineté de l'Irak. Le respect du droit international humanitaire et des droits de l'homme est impossible. Le scandale des mauvais traitements et des humiliations à l'encontre des détenus irakiens, révélé fin avril 2004, a résulté de pratiques longtemps restées sous silence. Un système de mauvais traitements systématiques contre les prisonniers irakiens, « assimilables à des tortures » (Human Rights Watch) et dans lequel les opérateurs privés ont joué un rôle important, avait été mis au jour, notamment des personnels travaillant pour les sociétés privées CACI Inc. et Titan Corporation. Le rapport du général américain Antonio Taguba, remis aux plus hautes autorités politiques et militaires américaines début mars 2004, soulignait que les opérateurs privés américains n'étaient pas supervisés. Il établissait également que le personnel américain de la prison d'Abou Ghraib (Irak) avait caché au CICR (Comité international de la Croix-Rouge) un certain nombre de prisonniers, qualifiés de « détenus fantômes » (une centaine en Irak).
Pour Kenneth Roth, directeur exécutif de Human Rights Watch (HRW), qui s'exprimait devant la presse le 30 avril 2004, « si le Pentagone envisage d'utiliser des contractants privés pour des missions militaires ou de renseignement, il doit s'assurer qu'ils sont sujets à des restrictions et à des contrôles légaux [car permettre à ces opérateurs] d'agir dans un vide juridique est une invitation aux abus ». Un rapport officiel du Government Accountability Office (l'agence fédérale d'évaluation de l'État américain travaillant pour le Congrès) de juin 2003 soulignait déjà le manque de contrôle des sociétés militaires privées aux États-Unis. Dans le domaine du renseignement humain et technologique, les sociétés privées ont trouvé un marché très porteur au lendemain du « 11 septembre », mais aucune législation ne permettait d'assurer un contrôle dans ce domaine.
Les missions des sociétés en Irak « repoussent constamment les limites de l'externalisation » de fonctions militaires pour faire du mercenariat entrepreneurial un outil stratégique dans la guerre globale contre le terrorisme. Alors que la demande est croissante, l'impréparation et le manque de professionnalisme mettent en péril l'opération. Conformément aux recommandations du 2005 Defense Authorization Act signé par George W. Bush fin octobre 2004, de nouvelles réglementations (guidelines) devaient être publiées pour institutionnaliser ces pratiques après la phase d'expérimentation irakienne, de manière à rendre plus efficace ce recours aux opérateurs privés sur les futurs champs de bataille.
Radicalisation des stratégies de contre-terrorisme
En réalité selon HRW, un an après le scandale révélé d'Abou Ghraib (témoignages et photographies attestant de traitements dégradants infligés aux prisonniers), la « situation n'a pas changé et les conditions restent en place pour que de nouveaux cas de torture et de mauvais traitement de personnes détenues par les États-Unis se produisent ». Reed Brody, de HRW, déclarait fin avril 2005 qu'« Abou Ghraib est la partie visible de l'iceberg » car il faut ajouter le cas des « combattants ennemis détenus sur le sol des États-Unis et dans des centres de détention secrets », la détention et les transferts secrets entre pays par des agents de l'État américain, exposant ces personnes à la torture ou aux mauvais traitements. Quelques soldats subalternes ont été jugés par des tribunaux militaires, mais aucun haut responsable américain n'a fait l'objet d'une enquête indépendante.
En janvier 2005, lors des auditions au Congrès relatives à sa confirmation à la tête du ministère de la Justice, Alberto Gonzales, ancien conseiller juridique du président Bush, a soutenu que l'interdiction des traitements cruels, inhumains ou dégradants ne s'appliquait pas au personnel américain ayant affaire à des ressortissants non américains à l'étranger. Dans ce contexte, il faut distinguer entre opérations conventionnelles (overt) faisant l'objet d'un contrôle parlementaire, et opérations spéciales et clandestines (covert operations), ouvertement privilégiées par le secrétaire à la Défense pour conduire la guerre contre le terrorisme. À travers l'externalisation, il faut gagner en flexibilité et en capacités de réaction rapide en éliminant le contrôle administratif traditionnel et les procédures bureaucratiques. Dans le cadre de la « transformation » des forces voulue par le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, les forces spéciales ont montré la place centrale qu'elles occupaient dans les interventions militaires, en coordination avec les opérateurs paramilitaires de la Central Intelligence Agency (CIA). Le rapport final de la Commission américaine sur le « 11 septembre » critiquait l'absence de contrôle des activités clandestines des contractants privés et recommandait que des mesures soient prises rapidement, notamment au Commandement des opérations spéciales (Ussocom), pour que la responsabilité de la Défense redevienne effective dans la conduite des opérations paramilitaires. Ce vide juridique débouche sur une déresponsabilisation du politique face à une dynamique de délégation des prérogatives d'État initialement impulsée pour des raisons économiques. Les scandales de corruption dans les marchés de la reconstruction en Irak sont le signe de difficultés grandissantes de l'exécutif (voir à ce sujet le rapport annuel de Transparency International analysant les bénéfices des entreprises multinationales comme Halliburton longtemps dirigée par le vice-président américain Dick Cheney).
Les pratiques visent à éviter les contrôles parlementaires. Exploiter ces lacunes permet une posture asymétrique qui pose cependant des problèmes aux forces sur le terrain, selon le général Richard Myers, chef d'État-major interarmes, la plus haute autorité militaire.
Plus inquiétante encore est apparue la multiplication des expérimentations en matière de contre-insurrection en réutilisant des méthodes développées en Amérique centrale dans les années 1980, comme « l'option salvadorienne », en recrutant des équipes d'assassins et de preneurs d'otages pour éliminer l'insurrection ou en créant des structures clandestines, comme la Strategic Support Branch du Pentagone révélée par le Washington Post en janvier 2005. Cette institutionnalisation de la « guerre irrégulière » allait être formalisée dans un texte de la Quadriennal Defense Review à paraître en octobre 2005. Dans ce climat, des éditorialistes ont jugé que l'usage de la torture dans la conduite des interrogatoires était légitime et devait être institutionnalisé : « Il ne faut pas lier les mains des interrogateurs » pouvait-on ainsi lire en mai 2005 dans l'éditorial du mensuel Armed Forces Journal International. Pour l'ancien officier Ralph Peters, la morale ne doit pas compter pour gagner « les raides stratégiques, les expéditions punitives et les futures guerres préemptives » ; il est prioritaire « d'éliminer les restrictions morales » que les États-Unis s'imposent.
Quelles implications pour les alliés ?
Quelles sont les conséquences de ces évolutions pour l'Union européenne (UE) ? Pour l'expert américain Peter W. Singer de la Brookings Institution, il devient nécessaire pour les Européens de coordonner leurs efforts pour garantir une compatibilité de leurs approches nationales avec le modèle développé par les Britanniques et les Américains en matière d'externalisation en opérations extérieures pour s'assurer d'une interopérabilité entre les pratiques et les législations (souhaitables) de l'UE et des États-Unis. C'est l'avenir des futures opérations multinationales qui est ici concerné, compte tenu du poids économique et politique de ces nouvelles industries de services, si la prolifération des opérateurs privés n'est pas mieux contrôlée par les alliés. Déjà la NATO Maintenance Support Agency a été l'un des acteurs de l'externalisation au sein de l'OTAN (Organisation du traité de l'Atlantique nord), à compter des opérations des années 1990 dans les Balkan.
Liens utiles
- Peut on faire la guerre au nom des droits de l'Homme?
- LE CONSEIL DES DROITS DE L’HOMME Un organe de l’ONU ( Organisation des Nations Unies)
- Les institutions qui protègent nos libertés: Conseil constitutionnel et Cour européenne des droits de l’homme
- Quelles sont les limites des droits de l'homme sur les animaux ?
- La déclaration des droits de l’homme et la fin des privilèges en France